samedi 11 avril 2020

WESTWORLD - SAISON 3, EPISODE 3 : THE ABSENCE OF FIELD (HBO)

2 100ème entrée du blog !



Pour ce troisième épisode de la saison 3 de Westworld, une nouvelle fois le récit se concentre sur un personnage : Charlotte Hale. Ou plutôt celle qui en a désormais l'apparence. De fait toute l'intrigue tourne autour de la notion d'identité et d'apparence jusqu'au coup de théâtre final qui lance de nouvelles pistes. Les acteurs sont prodigieux, la mise en scène sublime. Mais alors d'où vient qu'on n'est pas aussi convaincu que les fois précédentes ?

Dolores et la copie de Charlotte Hale (Evan Rachel Wood et Tessa Thompson)

Lors du massacre de Westworld, Charlotte Hale enregistre un message vidéo à l'intention de son fils, Nathan. Plus tard, après que Dolores Abernathy ait créé une réplique de Charlotte et lui ait implanté une des perles qu'elle a sorti du parc, elle lui assigne sa mission : prendre le contrôle de Delos afin de protéger les autres hôtes survivants.

Caleb et Dolores (Aaron Paul et Evan Rachel Wood)

Actuellement. Caleb appelle les secours après avoir trouvé Dolores blessée suite à la fusillade qui l'a opposée aux hommes de Martin Connels, le chef de la sécurité d'Incite et garde du corps de Liam Dempsey. Mais l'ambulance qui les conduit aux urgences est stoppée par des flics véreux utilisant l'application Rico et chargés de capturer Dolores. Elle revient à elle après que les ambulanciers aient été abattus et que Caleb soit en difficulté contre eux. Elle les élimine impitoyablement puis s'enfuit en remerciant Caleb.

Dolores et Charlotte (Evan Rachel Wood et Tessa Thompson)

Charlotte apprend que Engerrand Serac mène une OPA discrète contre Delos avec la complicité évidente d'une "taupe" au sein de l'entreprise. Elle diligente une enquête pour identifier le traître et réfléchit au moyen de contrarier le plan de Serac. Charlotte doit aussi composer avec son ex-mari et leur fils qu'elle néglige. De plus en plus désemparée, elle contacte Dolores qui s'aperçoit qu'elle s'auto-mutile car la personnalité de Charlotte lutte contre celle de l'hôte qui a été implantée dans sa réplique.

Caleb et Dolores (Aaron Paul et Evan Rachel Wood)

Sa tête mise à prix sur Rico, Caleb est capturé à l'hôpital où il rend visite à sa mère. Les deux mercenaires qui l'arrêtent l'entrainent dans un des gratte-ciel en construction où il travaille et le torturent pour savoir où est Dolores. Celle-ci, justement, demande à Connels de localiser Caleb et intervient pour le sauver. Puis elle lui explique son projet et l'invite à l'aider pour s'émanciper de l'influence du Rehoboam. Il accepte, troublé par ce que lui révèle Dolores sur cette intelligence artificielle qui a déjà pré-écrit sa vie.

Charlotte (Tessa Thompson)

Alors que l'enquête sur la "taupe" à l'intérieur de Delos piétine, Charlotte récupère la vidéo qu'elle avait enregistrée pour son fils durant le massacre de Westworld. Emue, elle va chercher Nathan à son école et surprend un pédophile qu'elle tue froidement et discrètement. Plus tard, elle se sert de la mélodie d'une chanson qu'elle entonnait à son fils pour débloquer la liste des contacts de son téléphone portable et accède ainsi au numéro de Serac. Celui-ci déroute alors le taxi dans lequel elle se trouve pour qu'elle arrive chez lui.

Serac (Vincent Cassel)

En présence de l'hologramme de Serac, Charlotte apprend qu'elle est son espionne au sein de Delos pour lui fournir les données d'un secteur secret du parc. Dolores a la clé pour accèder à ces datas et Serac presse donc Charlotte de la retrouver.

Depuis la fin de la saison 2, lorsqu'on l'a vue quitter le parc de Westworld en sachant qu'il s'agissait d'un hôte créé par Dolores, la question qui obsède les fans de la série est : qui occupe le corps de Charlotte Hale ? Cet épisode n'y répond pas, autant le dire tout de suite, mais certifie qu'il ne s'agit plus de l'administratrice de Delos. Et visiblement elle ne va pas bien.

Tout ici questionne l'identité et l'apparence. Charlotte Hale est morte dans le parc, son vrai corps a disparu, Dolores a abusé tout le monde avec une copie de la jeune femme et s'en sert à la tête de Delos pour son grand projet pour les hôtes survivants. C'est donc une pièce essentielle dans son dispositif.

Le coup est finement joué car personne ne soupçonne Charlotte Hale de n'être pas celle qu'elle est. La réplique est parfaite physiquement et en apparence elle joue son rôle à merveille en public puisque le conseil d'administration de l'entreprise n'y voit que du feu. L'illusion est si parfaite qu'à la fin de l'épisode, même Enguerrand Serac tombe dans le panneau.

Mais l'apparence n'est pas l'identité. Et de même, il ne suffit pas d'une interprétation parfaite sur scène pour que tout soit impeccable, imparable. C'est aussi, ironiquement, le problème de l'épisode lui-même. 

En effet, on découvre rapidement que la fausse Charlotte souffre d'un désordre intérieur profond. Elle s'auto-mutile, est tiraillée entre deux personnalités - celle de Hale et celle de l'hôte que lui a implantée Dolores. Mais comment est-ce possible ? Comment la conscience de Hale peut-elle encore résider dans une réplique d'elle-même ? C'est le souci scénaristique que pose ce chapitre.

Et les auteurs n'y répondent pas. Un hôte n'est qu'une coquille vide, un ersatz, certes très troublant puisque semblable physiquement à un humain, mais installez-y une perle et il devient ce que contient cette perle. Les seuls à dépasser ce stade sont des hôtes comme Dolores, Maeve, Bernard, qui ont trouvé un moyen de s'émanciper de leur condition, d'accéder à une conscience propre et même d'augmenter leurs capacités cognitives et motrices. Ce n'est pas le cas de la fausse Charlotte que Dolores a façonné complètement, sans rien garder de l'original : c'est une marionnette, une actrice dirigée par Dolores, munie d'une conscience permettant cela.

Donc il ne devrait rien rester de la Charlotte Hale dans cette Charlotte-ci. Et pourtant le trouble qui l'affecte indique bien que ce n'est pas le cas. D'ailleurs quand Charlotte retrouve, paniquée, Dolores, dans un hôtel, pour lui parler de Serac, Dolores lui explique qu'elle doit apprendre à contrôler les traits de caractère de Hale et s'en servir au lieu d'être dépassée par eux (en gros : il faut utiliser l'instinct de prédatrice de Hale, grâce auquel elle était une redoutable femme d'affaires). Mais, en vérité, la fausse Charlotte ne devrait pas avoir ce genre de troubles puisque rien ne subsiste de la conscience de Hale.

Il me semble donc qu'il aurait été plus simple et logique pour les auteurs de limiter les difficultés comportementales de Charlotte à celles que rencontrerait une actrice pour interpréter son rôle à la perfection plutôt que de suggérer qu'il restait des traces de la personnalité de Hale dans l'hôte à son image qu'a créé Dolores.

Cette (grosse) réserve mise à part, l'épisode fonctionne très bien. L'arc qui suit Caleb et Dolores est remarquable de concision : la scène où elle lui révèle l'influence du Rehoboam sur la vie des humains, au point de déterminer leurs échecs et leurs succès, jusqu'à la mort qu'ils auront, est vertigineuse. La densité des dialogues, l'intensité de l'interprétation des acteurs font passer rapidement et efficacement ce changement décisif pour Caleb.

L'autre réussite de l'épisode tient dans le twist final où on découvre, en même temps que Charlotte, qu'elle est la "taupe" de Serac au sein de Delos, qui plus est depuis des années. L'objectif de Serac (prendre le contrôle de Delos) tient dans un secteur secret du parc (le n°16) qui contiendrait des données importantes (sans qu'on sache encore lesquelles) et cela indique bien une fois encore à quel point Robert Ford a réussi à dissimuler à tous des recoins du parc. Même sorti de son enceinte, Westworld (et Ford) reste(nt) bien au centre de la série. C'est jubilatoire.

La réalisation de ce chapitre est magnifique. On y voit des plans composés avec une virtuosité esthétique bluffante (comme lorsque Charlotte contemple le siège de Delos la nuit : la forme du bâtiment qui se reflète dans un bassin qui l'entoure ressemble alors à un oeil géant et Charlotte se trouve en son centre, comme si elle observait cet oeil géant autant qu'il l'observait, elle). Une scène d'action comme celle de l'attaque de l'ambulance est aussi un vrai morceau de bravoure. Tout, jusque dans les moindres détails, témoignent d'une exigence folle et sollicitent l'attention du téléspectateur (remarquez comme les vêtement de Dolores et Charlotte se répondent, la première tout en noir et la deuxième tout en blanc quand elle se retrouvent à l'hôtel). Enfin, le fait que Charlotte ait rendez-vous non pas avec Serac en personne mais avec son hologramme questionne encore sur ce qui est vrai ou pas dans le récit (une théorie circule comme quoi Serac ne serait pas humain, mais peut-être une extension du Rehoboam).

Les acteurs sont toujours aussi excellents. Tessa Thompson se taille la part du lion : les producteurs ont sans doute deviné que l'actrice, dont l'ascension à Hollywood est irrésistible, devait être mieux exploitée que depuis deux saisons, où elle occupait un second rôle de luxe. Cet épisode est le sien (comme l'épisode 2 était celui de Thandie Newton) et elle livre une composition magnifique, fragile, fébrile, puis implacable. Du grand art.

Le duo Aaron Paul-Evan Rachel Wood fonctionne aussi merveilleusement. Les scénaristes ne l'écrivent pas sous un angle romantique (même si un des trailers de la saison 3 avançait cette piste). Wood, glaciale à souhait, et Paul, intense, forment une équipe étonnante et puissante.

Le procédé consistant à se focaliser sur un personnage continue dans le prochain épisode (qui est, je préviens d'avance, un pur chef d'oeuvre), qui marque la première moitié de cette saison. Il faut donc s'attendre à ce que, dès le chapitre 5, l'histoire bascule véritablement. Voilà qui promet beaucoup (mais après une telle mise en place, on y va confiant).   

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