mardi 22 juin 2021

LEVIATHAN DAWN, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Alors que le premier n° de Checkmate, nouvelle mini-série en six épisodes, sort aujourd'hui, je peux ressortir ce one-shot, Leviathan Dawn, qui fait la transition entre Event Leviathan et la nouvelle production de Brian Michael Bendis et Alex Maleev. Publiées en Février 2020, avant le début de la crise sanitaire et donc un peu passé inaperçues, ces 40 pages permettent de faire le point sur la première saga et de préparer le nouvel acte. Une piqûre de rappel très agréable, qui laisse augurer du meilleur.


Après avoir organisé l'évasion de Steve Trevor, Kingsley Jacobs le convainc de rassembler une équipe de choc pour neutraliser Mark Shaw/Leviathan qui a détruit toutes les agences d'espionnage/contre-espionnage. Il commence par enrôler Green Arrow, sur la piste des sbires de Shaw.
 

Pendant ce temps, à la Batcave, Robin rassure Manhunter : Batman a mis son fils en sécurité et elle n'est suspectée d'être à la solde de Leviathan. Pour Damian Wayne, l'affaire a une dimension familiale puisque l'organisation contrôlée par Shaw était précédemment celle de sa mère.


Et justement, Steve Trevor vient à la rencontre de Talia Al Ghul en prison. Il peut l'en faire sortir si elle accepte de collaborer avec lui et ses alliés contre Shaw. Or elle veut tuer ce dernier et se méfie des agents déjà recrutés par Trevor.


Kingsley Jacobs réunit l'équipe Checkmate, composée de Manhunter, Green Arrow, Lois Lane, Talia Al Ghul, la Question et Bones (l'ex-boss de la D.E.O.). Steve Trevor se porte garant de Jacobs auprès de tous les autres.


Mais Leviathan a accompli un tour de force : il a mis la main sur la Markovie où il invite tous ceux qui veulent comme lui un nouvel ordre mondial. L'attaquer frontalement revient maintenant à créer un incident diplomatique international, un acte de guerre...

Je ne vais pas défaire ce que j'ai pensé de Event Leviathan (publié de Juin à Novembre 2019) : c'était une histoire qui partait bien mais que j'ai finalement trouvé mal construite, avec trois derniers épisodes qui se dispersait dans tous les sens, à cause de l'apparition d'une seconde équipe de se super-espions à la solde de Lois Lane pour identifier, localiser et arrêter Mark Shaw, responsable de la mort de son père, Sam Lane, et de la destruction de toutes les agences  gouvernementales de (contre) espionnage du DCU (DEO, ARGUS, Spyral, etc.).

C'était dommage car le projet de Brian Michael Bendis, entamé dans les pages de Action Comics, était par ailleurs très accrocheur, et, je trouvais, plus convaincant que ses arcs sur Superman ou Young Justice. Le scénariste renouait avec ses premières amours, le roman noir, avec des personnages délaissés par l'éditeur mais s'alliant contre un adversaire qui possédait à la fois un coup d'avance, des moyens colossaux et une identité secrète. Mais, donc, au bout du compte, en intégrant un groupe de personnages supplémentaire, Bendis a alourdi une intrigue qui avait déjà pris du temps à s'élancer, et surtout la révélation de l'identité de Leviathan m'avait déçu. En lieu et place d'un personnage surprenant et connu, on avait droit à un ancien héros oublié (Mark Shaw ayant incarné le précédent Manhunter avant Kate Spencer).

C'est la raison pour laquelle j'ai attendu avant de parler de Leviathan Dawn, que je m'étais procuré l'an dernier. Très vite, en effet, la crise sanitaire a rebattu les cartes et DC a préféré reporter la suite de la saga de Bendis sine die car toute l'industrie était à l'arrêt - et il fallait déjà en terminer avec Death Metal de Scott Snyder. Ensuite, quand la pandémie s'est une première fois un peu calmé, l'éditeur a préféré encore jouer la montre avec Future State début 2021. Mais, cette fois, c'est la bonne : Checkmate, l'acte III de Event Leviathan, arrive dans les bacs.

Bien entendu, j'ignore si Bendis aura tiré les leçons de ses erreurs, mais je pense quand même que oui et surtout il me semble évident que c'est un récit, une ambiance plus adaptés à ses talents de narrateur. Comme, par-dessus le marché, son début de run sur Justice League a été franchement décevant, je compte sur lui.

Leviathan Dawn se présente donc comme une in-between story, façon de faire le point sur ce qui s'est déjà passé et de préparer à ce qui va se passer. Ce one-shot, mené sur un rythme très soutenu, se déroule au gré d'un recrutement par Steve Trevor qu'un certain Kingsley Jacobs libère de la prison où il a été enfermé parce qu'il figurait comme un des suspects pouvant être Leviathan. Méfiant et revanchard à la fois, le colonel accepte d'aller à la rencontre de Green Arrow, Bones, Manhunter, Lois Lane, Talia Al Ghul, la Question pour former Checkmate, qui devra littéralement faire échec à Leviathan. Cette fois, plus d'équipe B et chacun doit avoir foi en ses partenaires pour une cause plus grande. La situation est critique car Mark Shaw a carrément acheté la complicité des autorités de Markovie et invite ceux qui souhaitent renverser la table à l'y rejoindre. L'attaquer frontalement reviendrait donc à déclarer la guerre à un pays étranger. Il va falloir être plus malin.

Bendis est dans son élément : un scénario character's driven, des héros outsiders, une mission impossible sur le papier. Pour moi, il n'est jamais meilleur qu'avec ce genre de format et de construction, avec des personnages dans la clandestinité et qui ne sont pas des vedettes, contre une ennemi plus fort. C'est ce que j'adorai dans son premier volume de New Avengers (surtout à partir de Civil War jusqu'à la fin de Siege en passant par Secret Invasion et l'ère Dark Reign), mais aussi son run sur Daredevil. Et c'est ce que j'ai retrouvé dans ces 40 pages. Même les dialogues sont ciselés comme aux meilleures heures.

Et c'est magnifiquement dessiné. La couverture, déjà, est somptueuse. Alex Maleev et Bendis, c'est un duo magique, comme Brubaker-Phillips : ils se connaissent par coeur, ils travaillent ensemble depuis si longtemps. Bendis sait les points forts de Maleev et Maleev sait comment valoriser un script de Bendis. C'est l'essence de la BD, l'enfance de l'art : quand deux partenaires se savent si bien, ça se lit tout seul, car tout a l'air facile, sans effort. Bien sûr, ce n'est pas si simple.

Maleev n'est pas plein de choses : il ne brille pas un dessin dynamique, ni un découpage audacieux. OK. Mais le bonhomme est d"une régularité irréprochable et il dispose d'une technique solide. Pour certains, son dessin a l'air trop appliqué, son attitude trop académique, trop "grand artiste". Mais bon sang, je préfère cent fois cela à un mec qui abat des planches sans forcer son talent, comme s'il avait abdiqué depuis longtemps, qu'il avait renoncé à expérimenter, à se dépasser.

Je ne m'ennuie jamais avec des planches de Maleev car je ne sais jamais ce qu'il va faire. Parfois il épure tellement qu'on croit qu'il s'économise. Mais même ainsi, ce n'est jamais inintéressant, il tente. Sur ce Leviathan Dawn, il est très en forme. Il est dans ce registre dépouillé, il va à l'essentiel. Mais ça colle au récit, froid, sec, tendu. Les personnages sont taillés à la serpe, sous pression, l'ambiance est électrique, jusqu'au twist final qui montre toute la difficulté de la mission des héros. Kingsley Jacobs est impénétrable à souhait. Et la planche où Checkmate est dévoilée en accolant à chacun de ses membres un qualificatif résume parfaitement ce qu'a voulu faire Maleev dans le prolongement du texte de Bendis : une poignée d'individus contre une organisation tentaculaire menée par un stratège redoutable. C'est David contre Goliath.

Tout le suspense est là : comment huit personnages sans super-pouvoirs vont démanteler Leviathan ? On ne donne pas cher de leur réussite, c'est totalement improbable. Et du coup excitant. Cette version de Checkmate ne ressemblera pas à celle de Greg Rucka en 2008, plus politique. Mais Bendis, c'est certain, n'a pas perdu la main pour pitcher quelque chose d'accrocheur : il a vraiment de quoi faire bouger les choses. L'ironie du sort, c'est qu'il peut le faire en étant désormais dans une position similaire à ses personnages puisque DC a rompu son contrat d'exclusivité avec lui. Un succès de Checkmate (la série et la mission de ses héros) sonnerait comme une formidable revanche.    

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