lundi 21 septembre 2009

Critique 102 : POWERS 2, de Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming


Powers est une série créée par Brian Michael Bendis et Michael Avon Oeming en dehors des circuits traditionnels (ce qu'on appelle un "creator-owned"), même si la série a ensuite publiée par Image Comics puis reprise par le label Icon de Marvel. Ce projet a été conçu avant que son scénariste ne devienne la vedette de la Maison des Idées, aux commandes des Nouveaux Vengeurs ou Ultimate Spider-Man : Bendis était d'ailleurs un auteur complet à l'époque. Quant à Avon Oeming, il a poursuivi depuis une prolifique carrière de scénariste et d'artiste.
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Powers se déroule dans un monde où les superpouvoirs sont une convention, même si ceux qui en détiennent sont relativement rares. On y suit les aventures de deux officiers de police, Christian Walker et Deena Pilgrim, attachés au département des enquêtes sur les "powers" (soit les individus dôtés de capacités paranormales). Walker lui-même a été un super-héros du nom de Diamond mais il est devenu un simple flic après avoir perdu ses pouvoirs. Néanmoins, il a gardé des contacts avec la communauté métahumaine.
Deena Pilgrim, sa partenaire, cache aussi un secret : elle possède des super-pouvoirs depuis qu'elle a affronté un malfrat nommé the Bug. Avec Walker, elle forme un tandem contrasté où son franc-parler tranche avec la réserve de son collègue mais tous deux partagent le même goût pour l'action et sont des détectives pugnaces, prêts à défier leur hiérarchie pour résoudre une affaire.

Dans ce recueil, qui regroupe les épisodes 7 à 11, on trouve deux histoires distinctes :

- la première s'intitule Warren Ellis. Oui, "le" créateur de Planetary et Authority est l'acteur de ce récit articulé comme une mise en abîme du métier de scénariste de comics : il accompagne Walker durant une nuit pour mieux connaître son job, avec le projet de s'en inspirer pour une future BD. L'auteur, prompt à disserter sur le neuvième art en pleine patrouille nocturne, perdra de sa superbe lorsqu'il sera menacé par un super-vilain...

- La seconde s'intitule Roleplay, autrement dit "jeu de rôles" : Walker et Pilgrim mènent l'enquête sur une étrange affaire d'étudiants qui se déguisent en super-héros (ce qui est contre la loi) et sont tués par un mystérieux vilain, the Pulp, qui avait pourtant disparu depuis des années. Les deux policiers vont découvrir une vérité inattendue et désarmante...
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Parfois, pour bien appréhender une BD, il convient de savoir comment et pourquoi elle a été imaginée. Le cas de Powers est à ce titre éloquent : Bendis déclara qu'il commença à analyser pourquoi il n'avait jamais essayé d'écrire un comic-book super-héroïque lorsqu'il réalisait des séries noires comme Jinx et Goldfish alors qu'il adorait ce genre. Il en conclut que Frank Miller avec The Dark Knight returns et Alan Moore et Dave Gibbons avec Watchmen avaient dit tout ce qu'il était nécessaire de dire au sujet des superr-héros, donc il lui fallait trouver un nouvel angle pour aborder cet univers. C'est ainsi qu'il eut l'idéee de combiner sa passion pour les fictions criminelles, des lectures comme la biographie de Janis Joplin et les premiers dessins en noir et blanc d'Oeming (lequel voulait d'ailleurs initialement illustrer Powers sans recourir à la couleur) pour élaborer cette série.
Et le résultat est conforme à cette intention : mélange de polar classique, d'influences pop diverses et de "cartoons" adultes, Powers est un cocktail détonant, décalé et déjà très abouti. On y trouve déjà la marque de fabrique de Bendis - un soin particulier apporté aux dialogues associé à un sens du casting inattendu développés dans une narration décompressée - tout en possédant une distance, voire un détachement ironique par rapport aux icones super-héroïques.
A cet égard, au-delà du clin d'oeil amical, choisir d'introduire un auteur excentrique comme Warren Ellis dans un des deux récits n'est pas innocent : Bendis lui a d'ailleurs laissé la liberté d'écrire ses propres dialogues, dans le style acide et percutant qu'on connaît au créateur d'Authority. Laissez-moi vous citer un passage évocateur :

"J'emmerde les super-héros, en fait. La notion que ces choses dominent une culture entière est absurde. Ce serait comme si toutes les librairies n'étaient pleines que de romans à l'eau de rose sur les infirmières. Vous imaginez ? Vous allez vous acheter un bouquin et il vous faut fouiller dans des piles et des piles de bouquins parlant d'amours hospitalières avant de trouver autre chose. Un médium où les histoires d'infirmières domineraient la littérature de base dans un ratio de cent contre un.
"Les comics de super-héros sont comme une moisissure qui étoufferait tout le reste. Alors qu'il y a de la place pour le bon travail, quel que soit son genre. Et mon boulot, c'est de faire en sorte que l'on retire toutes ces merdes et qu'on y foute le feu. Quelqu'un qui lit 300 comics de super-héros tous les mois est un malade qui a besoin d'un médecin. J'arracherai à son cadavre encore fumant toutes les choses qui ont conduit les super-héros à dominer les comics. L'énergie démesurée, les visuels épatants, le fétichisme et tout ça, pour l'appliquer à d'autres histoires et d'autres genres.
" Le style populaire, c'est l'action : ça sacrifie la complexité et le ciselage au profit du punch, sans donner en échange une quelconque intelligence à la place. C'est un business qui semble très content de marcher à reculons comme ça...
"La nouvelle marotte des éditeurs, c'est la "vision édititoriale". Ce qui nous ramène au temps où les éditeurs disaient aux auteurs quoi écrire, et où des enfoirés comme Mort Weisenger s'en tiraient malgré tout.
"Les gens font un délire du hype sur les nouvelles bédés d'auteurs connus et admirés. Et à l'inverse, le terme technique pour la découverte de créateurs inconnus et nouveaux, c'est le "délire du hype sur les indés"."

Je trouve cette tirade d'autant plus savoureuse qu'elle est lisible dans un comic-book de celui qui est peut-être le scénariste le plus discuté de sa génération (Bendis), devenu le champion de l'éditeur américain le plus puissant dans le domaine des comics de super-héros (Marvel). Chacun appréciera à sa manière : Bendis est-il encore cet indépendant ou s'est-il définitivement prostitué au mainstream ? Le mainstream est-il digne d'intérêt ou existe-il des comics plus dignes d'intérêt ? Ou encore : Ellis pense-t-il vraiment tout ce qu'il a dit, lui qui produit régulièrement des comics de super-héros (certes, souvent plus transgressifs que la moyenne) pour des majors ? En tout cas, cela tendrait à faire de Powers bien plus qu'une simple BD divertissante, à cheval sur deux genres - un manifeste ?
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Le style graphique employé interroge aussi : Oeming est un héritier évident d'un des artistes les plus importants de l'industrie, en l'occurrence Bruce Timm. Nous ne sommes donc pas dans un registre réaliste, et c'est justement ce choix d'illustrer un sujet comme celui de Powers, à la fois sombre (pour le côté série noire) et fantaisiste (pour le côté super-héros), de cette façon qui rend l'objet passionnant.
J'avoue avoir toujours été partagé sur le talent d'Oeming, justement parce que je le considère d'abord comme un Bruce Timm en mode mineur. Malgré tout, je lui reconnais sur Powers une vraie maîtrise du découpage, avec de réelles trouvailles, et un jeu sur les lumières, jeu violent, contrasté, expressionniste, saisissant.
Tout comme il y a chez Bendis peut-être davantage de roublardise que de génie, j'en penserai autant d'Oeming qui séduit en reproduisant des effets qu'il n'a pas inventés - jusqu'à reproduire les designs de pochettes d'albums de pop-music pour les couvertures de la série. C'est ce qu'on pourrait appeler du "sampling" appliqué aux comics...
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Atypique, déroutant, et pourtant abordable, efficace, tel est Powers : une lecture qui possède le don singulier de vous faire voir la BD autrement tout en recyclant des formules très connues du genre. Autrement dit, faire du neuf avec du vieux... Pour mieux détourner la critique. Malin !

lundi 14 septembre 2009

Critique 101 : SECRET INVASION, de Brian Michael Bendis et Leinil Yu

Secret Invasion est le crossover de l'année 2009, publié par Marvel Comics d'Avril à Décembre 2008 : cette mini-série compte huit volets mais les évènements qu'elle décrit influencent de nombreux autres titres (en premier lieu, les Nouveaux et Puissants Vengeurs).
L'histoire décrit l'invasion de la Terre, préparée de longue date, par les extra-terrestres Skrulls. Ces aliens ont la faculté de changer d'apparence et ainsi, ils ont pris la place de nombreux héros Marvel depuis plusieurs années.
Le slogan de Marvel pour cette production tenait dans une question : "Who do you trust?"(à qui pouvez-vous faire confiance ?). Brian Michael Bendis, l'auteur du scénario, a expliqué en interview que la motivation de ceette invasion provenait de la destruction de l'empire Skrull au cours de la saga Annihilation (publiée de Novembre 2005 à Mai 2007). Les Skrulls croient que la Terre leur revient depuis la fin de leur monde.
Bendis a également annoncé que le complot des Skrulls était développé en réalité depuis le premier numéro des New Avengers (Janvier 2005) et même avant cela, au cours de la mini-série Secret War (Février 2004 - Décembre 2005) : Secret Invasion serait donc l'achèvement d'une intrigue au long cours.
Dans les autres séries qu'il écrit, comme celles des Vengeurs (Nouveaux et Puissants), Bendis s'est appliqué non pas à traiter les origines de l'invasion, mais plutôt à révèler quels sont les personnages qui ont été remplacés par les envahisseurs, depuis quand ils ont infiltrés les rangs du Marvelverse, comment ils ont abusé tout le monde et quelles sont les conséquences de leurs actions.
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Après la guerre Kree-Skrull, quelques super-héros terriens - Iron Man, Mr Fantastic, Namor, Flêche Noire, le Pr Charles Xavier et le Dr Strange - ont formé un groupe secret baptisé les Illuminati pour raisonner les Skrulls. Ils attaquent l'Empire et mettent en garde son autorité contre de futures tentatives d'invasion de la Terre. Mais ils sont capturés et attentivement étudiés avant qu'ils ne puissent s'échapper.
Prétendante au trône Skrull, la Princesse Veranke
déclare qu'une ancienne prophétie décrit la destruction de leur planète. L'Empereur Dorrek décide de l'exiler sur un monde-prison. Mais après que Galactus ait dévasté la planète Skrull, Veranke devient la nouvelle Impératrice et entreprend d'envahir la Terre, grâce aux connaissances volées aux Illuminati.
Les Skrulls capturent plusieurs surhumains et commencent à infiltrer les rangs des humains, avec Vernake elle-même prenant la place de la justicière Spider-Woman. Veranke va ainsi assister à la naissance des Nouveaux Vengeurs après avoir provoqué l'évasion massive des super-vilains de la prison du Raft, mais elle intégre ensuite l'équipe des héros lancée aux trousses des fugitifs.
Les Skrulls enlèvent aussi d'autres personnages appartenant à des milieux divers pour assurer leurs plans : ainsi Elektra, la patronne de l'organisation criminelle ninja, la Main,
- mais c'est en l'affrontant que le Nouveaux Vengeurs découvrent qu'elle a été remplacée par un Skrull. L'équipe comprend alors que les extra-terrestres sont partout, comme elle le soupçonnait depuis qu'elle avait mis à jour un trafic de vibranium en Terre Sauvage par des agents du SHIELD. Les Illuminati apprennent aussi qu'un imposteur est parmi eux en la personne de Black Bolt lorsque deux Super-Skrulls, possédant de nouveaux super-pouvoirs, les ont attaqués.
L'invasion Skrull déstabilise la communauté super-humaine lorsque les aliens prennent d'assaut simultanèment plusieurs places fortes comme un héliporteur du S.H.I.E.L.D. ; la base orbitale du Peak ; le Baxter building
- où l'accès à la Zone Négative a été ouvert - et le Q.G des Thunderbolts.
Les deux équipes des Vengeurs se rendent en Terre Sauvage où s'est crashé un vaisseau spatial d'où sortent plusieurs réplicants de héros, parfois portés disparus (comme Mockingbird ou Captain America) ; tandis que Reed Richards, qui examinait le cadavre du Skrull Elektra, est neutralisé par un autre envahisseur ayant les traits de Hank Pym.
Après plusieurs batailles entre les héros de la Terre et les Skrulls à Manhattan et en Terre Sauvage, Mr. Fantastic, revenu à lui, conçoit un appareil permettant de détecter les envahisseurs quel que soit leur aspect actuel.
Le nouveau caïd du crime, the Hood, choisit de prêter main forte aux héros, refusant de laisser lees extra-terrestres dominer le monde à sa place. Veranke regroupe ses troupes à New York où éclate la lutte finale contre les Vengeurs ; les Secret Warriors menés par Nick Fury ; Thor, les Jeunes Vengeurs et les Thunderbolts.
Durant cet affrontement dévastateur, la reine Veranke est blessée par Hawkeye
. Constatant que les siens sont en difficulté, un Skrull active une sorte de bombe sale injectée à la Guêpe. Thor est obligé de tuer l'héroïne pour annuler les effets de cette arme. Veranke est alors abattue par Norman Osborn.
Ce qui reste de l'armada Skrull est démantelée et Iron Man localise les héros kidnappés dans un des vaisseaux aliens.
Le S.H.I.E.L.D. est dissous sur ordre du Président des Etats-Unis, mais le Skrull ayant pris la place du majordome des Vengeurs, Jarvis, réussit à pendre la fuite avec le fils de Luke Cage et Jessica Jones.
Norman Osborn est nommé à la tête de l'organisation remplaçant le S.H.I.E.L.D, baptisé le H.A.M.M.E.R - et forme un nouveau groupuscule secret formé d'Emma Frost, Namor, Dr Fatalis, The Hood et Loki, équivalent des Illuminati et annonçant le début du "Dark Reign".
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Maintenant que cette saga est arrivée à son terme et qu'une nouvelle ère s'ouvre pour l'univers Marvel, il est possible d'analyser avec plus de détachement cette production.
Deux options sont possibles : soit on considère qu'il s'agit, comme l'a prétendu Bendis, de l'aboutissement d'une histoire mise en place depuis longtemps ; soit on juge ce récit comme un énième crossover aux solutions providentielles.
Il est impossible de déterminer avec certitude si le scénariste a vraiment élaboré cette intrigue et son dénouement depuis aussi longtemps qu'il l'a déclaré. Personnellement, j'ai toujours douté de la véracité de ce "grand plan", même si Bendis est devenu un des (sinon LE) grands architectes de l'univers Marvel : en effet, rien ne garantissait qu'il puisse mener à bien son objectif, dépendant principalement du succès des Nouveaux Vengeurs, la rampe de lancement de toute cette affaire.
Mais il faut quand même reconnaître que, malgré sa roublardise évidente, Bendis a conçu avec Secret Invasion à la fois une suite à la saga Kree-Skrull War et le moyen d'expliquer quelques faits étranges ayant secoué l'univers Marvel depuis quelques années.
En outre, cela a permis de réhabiliter (ou de bousculer) certains personnages, voire d'en ressuciter certains : je pense en particulier à Spider-Woman, Iron Man ou Mockingbird. La première qui a été un agent triple était en fait la reine Skrull ; le deuxième qui a précipité dans le chaos la communauté super-héroïque en déclenchant la Civil War est désormais en disgrâce, et la troisième resurgit après une longue éclipse. La situation de ces trois personnages symbolise parfaitement l'objectif de Secret Invasion visant à instituer un nouveau statu quo, encore plus sombre, dérangeant et incertain que celui ayant succèdé à la "Guerre Civile" : désormais, les méchants sont vraiment aux commandes et les fractures provoquées par Civil War vont certainement être corrigées durant le futur Dark Reign - sans oublier qu'entretemps, un personnage comme the Hood a considérablement fait évoluer la carte du monde criminel en fédérant autour de lui les super-vilains.
La composition de ce qu'on appellera les "Dark Illuminati" suggère des développements surprenants : par exemple, comment faut-il considérer la présence de deux de ses membres comme Namor (qui fit partie des premiers Illuminati, au sein desquels sa position suscita bien des conflits) ou Emma Frost (une ex-vilaine qui semblait repentie parmi les X-Men) ? On sait aussi, en ayant lu la série Thor par J. Michael Straczynski, que Fatalis s'est allié avec Loki, mais que peut-on espérer de ce duo de malfaiteurs, sachant que Fatalis est un conquérant mégalomane et Loki le dieu du mensonge. Autrement dit, qui pilote vraiment cette congrégation de criminels ? La puissance du demi-frère de Thor en fait logiquement un deus ex machina : s'achemine-t-on vers une vaste machination de Loki ? Et quid de the Hood, lui aussi animé d'une ambition dévorante, et lié magiquement avec le tout aussi puissant Dormammu ?
Sans doute est-ce là la vraie réussite de Secret Invasion : comme mini-série, elle s'avère inégale, démarrant sur les chapeaux de roues, s'essouflant à mi-parcours et s'achevant de façon expéditive dans une bataille dantesque ; en revanche elle amène une nouvelle distribution des cartes au potentiel considérable.
Que va-t-il advenir des Vengeurs par exemple ? Les Puissants Vengeurs, tels qu'assemblés par Iron Man, sont condamnés. Norman Osborn va créer son propre commando. Les Nouveaux Vengeurs ne semblent pas prêts de quitter leur clandestinité et des personnages liés au nom même de ce groupe pourrait logiquement les rejoindre, ponctuellement ou durablement - le nouveau Captain America, Mockingbird, voire Thor. Iron Man lui-même va inévitablement devoir répondre de ses actes après avoir échoué à mater les rebelles d "registration act" mais aussi à éviter l'invasion Skrull - comment va s'en sortir le justicier en armure rejeté par le gouvernement, l'opinion publique et ses amis de toujours (Captain America et Thor) ?
Bendis s'affirme en tout cas comme un scénariste de l'échec : comme dans la série New Avengers où les héros ne comptent que peu de succès, Secret Invasion se clôt sur la défaite des "gentils". Ni les Nouveaux, ni les Puissants Vengeurs n'avaient anticipé l'invasion : résultat, c'est un détraqué notoire comme Osborn père qui hérite des commandes de la sécurité du monde.
Il faut au moins une victime importante pour mesurer l'impact d'une telle histoire : après l'hécatombe de mutants d'House of M, l'assassinat de Steve Rogers au terme de Civil War, c'est la Guêpe qui est sacrifiée - certes, cette héroïne a souvent été mal exploitée mais retenons qu'elle fut l'un des membres fondateurs des Vengeurs il y a plus de 40 ans.
Après avoir estampillé ses productions du sceau de "L'Initiative" au terme de Civil War, Bendis a jeté l'univers Marvel dans le "Dark Reign". Qu'importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ? En tout cas, même en ayant orchestré, de manière plus ou moins inspiré, les évènements, le scénariste a réussi à imposer un nouvel état de fait à tout le Marvelverse. L'avenir nous dira si cela donne de bonnes histoires, si cela valait le coup, mais l'Histoire retiendra que c'est par Bendis que Marvel sera entré dans cette ère.
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Visuellement, le travail abattu par Leinil Yu a divisé le lectorat : encré par Mark Moralès, l'artiste rend, il est vrai, une copie contrastée, à l'image du script lui-même.
S'il excelle dans l'exercice si abondant aujourd'hui des double-pages où une multitude de personnages s'étripent, le dessinateur n'a pas la minutie d'un Steve McNiven (sur Civil War) ni le dynamisme d'un Olivier Coipel (sur House of M) ni l'esthétisme baroque d'un Gabrielle dell'Otto (sur Secret war). Parfois son découpage est brouillon ou sommaire : à sa décharge il n'est pas toujours aidé par un récit multipliant les points de vue (inégalement exploités) et animant une quantité cauchemardesque de protagonistes. Sans doute qu'un George Pérez, passé maître dans l'art d'illustrer ce genre de foire épique, aurait mieux convenu...
Mais il faut cependant créditer Yu d'avoir livré ses épisodes sans retard, ce qui mérite le respect vu l'ampleur du récit et du casting, et son trait a gagné en élégance et en clarté grâce à l'encrage de Moralès.
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Secret Invasion, en somme, comme souvent avec les productions de ce genre, n'échappe pas à certaines maladresses : c'est un crossover qui a les défauts de ses qualités, son intérêt est presque plus d'aboutir à un nouveau statu quo prometteur que d'être une mini-série passionnante et réussie. Mais Bendis est au moins parvenu à changer profondèment la donne : à mon sens, ça valait le coup.

jeudi 3 septembre 2009

Critiques 100 : Revues VF Septembre 2009

DC TRINITY 2 :
- DC Trinity 8 à 14. L'autre "event" DC sort lui aussi tous les deux mois, comme Final Crisis, mais propose une histoire d'un style complètement différent puisqu'il s'agit d'un feuilleton en 52 chapitres, réalisé par le tandem Kurt Busiek-Mark Bagley (mais dépouillé de ses back-ups dont le scénariste et les artistes sont différents).
Bien que se déroulant dans la continuité, sa lecture est beaucoup plus abordable pour le non-initié, même si Busiek s'amuse avec la mythologie DC - en premier lieu celle de la fameuse "trinité" formée par Superman, Wonder Woman et Batman.
Dans le précédent numéro, nous avions vu qu'un duo de méchants, Morgane la fée et Enigma, cherchait à incarner une trinité alternative et, tout en s'en prenant de manière détournée aux trois héros, proposait à Despero une alliance pour accomplir leur plan.
Superman, Wonder Woman et Batman vont poursuivre leur enquête pour savoir qui veut les manipuler... Et se retrouver sur la Terre d'anti-matière, une planète fonctionnant de manière opposée à la nôtre, où le Mal règne. La JLA prête main-forte aux justiciers et va combattre le Syndicat du Crime d'Amerik, comptant dans ses rangs Ultraman, Superwoman, Owlman... Quitte à provoquer des évènements qui les dépassent.
Cette saga reste un régal à suivre : l'histoire est menée sur un train d'enfer qui submerge le lecteur tout en ménageant des rebondissements jubilatoires. Busiek s'amuse (et nous distrait) génialement en dôtant ses trois vedettes de traits de caractère inattendus : ce qui en résulte est savoureux et épique ! Un vrai régal.
Mark Bagley est le dessinateur idéal pour cette entreprise : le dynamisme de son trait, la vitalité de son découpage se marient parfaitement à la furia permanente du récit. Il est en outre bluffant de voir comment cet illustrateur tout juste débarqué chez DC s'est adapté aux héros de la firme : on a l'impression qu'il les a animés toute sa vie. Il était fait pour eux !
Même amputée de ses back-ups, DC Trinity est une BD jouissive - dommage qu'il faille attendre deux mois (et payer 5,40 E) pour chaque numéro...

DC UNIVERSE HS 14 :
- Final crisis : requiem 1 - Funérailles martiennes. La publication, disons "spéciale", de FC et ses tie-in se poursuit donc dans ce nouveau numéro. Mais, reconnaissons-le, la qualité y est et cet épisode le prouve.

Peter Tomasi, accompagné par un Doug Manhke en forme olympique (mais je dois avouer mal connaître cet artiste dont je n'ai vu que le travail dans la série 7 SOLDIERS, écrite par Morrison), revient sur les circonstances et les conséquences du décés tragique de J'onn J'onzz, la Martian Manhunter, assassiné par Balance.
C'est l'occasion de se pencher également sur les faits marquants de la carrière de ce héros atypique, pilier de la JLA.
L'idée de consacrer un volet entier à cet évènement dans l'évènement est, je trouve, bienvenue car, dans la saga principale, la mort du personnage était finalement trop rapidement expédiée et noyée dans le flot des rebondissements.
Tomasi rédige tout ça avec efficacité et un certain lyrisme, sans sombrer dans la facilité. C'est intense et bien mené : que demander de plus à un scénario aussi délicat sur un thème pareil (la disparition et l'enterrement d'un super-héros) ?

Graphiquement, c'est somptueux : dès la 2ème page, on a droit à une "splash" assez extrardinaire - et le reste est du même calibre. L'encrage est aussi un modèle du genre, d'un raffinement d'orfèvre.

- Final Crisis 3 : Voici le mal. Retour à l'histoire centrale où, là non plus, Grant Morrison et JG Jones continuent pied(s) au plancher.

Jay Garrick n'en revient toujours pas du retour de Flash/Barry Allen, Mary Marvel piège sournoisement Wonder Woman dans le cadre du grand plan ourdi par Darkseid, tandis que Superman veille Lois Lane, Green Lantern se fait embarquer manu militari, et Mr Miracle, Sonny Sumo et les super-héros japonais tentent d'organiser la riposte...

La densité du récit reste assez extraordinaire et l'on est surpris de voir que tout ça tient finalement "seulement" en une trentaine de planches. En même temps, il faut être attentif et s'accrocher car l'objet est "morrisonnien" par excellence, à la fois complexe, déroutant et singulier. De l'art de manier les codes des comics mainstream avec un style unique !
Jones signe des planches comme on en voit peu dans ce type de production et ses efforts rendent complètement justice à cet univers baroque, à cette intrigue détraquée, où des figures iconiques sont vraiment malmenées. Bientôt, Pacheco viendra le seconder - ce qui ne devrait pas gâcher la vue.

- DC Universe : Transformations. Tout d'abord, huons Jérémy Manesse pour avoir traduit aussi stupidement le titre original (Last will and testament) : une initiative qui ne fait pas honneur au modérateur du forum Panono...

Puis concentrons-nous sur ce chapitre, là aussi très noir, dans lequel nous suivons Géo-Force aux trousses de Deathstroke dont il veut (et va) se venger depuis longtemps.

Les amateurs de ce que Brad Meltzer fait le mieux (un récit polyphonique et tendu) seront à la fête avec cet épisode, entrecoupée de saynètes où des héros connus du DCverse se préparent diversement à la fin du monde. Le duel pivotal entre le bon et le méchant est plein d'exagérations, de grandiloquence, qui nous rappelle que les comics de ce genre doivent autant à l'action qu'au mélodrame.

Visuellement, Joe Kubert s'est partagé le travail avec un de ses fils, Adam, pour livrer des planches inégales : personnellement, j'aurai préféré un graphiste unique, tant les styles du père (illustre) et de son rejeton se marient assez mal.

Bilan : un numéro riche, plus abondant, et de très belle facture.
MARVEL ICONS 53 :

- Les Nouveaux Vengeurs 47 : L'Empire (8). Alors qu'on était en droit d'attendre la suite de l'épisode du mois dernier avec the Hood, Bendis remet ça à plus tard pour nous livrer un chapitre plutôt inattendu.

En effet, le scénariste choisit de s'intéresser au couple Luke Cage-Jessica Jones, lorsque celle-ci a retrouvé le père de celui qui n'était pas encore son mari. Ce flash-back sert de prétexte pour évoquer leur rôle actuel de parents, dont le bébé a disparu avec le skrull-Jarvis introuvable après la bataille finale contre les envahisseurs...

Cet arc, qui en est déjà à sa 8ème étape (autant que le nombre d'épisodes du crossover Secret Invasion auquel il fait écho), est décidemment bien déroutant et inégal, alternant de très bons passages et d'autres tout à fait dispensables. C'est hélas ! le cas de celui-ci, dont le propos est vraiment anecdotique et la chute redondante avec celle d'une scène de SI.

Co-illustré par Billy Tan (en petite forme) et Michael Gaydos (guère convaincant, je trouve), il n'est même pas sauvé par ses dessins.

- Secret Invasion : Requiem 1. Le premier bouche-trou du numéro où l'on voit Hank Pym décider de devenir la nouvelle Guêpe (!) en hommage à Janet Van Dyne, morte dans SI.

C'est assez accablant pour tout dire : écrit avec ses pieds par le piètre Dan Slott (qui succède à Bendis sur Les Puissants Vengeurs dont Pym va devenir le nouveau leader) et affreusement dessiné par le toujours aussi mauvais Koi Pham, on se demande bien ce qu'on a fait pour mériter ça - une idée nulle, exécuté aussi nullement.

- Invincible Iron Man 7 : Les 5 cauchemars (épilogue). La purge continue avec ce nouvel exemple de médiocrité servi chaud par Matt Fraction au scénario et Salvador Larroca au "dessin" (même si ça fait mal d'appeler ça du dessin).

Pauvre Tony Stark : l'alcool, bientôt la disgrâce... Et une des pires équipes créatives pour l'animer !

- Captain America (vol. 5) 43 : La flêche du temps (1). Brubaker entame un nouvel arc où passé et présent s'entrecroisent... Et c'est toujours aussi magnifique !

Bucky est hanté par son passé de Winter Soldier mais aussi par des épisodes de la seconde guerre mondiale lorsqu'il agissait aux côtés des Invaders. Même la Veuve Noire, avec laquelle il a repris sa liaison amoureuse, est impuissante à l'apaiser... Et voilà que le mercenaire français Batroc resurgit pour exécuter un contrat !

Cette série reste le haut de gamme de la revue, ne décevant jamais et rebondissant une nouvelle fois pour nous embarquer dans une histoire déjà palpitante. Brubaker sait comme personne nous entraîner sur une piste tout en en creusant déjà une autre : on est saisi et impatient de lire la suite. L'essence même des comics par un grand feuilletonniste !

Luke Ross illustre ce chapitre avec un trait vif et élégant, tout à fait digne des standards imposés par les précédents artistes de la série (Epting en tête). Et les couleurs de Frank d'Armata assurent la cohérence esthétique avec une classe égale.

- Fantastic Four Cosmic-Size Special 1 : Asile de fous (2). Suite et fin du récit entamé dans le n° précédent... Et toujours aussi affligeant !

Les dessins sont aussi laids que l'intrigue est indigente. Décidemment, il me tarde de retrouver Millar et Hitch le mois prochain...

Bilan : très mitigé ! Captain America survole la mêlée - c'est la seule chose à retenir.
WOLVERINE 188 :

- Wolverine 71 : Old Man Logan 6. Contre vents et marées, je continue mon plaidoyer pour le run de Millar et McNiven, dont ce nouveau volet est encore une fois éblouissant.

Logan et Hawkeye reprennent la route, poursuivis par... Un T-rex vampirisé par Venom ! C'est alors que Flêche Noire puis Emma Frost interviennent pour les sortir de ce pétrin.
Puis le duo arrive enfin à New Babylon, dominée par une statue de Crâne Rouge, et où Clint Barton va livrer sa mystérieuse marchandise. Le deal ne va pas exactement se passer comme prévu...

Le voyage proprement dit des deux héros touche à sa fin, mais les ennuis ne sont pas résolus pour autant : Millar dispose ses pions avec une habilité diabolique en nous offrant encore une fois des passages mémorables - le sort d'Hank Pym, l'apparition fugace mais déjà inquiètante de Fatalis, les allusions au passé d'Emma Frost...

Je crois que le scénariste, tant décrié pour sa manie à survendre chacune de ses productions, ne s'est quand même pas beaucoup trompé en déclarant que son Old man Logan ferait partie de ses meilleures oeuvres.
Qu'ajouter sur le travail somptueux de McNiven que je n'ai déjà dit ? Encore une fois, après déjà tant de morceaux de bravoure, il réussit à m'épater. Sensationnel, oui : une telle maestria graphique place cette bd au-delà du lot commun.

- Wolverine origins 30 : Péché originel 5. Quand on ne suit pas ce crossover Wolvie-X-men, ça devient dur de comprendre tous les enjeux et la construction de cette intrigue - même si un résumé dans le sommaire fait office de rustine.

Néanmoins, au terme d'habiles manipulations télépathiques, le Pr Xavier réussit l'impensable en parvenant à donner à Logan et son fiston un but commun : retrouver Romulus, à l'origine de leurs problèmes, et lui faire la peau.

Daniel Way propose un récit toujours animé, adroit, qui va à l'essentiel tout en s'autorisant quelques circonvolutions. C'est plaisant, même si, donc, sans lire les X-men, il manque des pièces au puzzle et cela freine le plaisir.

En revanche, impossible d'être déçu par Deodato qui livre encore une fois (avant de passer le relais à Yanick Paquette) des pages superbes où éclate son art du clair-obscur, des contrastes violents, des découpages nerveux.

Très bon numéro. Vivement le prochain !
SECRET INVASION 8/8 :

- Secret Invasion 8 : parlons peu, parlons bien, ne spoilons pas, et comme au PS, aimons-nous les uns les autres. Donc, dans le numéro de ce mois-ci, qui conclut avec fracas la saga qui a enchanté petits et grands, krees et skrulls, buzzukis et Panini, hé ben... Il s'en passe des choses !

Disons, sans en dire trop, que la Guêpe, elle a mauvaise mine. Et puis qu'Iron Man, il a l'air soucieux. Et que Thor, il est encore super-NRV contre Tony Stark. Captain America/Bucky, lui, il préfère s'en aller en tournant les talons et le bouclier, parce que c'est pas tout ça, mais c'est crevant, la guerre. Je crois aussi que plein de personnages disparus reviennent, mais je ne dirai pas qui parce que ça déchire trop sa race. Et puis, à la fin, Norman Osborn... Non, ça, je peux pas le dire : c'est trop énorme. Mais enfin, bon, le temps va se couvrir, le royaume s'assombrir... Bref, quelque chose me ddit qu'on va pas rigoler des masses dans les prochains mois. Et même qu'il pourrait y avoir encore une nouvelle équipe de Vengeurs. Et des Vengeurs Noirs en plus !
Bendis, calisse, c'est quand même un malin de chez malin, et Marvel, même avec les oreilles de Mickey, c'est déjà les Rapetou ! Tout ça pour avouer que, moi, j'ai quand bien aimé ce dernier numéro, ce qu'il annonce, et la saga en général (même si elle a eu un coup de mou au milieu).

Et Yu... Ce mec, je le kiffe trop, mais je comprendrai qu'après avoir dessiné une moyenne de cent personnages par numéro, il prenne des vacances ! Enfin, il a réussi à boucler tout ça dans les temps, en nous offrant des planches parfois assez ébouriffantes... Et rien que pour ça, je dis : chapeau Leinil (même si je ne porte pas de chapeau) !

C'était quand même mieux que WORLD WAR HULK. Je ne sais pas trop quel sera le prochain grand event de la mort qui tue, mais ç'aura été divertissant. Moins puissant que CIVIL WAR, mais bien quand même.

- Secret Invasion : Ligne de front 5 - Le règne du mal. Le titre résume assez bien la chose : il faut vraiment être possédé par une force maléfique assez puissante pour accoucher d'une mocheté pareille... Déjà mal écrite à la base, c'est vrai, ça n'aide pas !

Et si on oubliait ?

Bilan : un bon B+. Tout ça ne va pas être super-fun pour la suite, mais ce serait encore moins marrant si ça se terminait vraiment bien, non ?