lundi 28 juin 2021

DES NOUVELLES NOUVELLES TOUTES FRAÎCHES

C'est reparti pour une nouvelle fournée de news. Forcément, en cette fin de mois, elles sont moins nombreuses car les éditeurs en gardent sous le pied et que déjà pas mal d'infos ont été communiquées. Comme d'habitude, celles que je livre et commente ici sont une sélection personnelle.

*

MARVEL COMICS :


Marvel, c'est un peu la course à l'échalote. L'éditeur doit en permanence occuper le devant de la scène pour confirmer son statut de leader, de locomotive du marché, et dans le flot d'annonces, l'une chasse souvent l'autre. C'est une stratégie, qui reste payante quoi qu'on en dise. Par ailleurs, au moment où la crise sanitaire semble se tasser (mais cela ne veut pas dire qu'elle est derrière nous), Marvel donne le la, aussi bien dans les bacs de comics que dans les salles de cinéma où leurs blockbusters reviennent (bientôt Black Widow, puis Shang-Chi, Les Eternels...).
Parmi les nouveautés en Août, donc très bientôt, un relaunch de Black Panther. Ta-Nehesi Coates vient de conclure un run de 25 numéros, après un long délai, et avec la colaboration de Brian Stelfreeze, Chris Sprouse et Daniel Acuña. Je n'ai absolumement jamais accroché à ce qu'il a écrit en deux volumes, même si graphiquement c'était très beau. Pour moi, c'est assez simple : Marvel s'est payé un auteur renommé pour ses essais sur la communauté noire comme une sorte de caution morale pour la série d'un de leurs héros africains emblématiques, après le succès du film de Ryan Coogler, mais être un bon écrivain/essayiste ne donne pas forcément les compétences pour être aussi un scénariste de comics.
Pourtant, c'est dans cette direction qu'a décidé de persévèrer Marvel en nommant John Ridley comme nouveau pilote de Black Panther. Ridley a gagné l'Oscar du meilleur scénario adapté pour 12 Years of Slave en 2013. Cette reconnaissance lui a valu d'être courtisé par les éditeurs majeurs de l'industrie et il s'est illustré chez DC avec Future State : The Next Batman. Il signera à la rentrée une nouvelle série mensuelle, I Am Batman, dessinée par Olivier Coipel.
Suivant la même logique donc, Marvel a demandé à un auteur noir d'écrire les aventures d'un super-héros noir, Black Panther, comme si cela suffisait. Sauf qu'on ne peut pas dire que The Next Batman a ébloui beaucoup de lecteurs par le brio de son récit. Souhaitons à Ridley d'être plus inspiré avec Black Panther.
Toutefois, malgré mes réserves, il y a quand même un point très positif dans cette reprise car Ridley sera aidé par Juann Cabal au dessin. J'ai adoré sa prestation sur Guardians of Galaxy, écrit par Al Ewing, où son talent éclatait dans des pages folles, parfois dignes d'un JH Williams III. Si Cabal (qui commence à se tailleur une belle réputation, au point que Marvel en a fait un de ses "Stormbreakers", les artistes sur lesquels l'éditeur mise pour le futur) est dans la même forme, alors ça promet.
Alex Ross signera les couvertures de ce nouveau volume de Black Panther.
  

La semaine dernière, j'évoquai la fin du run de Nick Spencer sur The Amazing Spider-Man en souhaitant bonne chance à son successeur, encore inconnu, car c'est un job nécessitant de tenir un rythme de travail insensé. Quand on écrit Spider-Man, qui reste le personnage le plus populaire de Marvel, pas question de livrer un seul épisode par mois et des events quand ça vous chante, il faut usiner pour la machine à cash que représente le Tisseur et combler ses fans (même si ceux-ci râlent en estimant qu'on les prend pour des vaches à lait).
Et puis dans le courant de la semaine, Marvel a teasé la suite, d'abord en diffusant cette image ci-dessus, avec ce hashtag #SpiderManBeyond. Le Tisseur y apparaît mal en point, bien que Mary Jane Watson l'embrasse tendrement. Vous noterez aussi la présence d'une bague à l'annulaire de la jeune femme, de quoi relancer les rumeurs d'un mariage avec Peter Parker (même si la bague est à la main droite, mais peut-être l'image a-t-elle été inversée). De là à supposer que Marvel allait tuer Peter Parker (comme Stephen Strange)...


... Il n'y avait qu'un pas. Qui, apparemment, va être franchi. Enfin, en gardant à l'esprit que personne ne meurt définitivement dans l'univers Marvel (à part Captain Mar-vell, l'oncle Ben et Gwen Stacy). Mais qui pour assurer cet intérim ? 
En ce moment, chez Marvel, on aime bien se rappeler les années 80-90 : la série Avengers de Jason Aaron invoque Heroes Reborn, les X-Men de Jonathan Hickman se préparent à Inferno. Donc, Spidey rappelle Ben Reilly alias Scarlet Spider, resté fameux depuis la Saga du Clone (1994-96). En vérité, le personnage est apparu bien avant, dans The Amazing Spider-Man #149 en Octobre 1975, créé par le Chacal. Mais son heure de gloire attendra vingt ans dans une histoire controversée (encore aujourd'hui).
J'avoue ne jamais être parvenu à lire intégralement La Saga du Clone, donc je ne vais pas prétendre vous la résumer ici. Mais à l'époque, tout s'était terminé dans une grande confusion et un vrai scandale parce que Marvel avait voulu remplacer Peter Parker par Ben Reilly, ce qui avait provoqué l'ire des fans du premier. Malgré cela, Ben Reilly conservait un noyau dur de supporters, estimant qu'il faisait un meilleur Tisseur que l'original, et il hérita de son propre titre, Scarlet Spider, dont la carrière éditoriale a connu moults soubresauts.
Pour orchestrer ces grandes manoeuvres, on trouve Zeb Wells (actuellement scénariste de Hellions) : c'est lui qui a pitché la relance à Marvel et qui en sera un des auteurs. Mais il ne sera pas seul car la série sera désormais publié à raison de trois fois par mois (ce qui rappelle l'époque Brand New Day, consécutive au départ de J. Michael Straczynski). En plus de Wells donc, ce seront Kelly Thompson (Black Widow), Saladin Ahmed (Miles Morales : Spider-Man), Cody Ziglar (Rick & Morty) et Patrick Gleason (qui serait donc parmi les scénaristes, et non un des artistes) qui présideront à la destinée de Ben Reilly/Spider-Man. 
Les dessinateurs sont encore inconnus. Peut-être que Gleason va quand même réaliser quelques épisodes (ceux qu'il écrira ?). Mark Bagley en sera aussi, j'en suis sûr. Mais il faudra du monde pour faire tourner tout ça. Donc le résultat risque de ne pas être très homogène visuellement.
Franchement, ça ne me donne pas envie, mais c'est impossible de ne pas en parler (comme d'éviter Batman chez DC).


Dans ma récente critique de Way of X #3, intégré à l'event Hellfire Gala, j'avais déjà vendu la peau de l'ours, mais j'y reviens. Le titre, récemment lancé par Si Spurrier, (en provenance de chez DC) et Bob Quinn, va s'arrêter au #5 avec un numéro spécial intitulé Onslaught Revelation.
En effet, dans Way of X, Diablo, allié à Légion et le Dr. Nemesis, découvre qu'une entité malveillante hante Krakoa. Il s'agit du parasite psychique surpuissant Onslaught, originellement l'amalgame des pensées les plus sombres de Charles Xavier et Magneto, qui fut l'inspiration d'un célèbre event des années 90 (encore !). A la fin du troisième épisode, au lendemain du gala du Club des Damnés, le Dr. Nemesis rédige un rapport confidentiel dans lequel il s'interroge sur le danger qui menace le Pr. X, possiblement affecté par Onslaught (ce qui expliquerait, a posteriori, son comportement étrange depuis HoX-PoX) et qui compromettrait toute la communauté de l'île.
Way of X a été un échec critique et commercial. Mais était-ce évitable ? Je crains que non car la franchise X reboostée par Hickman a évidemment fait pousser des aîles à Marvel et son editor Jordan White qui a développé la gamme de revues en dépit du bon sens avec des séries dont la viabilité était illusoire.
Si Spurrier avait déjà commis il y a quelques années Cable & X-Force (avec l'infâme Salvador Larroca au dessin), puis s'était refait la cerise chez DC en écrivant The Dreaming, un spin-off du Sandman de Neil Gaiman, puis quelques épisodes de Justice League après le run de Scott Snyder. Débauché apr Marvel, le scénariste a multiplié les déclarations ronflantes comme quoi on allait voir ce qu'on allait voir et que Way of X allait bouleverser l'univers mutant via le personnage de Diablo et son projet de fonder une religion sur Krakoa à cause des doutes qu'il avait concernant l'Epreuve (the Crucible) et les résurrections.
Mais entre l'ambition et le résultat, il y a un gouffre. Avec un dessinateur plus que moyen (Bob Quinn), un casting improbable (Diablo - que j'adore mais qui n'a jamais assuré le succès d'une série avec lui en vedette - , Dr. Nemesis, Légion), tout ça a fait "pschitt !". Et même si Spurrier assure que Onsluaght Revelation ne sera que la fin de la première "saison" et qu'il a plein d'idées pour la suite, il y a peu de chance qu'on revoit Way of X (ou son équivalent avec un nouveau titre) dans les bacs. 
Pour moi, ce n'est que justice parce qu'au premier rang des reproches de cette idée, il y a ce qui est fait de Diablo. Son créateur, Dave Cockrum, avait tatonné pour l'imaginer : d'abord conçu pour la Légion des Super Héros chez DC, puis repris pour les X-Men comme un démon vraiment chelou, il est finalement devenu l'archétype du swashbuckler, l'aventurier des films de cape et d'épée, ou des récits de pirates. Dépossédé de son personnage, Cockrum pestera jusqu'à sa mort sur la cractérisation qu'en firent les scénaristes, car Kurt Wagner devint ensuite un homme d'église, une sorte de curé chez les X-Men - seul son rôle dans Excalibur (surtout la période Alan Davis) et Amazing X-Men (de Jason Aaron) renouera avec la version original de l'elfe bondissant. Malheureusement, comme beaucoup de ses devanciers (Hickman compris), Spurrier a préfé le curé Diablo (en le décrivant d'une manière déplaisante, limite réactionnaire).
Ce problème, c'est celui que la franchise va devoir affronter maintenant, sans doute en arrêtant de lancer de nouveaux titres ou en utilisant des appellations sans un casting approprié (comme Excalibur). Une franchise perd de sa force en se dispersant et en voulant occuper l'espace avec des projets qu'au fond les lecteurs ne désirent pas. C'est pour cela que des séries comme X-Factor (dans une fonction et avec des éléments sans rapport avec son incarnation la plus populaire) s'arrêtent au bout de 10 épisodes, et je ne donne pas cher de Children of the Atom.


Inferno se dévoile un peu plus, mais Jonathan Hickman, fidèle à lui-même, verouille la communication autour de sa prochaine aventure chez les mutants. J'ai questionné sur Twitter Valerio Schiti, un des artistes de l'event, pour savoir quelle quantité il allait réaliser. Bien sûr, il n'a pas pu me le révèler, mais j'ai l'impression qu'il va dessiner la majorité des quatre épisodes, tandis que Stefano Caselli et RB Silva (par ailleurs occupés par SWORD et Fantastic Four) se chargeront de parties spéciales (des flashbacks ou des flashforwards peut-être, par exemple).
Il semble aussi que ce soit Jerome Opena qui signera les couvertures régulières. En tout cas, un visuel du #1 a été dévoilé avec les solicitations de Septembre et l'image est glaçante à souhait avec les membres du conseil de Krakoa (y compris Mystique, qui est censée mettre littéralement le feu aux poudres) gisant parterre tandis que Moira McTaggert est debout au milieu d'eux.
Vite, vite, j'en peux déjà plus !

*

Je termine par ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Warren Ellis, et par extension tout ce qui concerne les problèmes de sexisme, d'agressions sexuelles dans l'industrie des comics.

Warren Ellis a été dénoncé il y a un peu plus d'un an par plusieurs femmes, dont certaines ont travaillé avec lui (comme la dessinatrice Colleen Doran), pour ses écarts de conduite. Le scénariste modérait et participait un forum sur son site et en profitait pour nouer des contacts avec des femmes. Il en rencontrait certaines, après leur avoir demandé des photos, et révélait alors une attitude déplacée, leur faisant des avances sexuelles. Dans le travail, il était réputé également pour être un auteur aimant profiter de son autorité et de sa notoriété (comme l'a avoué Doran).

Ellis n'est pas le seul homme à s'être mal conduit dans le milieu des comics, mais la libération de la parole des femmes avec le mouvement #Metoo a permis de nommer les individus qui avaient dépassé les limites. Scott Lobdell ou l'editor Eddie Berganza (chez DC) ont fini, après avoir été couvert par leurs employeurs pendant des années, par être débarqués. Ellis, lui, s'est d'abord vu retirer un projet de spin-off à l'event Death Metal de Scott Snyder, puis la mini-série Batman's Grave a failli être annulée (mais sans doute par respect pour le travail de Bryan Hitch et parce que Batman rapporte toujours gros) est allée jusqu'au bout. 

D'abord muet, le scénariste s'était fendu d'un premier communiqué, maladroit (puisqu'il y parlait plus de lui que de ses victimes) :

"Il me faut parler de différentes affirmations qui ont été faites récemment à mon encontre.

Je ne me suis jamais considéré comme célèbre ou puissant, au point où j'ai fait plein de mauvaises blagues là dessus pendant une vingtaine d'années. Ca ne m'a jamais frappé que d'autres personnes pouvaient voir la chose différemment - que je ne m'adressais pas à d'autres comme un égal en leur accordant de l'attention, mais comme quelqu'un avec une position de pouvoir et de privilèges. Je ne l'ai pas pris en compte dans un grand nombre d'interactions personnelles, et cette faute m'appartient.

Alors que j'ai fait plein de mauvais choix par le passé, et que j'ai dit de vilaines choses, laissez moi être clair : je n'ai jamais consciemment exercé de pression, manipulé ou abusé de quelqu'un, et n'ai jamais agressé personne. Mais j'ignorais la position dans laquelle je me trouvais à une époque où ça aurait dû être clair et j'en accepte la responsabilité à 100%.

J'ai profondément blessé des gens. J'ai honte de ces fautes et je suis profondément désolé. Je ne m'exprimerai pas contre les vérités personnelles des autres, et je ne les exposerai pas à la toxicité de la polémique actuelle. J'aurais dû être plus attentif, présent et respectueux des sentiments des autres - et je m'excuse de cela. J'ai connu des fins d'amitiés et de relations, parfois amères, souvent causées par mes propres échecs, et je continue de regretter et de m'excuser de la douleur que j'ai pu causer.

J'ai toujours voulu aider et soutenir les femmes dans leur vie et leur carrière, mais j'ai blessé beaucoup de personnes que je n'avais pas l'intention de blesser. Je suis coupable. Je prend la responsabilité de mes erreurs. Je ferai de mon mieux, et à cet égard, je présente mes excuses.

Je m'excuse auprès de mes amis et collaborateurs d'avoir créé cette situation, et j'espère qu'on les traitera bien. Les fautes et les mauvais choix de ma vie personnelle ne concernent personne d'autre que moi. 

Nous avons tous les jours des responsabilités envers les uns les autres. Et j'ai, par le passé, trop souvent déçu des personnes. J'espère un jour être digne de la confiance et la gentillesse qu'ont placé en moi mes collègues et amis.

Je vais continuer d'écouter, d'apprendre, et lutter pour être une meilleure personne. J'ai cherché à faire amende honorable avec certains, alors qu'on m'a mis au courant de mes transgressions, et continuerai de le faire. Je me suis excusé, m'excuse, et m'excuserai tout en prenant la responsabilité de mes actions sans équivoque.

Je vais à présent être silencieux, et écouter plus que parler, car d'autres voix ont bien plus d'importance que la mienne à présent."

Puis Ellis s'est tu à nouveau. Lâché par ses collaborateurs (comme Declan Shalvey, le dessinateur de Injection) et les éditeurs, c'était sans doute la meilleure solution de repli pour calmer les esprits. Les femmes abusées psychologiquement par Ellis se sont rassemblées sous la bannière SoManyOfUs, collectant les témoignages (pas seulement contre Ellis)

Puis il y a quelques jours le dessinateur Ben Templesmith a posté sur les réseaux sociaux qu'il comptait achever la série Fell, écrite par Ellis, et publiée par Image Comics. Dans la foulée, Image a répondu qu'il était hors de question de publier les derniers épisodes avant que Ellis ne s'"amende auprès de SoManyOfUS", sans qu'on sache exactement comment il devrait s'amender. L'association de victimes s'est fendu d'un communiqué :

"Lorsque nous avons mis en ligne SoManyOfUs.com le 13 juillet 2020, nous n'avions pas exprimée l'envie 'd'annuler' Warren Ellis. Nous voulions surtout échanger sur les façons constructives d'aborder un problème bien trop commun, de comportements abusifs de la part des hommes de pouvoir. Nous avions proposé aux personnes concernées de réfléchir à leurs actions passées et de considérer comment - et pourquoi - elles ont pu faciliter des comportements dans des environnements toxiques. Nous cherchions à appeler à l'ouverture, à la responsabilisation et au fait d'aller de l'avant, en proposant de travailler avec Ellis sur une forme de justice transformatrice. 

Depuis sa déclaration publique d'il y a un an, à la connaissance des autrices [du collectif], Ellis n'a toujours pas pris de responsabilité directe pour son comportement destructeur et n'a pas cherché à se pencher sur les circonstances qui permettent à ce genre d'attitude de continuer sans contrôle, en ligne comme hors ligne. 

Au cours de l'année passée, nous avons reçu de nombreux messages d'encouragements, tandis que nous étions aussi meurtries d'être contactées par d'autres victimes d'Ellis, ou par d'autres hommes qui avaient utilisé des mêmes méthodes pour abuser de leur pouvoir. Aujourd'hui, alors qu'Ellis revient aux comics sans chercher à s'amender envers qui que ce soit impliqué dans SoManyOfUs.com ou à reconnaître les conséquences de ses actions, le renouvellement d'un soutien public ardent et des appels à la responsabilité est rassurant. 

Nous réitérons notre appel, pour que Warren Ellis saisisse l'opportunité de devenir l'homme que tant de gens ont cru qu'il était."

Puis Warren Ellis a répondu, pour la première fois depuis des mois, éclairant d'un jour nouveau sa situation et l'avenir :

"On m'a informé aujourd'hui de la proposition du collectif So Many Of Us d'un dialogue avec médiation, et leur ai demandé la permission aujourd'hui d'intégrer ce dialogue. Je ne sais pas où cela nous mènera, mais ce que je sais, c'est que je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne plus faire partie du problème et ne plus répéter le passé en aucune façon. J'espère que ces conversations seront régulières et productives pour tous/toutes.

Il y a un an, j'ai fait cette déclaration.

A l'intérieur, j'ai fait de mon mieux pour répondre aux nombreuses accusations concernant mon comportement passé, au mal que j'avais causé, et aux effets négatifs de mes erreurs de jugement. J'en suis venu à réaliser que ces dommages persistent, et ont laissé des marques durables sur beaucoup de gens. 

Par le passé, j'ai été insouciant et irréfléchi dans la façon d'aborder mes relations personnelles, et je m'excuse à nouveau sans aucune réserve. Depuis l'année passée, j'ai entamé une thérapie et pris d'autres mesures pour améliorer mon comportement, et je continue d'intégrer l'aide et les conseils qu'on a pu me donner. J'ai eu beaucoup de conversations difficiles avec des personnes qui sont ou ont été proches de moi, et je continuerai dans cette voie. Je travaille sur ce changement. Je n'ai pas pris la parole parce que j'avais beaucoup de travail à faire, beaucoup de fautes à réparer, et je veux avancer consciencieusement sans causer plus de mal. 

Je suis bien sûr resté silencieux et isolé pendant trop longtemps, et j'aurais dû aborder le problème et avancer plus rapidement. Je m'en excuse.

Tout ceci aurait dû particulièrement être discuté avant que des nouvelles d'un nouveau projet parviennent de mon collaborateur [Ben Templesmith, donc, ndt]. C'est de ma faute et le bouquin a été annoncé prématurément, sans l'aval ou la connaissance d'Image Comics. J'aurais dû lui signifier avant toute chose que j'avais encore du travail à faire pour aborder mon passé. J'aurais dû travailler avec Image pour être sûr qu'ils étaient prêts et à l'aise à s'engager publiquement dans le projet quand j'avais encore bien du travail à faire sur mon passé. Ceci est un autre exemple de mes erreurs de jugement. J'ajoute maintenant [Templesmith] et Image à la liste des gens à qui je dois m'excuser.

Naturellement, essayer de réparer mes erreurs maintenant donne l'impression que la seule raison pour laquelle je m'exprime là est de protéger ce projet. Ce n'est pas le cas, mais ça n'a pas d'importance : ce qui est important, c'est que j'essaye de faire les choses bien - quelle que soit l'impression que ça donne de moi ou si le timing est bon ou mauvais. Voici ce que je pense :

J'ai eu presque un an pour méditer sur tout ce que j'ai appris sur la façon dont mon comportement a blessé d'autres [personnes] et je suis désolé. Le répéter encore et encore ne rendra les choses meilleures pour personne, mais à présent que j'ai eu le temps d'écouter, d'intégrer et d'avancer sur ce que j'ai compris, il y a plusieurs points supplémentaires que je voudrais ajouter.

Je reconnais que j'ai causé du tort. Ni mes intentions à ces moments, ou la perception que j'en avais, ne change cela. Pas plus que ça n'effacera le fait que le résultat de ces comportements a clairement affecté des personnes pendant des années, et a peut-être incité d'autres à avoir des comportements néfastes. 

Si vous êtes un lecteur qui me soutenait, hé bien merci, mais s'il vous plaît ne prenez plus ma défense. Le changement ne se produit pas en une nuit -- je suis au début d'un long chemin, et c'est une route qui n'a pas de fin définie -- et il ne se fait pas en vase clos. Si vous voulez me soutenir, alors soutenez les efforts envers la transformation des communautés, des industries et des lieux de travail.

Avançons. 

Je suis à présent en thérapie depuis près d'un an et continuerai de suivre cette partie du processus. 

Je ne continuerai de travailler sur de nouveaux projets qu'avec les collaborateurs qui m'auront exprimé être à l'aise avec cette idée. J'ai mis fin aux apparitions publiques, et je pense que j'ai encore du chemin à faire avant que ce genre d'activités soit à nouveau appropriée. Je suis reconnaissant envers mes collaborateurs qui continuent de s'associer à moi, et des conversations difficiles mais instructives que nous avons dû avoir pour en arriver là.

J'ai toujours gardé le secret sur mes donations caritatives, mais en cherchant des façons de contribuer au changement sans me mettre en avant, j'ai augmenté mes donations envers les groupes de soutien aux femmes. Plus récemment, mon dernier chèque de royalties a servi à financer d'un côté des thérapies pour de jeunes femmes et de l'autre à soutenir des créatrices au sein de l'industrie de la BD. J'espère faire plus et serai preneur des suggestions d'associations caritatives auxquelles je peux apporter un soutien à long terme.

Je ne sais pas ce que deviendra cette newsletter. Ca me manque de ne plus vous parler, mais je me suis engagé à parler moins, écouter plus et devenir meilleur. Vous êtes toujours 23 000, et ce serait une bonne chose d'utiliser cette plateforme à bon escient. Je vais continuer d'y réfléchir, prendre des conseils d'amis et faire un inventaire régulier.

Comme je l'ai dit précédemment - je suis désolé de vous avoir déçus, et je suis désolé d'avoir trahi la confiance que vous aviez placé en moi. J'espère, qu'au fil du temps, j'arriverai à en récupérer un peu. 

Sincèrement,

Warren"

(Merci à Comicsblog pour la retranscription et la traduction de ces messages.)

Et maintenant ? A l'époque où le scandale avait éclaté, j'avais rédigé dans ce blog une entrée un peu hâtive pour déplorer les excès de la justice médiatique envers Ellis et Cameron Stewart (pour des faits similaires et peut-être encore plus embarrassants, puisque lui draguait des mineures), dénonçant aussi l'hypocriseie et du milieu des comics (où beaucouo savait que des artistes et des éditeurs dérapaient) et des militant.e.s (qui prétendaient ne pas vouloir "annuler" les accusés mais ne portaient pas plainte contre eux, préférant les dénoncer sur les réseaux sociaux, ce qui revenait à les griller dans l'industrie et aux yeux du public).

Sur le fond, je n'ai pas changé d'avis. Je méprise les tribunaux que sont Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux, ces déversoirs à haine, sans modération, sans contradiction, sans retour. Par ailleurs, si quelqu'un comme Ellis a une oeuvre qui en a fait un homme jouissant d'un certain confort matériel indéniable, qui donc peut voir venir, se retirer un moment du milieu sans tomber dans la précarité, il n'en va pas de même pour un Cameron Stewart, qui n'a jamais eu une reconnaissance équivalente, et qui, au moment où ses errements ont été dévoilés, s'apprêtait à terminer un graphic novel sans avoir d'éditeur.

Mais je ne suis pas sans coeur ni aveugle. Je sais que Ellis, Stewart et d'autres n'ont pas eu un comportement exemplaire, approprié, convenable. Je refuse donc qu'on ignore ce qu'ils ont infligé de souffrances. Reste à savoir comment réfléchir à cela, sinon à comment le punir.

Je crois d'abord qu'il ne faut pas se prendre pour un juge. Ce que beaucoup trop font. J'ai lu des articles réclamant la tête d'Ellis, Stewart et compagnie, qu'il leur soit interdit de retravailler, de trouver un éditeur, condamnant même leurs fans pour les avoir lus et désirant découvrir de nouvelles oeuvres de leur part. C'est absolument délirant. Et j'assume complètement l'envie que j'ai de relire du Ellis, du Stewart car je rejette absolument cette hygiénisme culturel, moral de l'art, qui voudrait que seuls les artistes exemplaires soient abordables. Si on se met à purger les bibliothèques de tous ceux qui n'ont pas eu une existence conforme à la bienséance, alors il ne restera plus grand-monde dans les étagères mais surtout on se privera de bien des auteurs les plus passionnants. Sans compter que ce n'est pas parce qu'on est une enflure qu'on produit des oeuvres promouvant des actes décadents et répréhensibles.

Surtout, il ne faut pas confondre justice et loi. Si Ellis, Stewart et d'autres étaient poursuivis en justice, devaient répondre de leurs actes devant des juges, affronter les peines de leurs victimes, bref si leurs cas étaient règlés en bonne et due forme, visés par des procédures, alors oui, je pourrais changer complètement d'avis sur eux car je disposerai de tous les faits, il y aurait matière à débat avec des témoignages contradictoires, et un verdict. 

Mais en l'état, c'est impossible. D'un côté, il y a des hommes aux comportements déplacés, et de l'autre des victimes dont les souffrances sont variables. De quelles souffrances s'agit-il d'ailleurs au juste ? Car si ces femmes ont souffert psychologiquement, indéniablement, il n'est pas question de viol, d'attouchements. Warren Ellis et Cameron Stewart ne sont pas Harvey Weinstein. Je crois qu'il faut raison garder et considérer ces affaires avec mesure, sans sous-estimer les fautes, sans les exagérer non plus. Je ne pense pas, je ne penserai jamais que bannir, insulter des hommes est une solution. Je pense aussi qu'il faut, à un certain degré, séparer l'homme de l'artiste : un artiste peut être un dépravé complet et détestable mais quand même produire des oeuvres admirables, bouleversantes (Roman Polanski en est l'exemple parfait). Empêcher Polanski de tourner, ce n'est pas règler le problème Polanski, c'est le déplacer. Empêcher Ellis d'écrire, Stewart de dessiner ne servira à rien ni à personne, ça ne soulagera pas leurs victimes, ça n'améliorera pas ce qui passe dans le milieu des comics, ça ne corrigera pas leurs comportements.

Ellis dit qu'il suit désormais une thérapie et souhaite dialoguer avec SoManyOfUs. Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas sincère et pourquoi sa repentance ne serait pas valable. Je préfère en tout cas cette issue à des procès ou des éditos expéditifs.

samedi 26 juin 2021

BLACK HAMMER REBORN #1, de Jeff Lemire et Caitlin Yarsky


Jeff Lemire revient à sa série fétiche avec Black Hammer Reborn, dont le titre est un clin d'oeil à Heroes Reborn de Marvel (une relance dans les années 90). Le scénariste renoue donc avec Lucy Weber, dont il va nous conter l'histoire alors qu'elle a remisé le marteau de son père. Pour l'accompagner dans cette aventure jubilatoire, Lemire s'appuie cette fois-ci sur une jeune artiste, Caitlin Yarsky, qui va probablement y gagner ses galons de vedette.


1986, Spyral City. Lucy Weber a dix ans quand elle assiste à la bataille finale des héros et de son père, Black Hammer, contre l'Anti-Dieu. 1996. Lucy succède à son défunt père dans le rôle de Black Hammer et retrouve les héros disparus lors de la bataille.


2016, Spyral City. Lucy Weber a remisé son costume et le marteau de Black Hammer. Elle s'est mariée à Elliot avec qui elle a eu deux enfants, Joe et Rose, et vit dans un pavillon de banlieue. Elle a repris son travail, sous la coupe d'un chef qui ne l'apprécie guère. 


Sa vie passée d'héroïne ressemble à un vieux rêve. Seule Amanda Reyes, sa meilleure amie, au courant de son secret, lui rappelle encore son glorieux passé en lui conseillant de rempiler. Pour cela, elle n'hésite pas à lui révéler que Elliot la trompe.


A cela s'ajoute une manifestation menaçante en provenance de la Para-Zone en plein centre ville. Quand elle rentre chez elle, Lucy met Elliot à la porte puis entre dans son garage au fond du jardin, où elle a gardé le marteau de son père. Mais une faute irréparable lui interdit de le brandir à nouveau...

Inutile de tourner autour du pot : ça fait un plaisir fou de se replonger dans une nouvelle série Black Hammer. Jeff Lemire nous a régalés avec des spin-off comme Doctor Star and the Kingdom of Lost Tomorrows ou récemment Skulldigger + Skeleton Boy, mais malgré la fin officielle de Black Hammer, on avait envie de renouer avec les héros originaux de la franchise.

Le scénariste nous exauce, à sa manière, unique, fournie en références à son propre univers et à ceux de DC et Marvel, et pourtant parfaitement accessible, comme si l'histoire s'était terminée il y a peu. Lemire est vraiment un magicien, un narrateur exceptionnel, qui se fait plaisir et entend communiquer son plaisir au lecteur, simplement et intelligemment.

Mine de rien, pour Dark Horse Comics, le Black Hammer-verse est une planche de secours car Mike Mignola et Hellboy et ses dérivés tournent un peu en rond tandis que des licences lucratives comme Star Wars, Predator, Alien ont été rachetées par Marvel. A lui seul Lemire produit des séries ou supervise des titres en relation (comme Black Hammer : Visions, où des auteurs et artistes s'amusent avec ses créations) avec une force de travail bluffante. En retour, grâce au succès public et critique, Dark Horse lui fiche la paix, trop content de pouvoir compter sur cette manne. A part le Millarworld, je ne vois d'exemple aussi frappant sur l'univers développé par un auteur au sein d'une maison d'édition en aussi peu de temps et avec un tel retentissement.

A la fin de Black Hammer : Age of Doom, tout était bouclé. Les héros avaient vaincu l'Anti-Dieu et gagné un repos bien mérité ailleurs, tandis que Lucy Weber assumait l'héritage de son père en qualité de protectrice de Spyral City sous le masque de Black Hammer. Ce premier épisode de Black Hammer Reborn contient le programme de cette nouvelle série dans son titre : il s'agit d'une renaissance, d'un retour. Mais pas seulement par opportunisme.

Il ne fait aucun doute que Lemire a réactivé sa série principale parce qu'il en avait envie, qu'il avait quelque chose encore à raconter. Cela n'a rien à voir avec une opération purement commerciale (il peut s'en passer car il grouille de projets à droite et à gauche, avec Jock, Andrea Sorrentino, il n'a pas coupé les ponts avec DC, Marvel, Image...). Mais parce qu'il a un oeil sur ce qu'il fait et un autre sur ce que l'industrie produit, Lemire n'a rien laissé au hasard au moment de sous-titrer son retour à Black Hammer. Ainsi, c'est quand Marvel publie Heroes Reborn (par Jason Aaron et Ed McGuinness) et plus généralement adresse des clins d'oeil appuyés à des sagas des années 80-90-2000 (Inferno, The Last Annihilation), que Lemire choisit à dessein le même verbe (Reborn) : sa nouvelle saga renverra à ses précédents volumes tout en proposant autre chose (car, contrairement à Marvel, le Black Hammer-verse est encore jeune et surtout n'est pas écrasé par une continuité vieille de plusieurs décennies).

Comme si on l'avait quittée la veille, on renoue avec Lucy Weber. Elle a désormais la quarantaine, un mari, des enfants, et les soucis qui vont avec. Elle a surtout remisé son costume, son masque et son marteau, elle n'est plus une super-héroïne. Pourquoi ? On suppose d'abord que c'est pour sa famille, un boulot à temps plein, mais il faudra attendre la toute dernière page pour comprendre (à moitié) qu'elle a commis un acte terrible et a renoncé à cette partie de son existence. 

Lemire ne montre Lucy en Black Hammer que dans des flashbacks, qui rappellent les précédents volumes de la série ou une bataille ayant eu lieu après Age of Doom contre un vilain minable (Black Hole). Le scénariste fait aussi allusion à Skulldigger lors d'un dialogue entre Lucy et Amanda Reyes, sa meilleure amie, au courant de son passé héroïque, et qui aimerait la voir rempiler. Une menace subite apparaît pour la motiver, mais Lucy tourne le dos à cette éventualité. Lemire sait parfaitement titiller la curiosité du lecteur sur la retraite de Lucy tout en enchaînant des scènes banales, ordinaires, sur une quadra afro-américaine, mariée, mère de famille, travaillant pour un patron sourcilleux. L'épisode est long (une trentaine de pages) mais jamais ennuyeux car subtilement construit, bien rythmé, constamment accrocheur.

Ces renvois au passé alimentent le présent et le futur : il ne fait guère de doute que Lucy va redevenir Black Hammer, et peut-être même assisterons-nous au retour des héros comme Abraham Slam, Barbalien, Colonel Weird, Madame Dragonfly, Golden Gail pour affronter la menace provenant de la Para-Zone. On aperçoit même le Dr Andromeda (le nouveau nom du Dr. Star, que Lemire a du modifier pour des raisons de droit). En tout cas, l"'effet madeleine de Proust" fonctionne totalement, se remémorer ces noms provoque un mélange de nostalgie et de joie comme lorsqu'on retrouve de vieux amis. Mais Lemire ne s'en contente pas et nous entraîne dans une histoire qui ne dépend pas de ce qui s'est passé auparavant, qui a son propre intérêt, son propre suspense. Difficile d'affirmer qu'un nouveau lecteur appréciera pleinement mais en tout cas tout est fait pour ne pas égarer ceux qui ne connaissent pas cet univers, ces personnages.

Pour dessiner ce nouveau chapitre, Lemire a placé sa confiance dans une nouvelle artiste à la place de Dean Ormston. Il s'agit de Caitlin Yarsky. J'avoue que je ne la connaissais pas mais en me renseignant à son sujet, j'ai appris qu'elle avait un peu travaillé sur la franchise Buffy (chez Boom ! Studios) et deux séries chez Images avec Sean Lewis (Coyotes et Bliss).

Néanmoins, Black Hammer Reborn va certainement en faire une star, ou du moins une artiste en vue car elle m'a impressionné. Elle évolue dans un registre réaliste et descriptif, avec un trait fin, très expressif, peu avare en détails. Son découpage est très fluide et classique. Il s'en dégage une maturité étonnante, comme si elle animait la série depuis longtemps.

Si je devais lui trouver un artiste qui lui ressemble, je citerai Zoran Janjetov, qui a travaillé avec Alejandro Jodorowsky sur Avant l'Incal et Les Technopères. Il y a une influence évidente et partagée : celle de Moebius, ce qui n'est pas rien. Mais c'est très séduisant, très agréable, très maîtrisé d'emblée. On n'a pas du tout le sentiment d'avoir affaire à une dessinatrice débutante, intimidée par les personnages et l'univers qu'elle investit. Vraiment une bonne pioche.

Et bien entendu, pour curonner le tout, les couleurs sont de Dave Stewart, ce qui ne gâche pas la vue. Le résultat est élégant, sobre, irréprochable, comme d'habitude.

Ah, vraiment, quel plaisir ! 

vendredi 25 juin 2021

JUSTICE LEAGUE #63, de Brian Michael Bendis et David Marquez / JUSTICE LEAGUE DARK, de Ram V et Xermanico


Un naufrage. Et un régal. Voilà comment on doit résumer ce numéro de Justice League quand Brian Michael Bendis et David Marquez coulent à pic. Tandis que Ram V et Xermanico nous enchantent, nous épatent, nous bluffent.


Oh, puis vous savez quoi ? On ne va pas s'embêter à résumer ce 63ème épisode de Justice League. Il est vraiment naze, de bout en bout, il n'y a rien à sauver. La Ligue de Justice rentre à son Hall, Naomi s'interroge sur sont sort, Superman invite Black Adam dans l'équipe, Green Arrow avoue à Batman qu'il la finance, et Zumbado prépare sa revanche...


De la couverture, sans aucun rapport avec l'épisode (puisque ni Naomi ni Black Adam ne sont accusés de quoi que ce soit), au déroulement de l'histoire, qui voit le dénouement d'un arc affligeant, Brian Bendis et David Marquez nous offrent un bien triste spectacle.


Rien ne fonctionne dans cette reprise en main de Justice League par un tandem qui a pourtant accompli de belles choses chez Marvel. Le script est nul, de scènes de baston assommantes en scènes de dialogues creuses, avec des personnages fantomatiques (à quoi sert Aquaman ?). C'est dessiné de manière indigne par un artiste qui ne semble absolument pas concerné.

Je n'aime pas utiliser mes critiques pour m'acharner sur une série et ceux qui la font. Aussi vais-je en rester là. David Marquez quitte le navire piteusement (il sera remplacé pour les deux prochains épisodes par Steve Pugh pour un mini arc, puis Phil Hester). Brian Bendis semble mal parti pour me convaincre qu'il est l'homme de la situation.

*


Le Bibliothécaire de Babel supplie la Ligue des Ténèbres de quitter son antre. Avant cela , John Constantine a une idée ingénieuse pour contrarier Merlin tout en exauçant le maître des lieux. Mais de retour dans notre dimension, Jason Blood exprime son inquiétude face à la menace intacte qu'est Merlin.



Cependant, à la Tour de Fate, Kirk Langström et Khalid Nassour tentent de réparer le casque du Dr. Fate. L'opération donne à voir à Khalid un sombre futur. De son côté, à Gotham, Elnara Roshtu surprend une étrange confrérie dans une église et doit l'affronter...

Je l'ai déjà dit, mais Ram V, avec seulement une dizaine de pages chaque mois, donne une leçon d'écriture à bon nombre de ses confrères. Qu'attend DC pour rendre à Justice League Dark sa propre revue ? Son scénariste mérite de plus d'espace et ces héros aussi.

L'intrigue progresse à pas comptés car avec un demi-épisode, il faut en garder sous le coude sous peine d'en mettre trop et de rendre une copie indigeste. Mais Ram V dose merveilleusement son récit et se permet même de belles figures de style (comme avec le moyen qu'imagine Constantine pour soulager le Bibliothécaire et quitter son antre en contrariant temporairement Merlin). Il est toutefois certain que cela ne retardera pas Merlin, absent de ce numéro. Mais d'autres cartes sont distribuées.

En effet, le Dr. Fate est sur le point de revenir sur scène. Ram V réintroduit Khalid Nassour mais aussi Kirk Langström/Man-Bat. Il tease ainsi habilement la suite de son intrigue, sans trop en dire, ni en montrer, juste ce qu'il faut pour mettre l'eau à la bouche (et souligner que la série se dirige vers ce qui était raconté dans Future State); Quant à Elnara Roshtu, elle est sur le point d'affronter un nouvel ennemi dans sa quête.

La densité de l'histoire mais aussi sa fludité sont magnifiquement servis par le dessin de Xermanico, qui (cette fois, c'est sûr) tire sa révérence. Il s'en va en beauté, ne serait-ce que pour son éblouissante double-page méta-textuelle au début de l'épisode, mais aussi le passage dans la Tour de Fate. Sumit Kumar va avoir fort à faire pour être à la hauteur, mais au moins Justice League Dark continuera d'être bien illustrée.

L'ennui avec tout ça est ailleurs : passés les deux prochains n°, j'ignore si je continuerai à acheter cette revue car la Justice League de Bendis me déçoit trop (et la perspective de la voir mise en image par Hester ne me ravit pas). J'ai envie de continuer à lire Justice League Dark, mais je crois quand même que j'attendrai la suite en TPB parce que payer 4,99$ pour dix pages, ça fait quand même cher.

HELLFIRE GALA, CHAPITRES X - XI : WAY OF X #3 (Si Spurrier/Bob Quinn) - WOLVERINE #13 (Benjamin Percy/Scot Eaton)


Le Hellfire Gala se poursuit avec Way of X #3, écrit par Si Spurrier et dessiné par Bob Quinn.


Très préoccupé par de récentes découvertes sur l'île de Krakoa, Diablo a passé la soirée du gala à se soûler. Le lendemain, il traîne une sévère gueule de bois mais surprend Stacy X en train de distribuer des contraceptifs à de jeunes mutants. Elle le conduit dans un lupanar où se détendent des mutants.


Voisinant ce lieu de débauche, Stacy X montre à Kurt Wagner une nurserie où Lost veille sur des nouveaux-nés abandonnés par des mutants qui ont eu des relations sexuelles non protégées. Dans le bordel à côté, Fabian Cortez créé un scandale auprès d'une mutante qu'il a voulu abuser.


Legin, avec Pixie et les frères Xorn, intervient pour tenter de chasser un parasite mental qui fait perdre leur contrôle aux mutants de l'île. Mais la créature leur échappe. Le Dr. Nemesis rédige un rapport confidentiel dans lequel il exprime ses craintes sur le fait que le Pr. X puisse être victime de ce parasite.
 

On poursuit avec le treizième numéro de Wolverine, écrit par Benjamin Percy et dessiné par Scot Eaton.


Durant le gala, le Fauve a voulu se servir de la flore de Terra Verde comme d'un dispositif d'espionnage sur les invités. Mais l'opération dégénère quand les ambassadeurs de Terra Verde corrompent la flore et entrepennent de saboter la soirée. Wolverine et la X-Force interviennent.


Avec Domino, Kid Omega, le Fauve, mais aussi Deadpool, qui a essayé de s'incruster dans la fête, Wolverine règle le problème. Sage sermonne le Fauve, élimine le système d'espionnage de son collègue et négocie un armistice avec les ambassadeurs de Terra Verde qui retirent leur soutien à Krakoa.


Emma a une discussion avec le Fauve à propos de ses méthodes et ses projets. Il ne s'excuse pas, assumant le sale boulot que refuse de faire le conseil de Krakoa. Mais leur conversation est interrompue quand Sage signale que le navire Marauder à bord duquel se trouve Christian Frost ne répond plus...

Ces deux épisodes sont particulièrement embarrassants à lire, surtout après les sommets atteints par X-Men #21, Planet-Size X-Men #1 et S.W.O.R.D. #6. Entre redites lourdingues, caractérisations gênantes ou complètement aberrantes, et intrigues indigestes, il n'y a pas grand-chose à sauver (si ce n'est rien à sauver).

Way of X est une nouvelle série récemment lancée puisqu'elle ne compte que trois épisodes. Pour l'écrire, Marvel a débauché de chez DC le scénariste Si Spurrier, qui avait écrit il y a quelques années la pourtant peu fameuse Cable & X-Force (2012-2013). Entretemps, chez la "Distinguée Concurrence", Spurrier s'est refait la cerise en signant un spin-off de The Sandman, d'après Neil Gaiman, intitulé The Dreaming et quelques épisodes de Justice League (entre la fin du run de Scott Snyder et le début de celui de Bendis).

En revenant chez Marvel, sur la franchise X, Spurrier a affiché de grandes ambitions, comme s'il se mettait aun niveau de l'architecte Jonathan Hickman. Pourtant, il n'y avait pas de quoi pavoiser quand on a appris qu'il allait écrire Way of X, un titre avec Diablo en vedette. J'adore ce personnage mais aucune des séries dont il a occupé le premier rôle n'a rencontré le succès. Par ailleurs, si j'ai un regret depuis HoX-PoX, c'est bien que personne (y compris Hickman) n'a respecté l'elfe créé par Dave Cockrum. En effet, depuis toujours, les scénaristes ont privilégié le Kurt Wagner homme de foi au bondissant Bamf que préférait pourtant Cockrum, qui l'avait imaginé en s'inspirant d'Errol Flynn.

A part Alan Davis dans son run sur Excalibur et Jason Aaron dans son unique arc sur Amazing X-Men, personne (même Claremont) n'a animé le personnage de Diablo selon la volonté de Cockrum qui, jusqu'au bout, a exprimé son mécontentement sur le traitement qu'on avait réservé à son héros fétiche. Spurrier aurait bien énervé l'illustre artiste.

Depuis deux épisodes, Spurrier fait n'importe quoi avec Diablo qui, allié à Légion (David Haller, le fils de Charles Xavier, ressucité pour la peine), enquête sur une mystérieuse entité qui donne des cauchemars à de jeunes mutants sur Krakoa. Ils viennent, avec le concours du Dr. Nemesis, de découvrir qu'il s'agit d'Onslaught, émanation terrifiante des psychés de Xavier et Magneto (à l'origine d'un event dans les 90's).

Mais Spurrier ne s'arrête pas là : visiblement, le Hellfire Gala l'indiffère et il situe son épisode le lendemain de la fête, avec Kurt qui a une méchante gueule de bois car il s'est pris une cuite pour tenter d'oublier la menace qui rôde. Bon, déjà, assister au pathétique spectacle de Diablo en train de s biturer est complètement out of character, mais zapper carrément le gala pour poursuivre l'intrigue de la série, c'est vraiment du foutage de gueule. Lorsqu'on refuse de jouer le jeu d'un event, on n'y participe pas ou alors on passe le titre à un scénariste fill-in.

La suite est d'une tristesse abyssale. Kurt surprend Stacy X, ex-prostituée mutante (était-il utile de la faire revenir ?) en train de distribuer des contraceptifs à de jeunes mutants qui ont prolongé la nuit de fiesta en baisant sans protection. Kurt est outré parce que Hickman a eu la malheureuse idée de lui inspirer l'idée que les mutants devaient se multiplier... Mais évidemment pas comme ça ! En prime, cette scène fait passer Diablo pour un type opposé à l'usage de contraceptifs, pire que le pire des curaillons... Désolant. Mais ce n'est pas tout : Stacy X dévoile à Kurt l'existence d''une sorte baisodrome local où on peut se détendre sans conséquences... Et qui voisine une nurserie où sont recueillis des nourrissons abandonnés par de jeunes mutants qui ont copulé sans capotes. Non, vous ne rêvez pas ! Autant de passages lamentables dans un seul épisode, ça relève de l'exploit, ou du plus mauvais des mauvais goûts. 

C'est de surcroît dessiné avec les pieds par un certain Bob Quinn, qui a déjà sévi sur Captain America (le run de Ta-Nehesi Coates), et dont on se demande qui, chez Marvel, a pu penser qu'il avait assez de talent pour hériter d'une série régulière (quand tant de super artistes sont sans engagement). C'est un désastre jusqu'au bout. Mais il y a une justice en ce bas monde puisque Way of X va s'achever en Septembre au #5 (et ce, même si Spurrier assure que c'est seulement la fin de la "saison 1" et qu'il a plein d'idées pour la suite - c'est ça, mon grand, mais tes idées, tu te les gardes, et tu vas t'amuser ailleurs, loin). 

Hélas ! le calvaire n'est pas terminé car Wolverine #13 n'est guère mieux (avec un tel chiffre, c'était mal barré). Benjamin Percy n'est pas non plus le dernier, semble-t-il, pour se moquer du monde cette semaine puisqu'il ne fait rien d'autre que livrer un deuxième épisode de X-Force dans cet event.

En effet, ne vous fiez pas à la couverture de ce numéro car on y voit à peine Deadpool (dont le compte était déjà bon dans X-Force #20) mais pas beaucoup plus Wolverine. Obsédé par la flore de Terra Verde, le Fauve et Percy recyclent cette idée depuis des lustres sans se renouveler. Cette fois, entre une énième connerie du Fauve (que Percy aura chargé comme une mule, avec un acharnement incroyable) et des ambassadeurs de Terra Verde décidés à se venger de mutants qu'ils considérent comme des colonisateurs profiteurs, on a droit à un machin sans queue ni tête, à peine rattrapé par les toutes dernières pages.

Wolverine sort les griffes mais sans être mis en avant ni en valeur, Domino, Kid Omega et Sage occupant autant de place à l'image que lui pour éviter que la situation ne parte en sucette. C'est d'un ennui total, là aussi mochement dessiné par Scot Eaton (pourtant un dessinateur solide, mais qui a un script affreux et peu d'inspiration de toute façon).

Mais, tout de même à la fin, Percy tente quelque chose que tout le monde attend depuis des lustres : une explication entre quatre yeux avec Hank McCoy sur sa manière de gérer les choses et son comportement plus que limite. Le Fauve a dépassé les bornes bien avant HoX-PoX, donc il est impossible d'affirmer qu'il n'est plus le même : il a commis des actions peu orthodoxes déjà durant Messiah Complex (quand la race mutante était menacée d'extinction complète), puis il a ramené les cinq premiers X-Men pour tenter de raisonner un Cyclope adulte qui venait de tuer le Pr. X et qui sombrait dans un délire révolutionnaire (Bendis n'a pas fait grand-chose de cette piste pourtant prometteuse). Mais désormais, le Fauve est une ordure impardonnable, qui humilie ses amis, joue à l'apprenti-sorcier, et veut espionner tous les non-mutants tout en supervisant les missions de la X-Force.

On assiste donc à un premier échange tendu avec Sage, mais celle-ci n'a pas l'autorité nécessaire pour le recadrer. Il faut une Emma Frost pour oser dire ses quatre vérités au Fauve, mais il se démonte pas : il assume ses saloperies, parce que, selon lui, le conseil de Krakoa n'a pas les couilles nécessaires, et il accepte d'être mal vu si la communauté mutante est protégée au final. Percy a carte blanche pour écrire Hank McCoy, c'est évident, et donc ma foi, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout de la logique du personnage, déjà bien entamée depuis des années, en en faisant un enfoiré. Mais c'est écrit sans nuance, sans remise en cause, sans encadrement. Personne ne dit clairement au Fauve de se calmer un peu (à part Wolverine qui l'avait frappé après avoir humilié Colossus). 

A force, c'est épuisant, c'est malsain. Certains fans imaginent qu'il y a un loup derrière tout ça (en gros : ce ne serait pas le vrai Fauve, mais son double, le Dark Beast de l'Âge d'Apocalypse), mais je n'y crois pas (pas davantage que je ne crois au fait que le projet de Hickman pour la franchise serait une énorme mascarade révélée in fine par un twist à la Shyamalan, du style : ce n'étaient pas les vrais X-Men, mais des clones, ou des mutants d'une autre dimension, d'une autre ère, etc.). C'est en tout cas pour cela (entre autres choses) que j'ai cessé de lire X-Force : Percy massacre ces personnages qu'il n'apprécie visiblement pas (à part Domino).

De toute façon, l'event touche à sa fin puisqu'il ne reste plus que X-Factor #10 à lire, et qui sort la semaine prochaine. On fera le bilan en même temps.

jeudi 24 juin 2021

HELLFIRE GALA, CHAPITRE IX : S.W.O.R.D. #6, de Al Ewing et Valerio Schiti


Le Hellfire Gala se poursuit cette semaine avec trois nouveaux chapitres, mais j'ai choisi de consacrer une critique à part pour le sixième épisode de S.W.O.R.D., écrit par Al Ewing et dessiné par Valerio Schiti, car il représente une étape importante dans l'event et pour la suite de la franchise. Attention : spoilers !


Après le feu d'artifice, Captain America et Dr. Fatalis échangent sur ce à quoi ils viennent d'assister. Pour Steve Rogers, c'est une avancée considérable mais qu'il veut considérer positivement. En revanche, Victor Von Doom n'entend pas se subir la loi des mutants.


Cependant, dans la station du Pic, Abigail Brand a convoqué le conseil intergalactique au sujet de la situation, mais surtout à propos du Mystérium, ce métal aux propriétés exceptionnelles que le SWORD a récupéré et qu'elle est prête à distribuer à ses alliés.


Tout le monde est intéressé, sauf l'empire du Wakanda. Nova s'interroge sur le prix à payer. En effet, comme pour la médecine krakoane, il faut pour disposer du Mystérium reconnaître Arakko comme capitale du système solaire. Fatalis surgit et réclame de parler à l'autorité d'Arakko.


Au même moment, Magneto, sur l'île de Mykines, savoure le succès de cette soirée quand apparaît la Sorcière Rouge. Il lui explique qu'elle reste sa fille, malgré tout, et fera tout pour que la Nation X l'accepte à nouveau.

Avec S.W.O.R.D. #6 sortent cette semaine Way of X #3 et Wolverine #13, dont je parlerai dans une entrée groupée. Mais il m'a paru indispensable de dédier une critique à part pour SWORD car c'est un épisode important, sans doute le plus important de l'event Hellfire Gala après X-Men #21 et Planet-Size X-Men #1. Beaucoup de choses y sont dites et exposées qui vont avoir un impact durable pour toute la franchise X.

Tout débute après le feu d'artifice du gala, autrement dit ce qui a été narré dans Planet-Size X-Men, avec la terraformation de Mars où ont été déplacés les mutants d'Arakko. Les invités de la soirée sont encore bouleversés par ce spectacle ahurissant (comme le lecteur) et Captain America a besoin de s'isoler un moment pour réfléchir à ce qui vient de se jouer. Il est interpelé par le Dr. Fatalis.

Leur échange est superbement dialogué par Al Ewing, qui souligne, non sans malice, que les deux hommes sont en quelque sorte l'emblème de leurs pays respectifs. La remarque peut faire sourire, d'autant que pour tous les fans Captain America incarne le parangon de la figure héroïque alors que Fatalis est un tyran : difficile d'être plus dissemblables. Et pourtant, il y a quelque chose de vrai dans les mots de Fatalis car il est la Latvérie comme Steve Rogers est l'Amérique (du Nord).

Mais surtout, il est question d'appréhender le moment historique auquel ils viennent d'assister. Pour Captain America, cela lui rappelle le premier homme à avoir marché sur la Lune et il veut y voir un progrès, car cela répond en vérité à la question qu'il posa quelques jours avant à Cyclope à propos de la crainte internationale que suscitait la population d'Arakko. Mais pour Fatalis, ce n'est pas la même chanson : il a vu une démonstration de force qui ressemble pour lui à un défi lancé par les mutants à la Terre entière et il n'entend pas s'incliner devant une quelconque supériorité des mutants. S'il se sent menacé, il n'organisera pas, autrement dit, un gala pour annoncer sa réaction.

Ce prologue est excellent et pose des bases intéressantes. A voir si Dan Slott (le scénariste actuel des Fantastic Four) et Jason Aaron (celui des Avengers), voir le prochain pilote de la série de Captain America (qui succédera à Ta-Nehisi Coates, sur le départ), l'exploiteront (à mon avis ? Non. Slott écrit n'importe quoi actuellement. Aaron ne rêve que d'un nouvel event Avengers vs X-Men.).

Ensuite, on passe au coeur de l'épisode, une grande séquence où Ewing impresssionne. Rappelez-vous : dans le premier épisode de SWORD, l'équipe récupérait au terme d'une téléportation groupée à haut risque aux confins du cosmos une étrange petite pyramide noire baptisée Mystérium par Abigail Brand et présentée comme le futur des mutants. Depuis, entre des n° liés à King in Black et au sort de Fabian Cortez (expulsé du groupe), la série n'avait pas pu traiter de cette chose et le lecteur en était légitimement frustré.

Wiz-Kid fait un exposé devant le conseil intergalactique (et le lecteur) sur les propriétés phénoménales du Mystérium qui est un métal et une matière première. On sait qu'il protège des radiations, résiste à n'importe quel température, est plus solide que l'adamantium, mais surtout que le SWORD en a stocké des tonnes depuis. Abigail Brand met sur le marché une partie de cette marchandise et les ambassadeurs se l'arrachent aussitôt, sauf le Wakanda (qui continue de refuser tout ce que commercialisent les mutants - après ça, qui dira encore que les mutants sont les plus arrogants ?). Et Nova (Richard Ryder), présent en qualité de représentant de la Terre (mais qui se fait gentiment mais fermement remettre à sa place quand Frenzy lui rappelle qu'il était notoirement absent pendant les événements de King of Black - à sa décharge, il était occupé par les Olympiens avec les Gardiens de la Galaxie, mais bon...) se demande quel est le vrai prix pour avoir du Mystérium.

La réponse renvoie à ce qui encadrait déjà la médecine de Krakoa : la reconnaissance. Mais cette fois elle concerne Arakko, donc Mars, que les mutants ont proclamé, unilatéralement, capitale du systéme solaire. Cela ne pose pas de problèmes à toutes ces délégations aliens (qui en ont vu d'autres), sauf (encore une fois) au Wakanda (qui ne veut rien avoir à faire avec les mutants et ne reconnaissent rien de ce qu'ils prétendent posséder - je vous le dis, les wakandais vont finir par recevoir une gifle et ils ne l'auront pas volée). Mais un invité surprise a son mot à dire. Et c'est...

... Le Dr. Fatalis, toujours aussi fumasse après avoir parlé avec Captain America. Comme si la Latvérie  était un satellite de la Terre, avec une voix à part dans ce concert, Fatalis exige de parler directement avec l'autorité d'Arakko. Abigail Brand est reconnue par Fatalis comme une "planificatrice", ce qui est plutôt un compliment de sa part, et il sait donc qu'elle s'attendait à sa venue et à sa requête - mieux : qu'elle y accèdera. Il a raison. Mais ni lui ni le lecteur ne se doutent de la surprise sur l'identité du régent d'Arakko.

Je suis désolé de vous spoiler mais je ne peux guère faire autrement car cela m'aurait obligé à écrire à demi-mots, à opérer des circonvolutions, à dire sans dire, ce qui revient à des acrobaties réthoriques que je n'ai sûrement pas la souplesse d'accomplir. Donc vous voilà prévenus.

Tornade a été nommée régente d'Arakko. Jordan White, l'editor-in-chief de la franchise X, avait teasé depuis des mois qu'en 2021 quelque chose d'important allait être raconté au sujet de Tornade, qui poserait le nouveau statut du personnage dans la suite logique d'événements qu'elle traverserait à partir de X of Swords. Dans cet event en effet, elle avait réussi à vaincre Mort, un des cavaliers d'Apocalypse lors du tournoi dans l'Outremonde, ce qui l'avait ébranlé. Plus tard, dans la série X-Men, elle avait sauvé la princesse Xandra, héritière du trône Shi'ar. Et récemment, elle avait quitté les Marauders. Tout cela présageait d'un changement de vie pour Ororo Munroe, qui n'avait rien de gratuit, mais tout d'un long cheminement spirituel (le personnage est coutumier du fait : depuis son changement de look dans les années 80 après son duel contre Callisto, jusqu'à la perte de ses pouvoirs à cause d'une arme fabriquée par Forge, son rôle de chef des X-Men en l'absence de Cyclope, etc.).

C'est aussi logique dans la mesure où l'on sait que les Arakki sont tous des mutants de niveau oméga, donc ils ne peuvent que tolérer leur égale à leur tête et Tornade est littéralement une déesse, une mutante classée parmi les plus puissantes de son espèce. Cela vient aussi confirmer ce que je disais dans ma critique de Planet-Size X-Men : le déplacement des Arakki sur Mars n'est pas une façon de s'en débarrasser car en plaçant Tornade à leur tête, il est évident que Jonathan Hickman a voulu, avec Gerry Duggan et Al Ewing, montrer que le lien avec Krakoa, donc la Terre, restait fort. S'il s'agissait de se débarrasser d'Arakko, ils n'auraient pas envoyé Tornade sur Mars car elle est une X-woman trop emblématique. Et en même temps, cela a une conséquence directe, immédiate : cela signifie qu'elle quitte non seulement notre planète, l'île de Krakoa, et donc son siège au conseil de Krakoa (qui est de plus en plus dépeuplé, après les départs d'Apocalypse et Jean Grey).

Enfin, arrive la conclusion de l'épisode et Ewing a gardé une cartouche explosive dans son chargeur. Magneto savoure seul le succès du gala. Il observe son casque, posé sur la table devant lui, comme un vieux compagnon. Il l'a porté durant tant d'années, pour la guerre contre les humains et d'autres mutants. Aujourd'hui, il contemple l'avènement de la race mutante, qui a atteint un niveau incomparable, qui a gagné le respect de (presque) tous. Magneto a consenti à changer de méthode et il a gagné. Que peut encore attendre un homme de sa trempe lorsqu'il en est là ?

L'apparition de la Sorcière Rouge est une image qui frappe le lecteur. Listée comme une des criminelles les plus honnies par les mutants depuis House of M, où elle déposséda de leurs pouvoirs la majorité de la population, elle a appris entretemps qu'elle n'était pas la fille de Magneto (dans les pages d'Uncanny Avengers, période Rick Remender, et de l'event Axis), tout comme son frère Vif-Argent. Durant l'event Empyre, elle a tenté de corriger ses erreurs, maladroitement, mais sans que cela soit vraiment reconnu car ce fut raconté en marge de la saga, dans un tie-in raté. La question qui se posait alors, c'était : la Sorcière Rouge a-t-elle encore un rapport avec les X-Men ? Ou, autrement dit, les X-Men s'intéressaient-ils encore à elle dans la mesure où, certes, elle était reconnue comme une de leurs pires ennemies, mais qu'ils ne faisaient rien pour la chasser, la capturer, la juger (ce qui aurait impliqué un conflit prévisible avec des héros amis de la Sorcière) ?

Et là, Al Ewing repose ces questions en changeant de perspective, de manière plus sensible et durable pour le futur. En vérité, il lance ni plus ni moins qu'une piste narrative impossible à ignorer (reste à savoir s'il la traitera lui-même ou si Hickman la récupérera par exemple). Car Magneto attendait sa "fille", il espérait même qu'elle assiste au feu d'artifice. On comprend, sans même qu'elle le dise, qu'elle ne se sentait pas d'être présente. Mais qu'importe, ce n'est pas ce qui compte. Car Magneto affirme qu'elle reste son enfant, en dépit des retcons stupides, et surtout qu'il va s'employer à ce que Krakoa accepte que Wanda lui pardonne pour qu'elle vive parmi les mutants, en paix. 

Sachant qu'on va assister au procès de Magneto dans une mini-série proche (pour une affaire qui trouve son origine précisément dans le gala - un meurtre. Mais qui sera la victime ? Un autre mutant ? Un humain ?), et ensuite que l'event Inferno surviendra, cela risque de prendre un peu de temps car Erik Lensherr va être bien occupé dans les prochains mois. Mais ce que vient de (re)mettre en avant Ewing, nul ne peut l'ignorer : le cas de la Sorcière Rouge devra se règler, et sa résolution impactera la place de Magneto en même temps (sûrement davantage que son procès, dont je ne crois pas que l'issue compromettra le statut du mutant dans la hiérarchie de Krakoa. Pour moi, le vrai futur tournant pour la franchise, c'est Inferno, car c'est Hickman aux commandes.).

Je conclus cette critique par les dessins. SWORD #6 est le dernier épisode de Valerio Schiti, qui, on le sait, va illustrer Inferno (je l'ai interrogé à ce sujet en lui demandant s'il allait s'occuper des quatre épisodes, laissant à Stefano Caselli et RB Silva des parties plus réduites, mais il m'a répondu qu'il ne pouvait pas me donner ces précisions pour l'instant. Néanmoins, je crois que ce sera le cas).

L'italien, depuis son long run sur Guardians of the Galaxy période Bendis, semble avoir du mal à se fixer sur un titre (même s'il a fait le plus gros de Tony Stark : Iron Man, écrit par Dan Slott). Après avoir emballé Empyre (dont l'intrigue n'était hélas ! pas à la hauteur de ses efforts), il plie bagages après seulement cinq épisodes et demi sur SWORD (il avait partagé le n°3 avec d'autres artistes), alors qu'il s'était beaucoup investi (en designant les costumes, l'intérieur de la station du Pic et en ne s'économisant pas pour le reste).

Mais il part en beauté, en nous gratifiant de planches superbes. Schiti est au sommet de son art, et il en a encore sous le pied, c'est certain. Quoiqu'il fasse demain et après-demain (c'est-à-dire après Inferno), il reste un dessinateur à suivre car à chaque fois il se surpasse. Il est à l'aise partout, son dessin est généreux, le plaisir qu'il a à dessiner est manifeste. Jamais on ne sent chez lui une quelconque lassitude à animer des super-héros, à évoluer dans cet univers, et c'est réjouissant. Il y a chez Schiti une sorte de joie simple qui rappelle les vétérans qui se donnaient tout entier aux comics, comme Sal Buscema, John Romita Sr., Jack Kirby. Il n'a pas de prétention d'auteur et pourtant il marque de son empreinte chacun de ses projets, ses scénaristes savent ce qu'il apporte à leurs scripts : une énergie, une fluidité, un sens du spectacle, de l'efficacité, des personnages vraiment animés. Il y a tout ça dans cet ultime numéro de sa main. S'il laisse la série entre de bonnes mains (celles de Caselli), je le regretterai quand même.

Allez, rendez-vous très vite pour la suite du gala, dans Way of X #3 et Wolverine #13...