mercredi 16 juin 2021

SUPERGIRL : WOMAN OF TOMORROW #1, de Tom King et Bilquis Evely


On commence cette nouvelle semaine de critiques par un coup de coeur. J'avais repéré depuis son annonce cette mini-série, Supergirl : Woman of Tomorrow, par Tom King et Bilquis Evely, et je l'attendais avec impatience. Je n'ai pas été déçu par ce premier épisode (sur huit), qui réinvente la cousine de Superman et s'aventure dans la fantasy, avec des dessins absolument sublimes.


Ruthye Marye Knoll a assisté au meurtre de son père par Krem des collines jaunes après que les deux hommes se soient disputés au sujet du roi. L'assassin a laissé son arme, une épée, dans le torse de sa victime, récupérée par sa fille, résolue à le venger à la place de ses six frères incapables.


Pour accomplir sa mission, Ruthye se rend dans le village voisin pour employer un mercenaire réputé. Une fois son contrat rempli, elle le paiera avec l'épée. Mais elle se fait flouer car l'homme de main refuse qu'elle le suive. Supergirl, qui fête seule son 21ème anniversaire dans cette taverne, intervient.


Après avoir dessoûlé, Supergirl repart, refusant l'offre de Ruthye de remplacer le mercenaire; Mais la jeune fille ne se résigne pas et suit la kryptonienne jusqu'à son vaisseau, répétant sa demande. C'est alors que le mercenaire et Krem surgissent et attaquent.


Krypto blessé, Supergirl désarme le mercenaire en étant elle-même touchée. Krem se précipite dans le vaisseau de la kryptonienne et décolle. Ruthye le regarde filer, impuissante tandis que Krypto et Supergirl gisent à terre.

Oui, je sais : encore du Tom King ! Mais que voulez-vous, même si je reconnais volontiers que ses travaux peuvent être inégaux, ce scénariste a l'art et la manière de me proposer des projets qui me font envie. Et cette fois, en prime, il s'associe à la dessinatrice brésilienne Bilquis Evely pour nous raconter une histoire de Supergirl qui sort des sentiers battus. Alors pas question de résister.

Et ce serait une faute de passer à côté de cette merveille pour laquelle King délaisse son fameux format en douze épisodes pour un récit en huit chapitres. Ce n'est pas la première fois qu'il s'intéresse aux kryptoniens puisqu'il avait déjà signé une mini sur Superman, Up in the Sky, avec Andy Kubert (mais que je n'ai pas lu). Toutefois, je dois admettre être plus intéressé par Kara Zor-El que par son prestigieux cousin dans la mesure où c'est un personnage sur lequel on peut davantage se projeter, qui est moins iconique, moins emblématqiue.

Si vous avez lu ma dernière critique sur la série Wonder Woman (#773), je me posais la question de l'identité de l'amazone et du traitement le plus efficace à lui prescrire pour la rendre à nouveau intéressante (chose que n'ont pas réussi, à mon avis, ses derniers scénaristes). J'avançais l'idée que, peut-être, il faudrait oser davantage, quitte à choquer. Becky Cloonan et Michael Conrad ont tenté de délocaliser Diana (en l'envoyant dans le folklore nordique), mais ça n'a pas suffi.

Tom KIng débute ce premier épisode de Supergirl : Woman of Tomorrow (un hommage à Superman : Man of Tomorrow, en 1995-1996) en déroutant volontairement le lecteur, en différant l'apparition de l'héroïne. Nous sommes plongés dans une histoire de vengeance menée par une jeune fille vivant sur une planète extra-terrestre, au cadre trés coloré, à la fois exotique et évoquant la fantasy (voir l'heroic fantasy). Le père de Ruthye Knoll se fait tuer par un certain Krem à la suite d'une dispute et elle se met en tête de le venger car aucun de ses six frères ne s'accorde sur les suites à donner à ce drame.

On est séduit par ce petit bout de femme très volontaire, qui part la fleur au fusil loin de chez elle. Sa détermination égale sa naïveté quand elle tente d'engager un mercenaire réputé qui ne veut pas s'embarrasser d'une gamine pour remplir sa mission (si tant est qu'il compte honorer le contrat, ce qui n'est pas sûr). Lorsque le ton monte, une inconnue s'interpose, elle n'a pas l'air frais puisqu'elle fête, seule, son 21ème anniversaire dans une taverne mal fâmée et tietn à peine debout après avoir bu plus que raison. Mais dans la bagarre qui s'ensuit avec le mercenaire, sa tunique se déchire au niveau de sa poitrine et on reconnaît alors un célèbre blason. C'est Kara Zor-El alias Supergirl.

La suite est entraînante, menée sur un rythme soutenu. La confrontation entre Supergirl et Ruthye qui veut la convaincre de tuer Krem offre des échanges savoureux car la gueule de bois de Kara s'oppose à l'implacabilité de Ruthye. Il faut souligner que le récit s'accompagne d'une voix-off qui est celle de cette jeune fille et qui relate les faits avec le recul des années car elle ingorait alors qui était la kryptonienne tout comme les faiblesses auxquelles le soleil rouge de sa planète l'exposait (Supergirl comme son cousin n'a plus tous ses pouvoirs sous un étoile de cette couleur).

C'est sur ce point précis que King est malin (plus que Cloonan, Conrad et d'autres avec Wonder Woman) car il fragilise à dessein une héroïne qui, en temps normal, est pratiquement invulnérable. On comprend bien alors que placer Supergirl dans un décor inhabituel n'est pas une malice esthétique, mais bien une astuce scénaristique vouée à altérer son statut, et par conséquent à modifier le cours supposé tranquille du récit. Supergirl doit être "super" d'une autre façon puisqu'elle n'est pas en pleine possession de ses moyens (et même pire à la fin de l'épisode). C'est un changement de perspective qui s'apllique donc aussi bien à l'héroïne qu'au lecteur et c'est en cela que c'est malin (autrement dit, King nous oblige à reconsidérer Supergirl et il induit un vrai suspense pour la suite).

Par ailleurs mêler Supergirl à une affaire de vengeance, c'est aussi astucieux car elle suit le principe des héros qui est de ne jamais tuer. Or, évidemment, se venger pour Ruthye ne consiste pas en autre chose que d'éliminer Krem. Et comme un refus n'est pas une réponse pour elle, son insistance créé un conflit, une dynamique très simple mais très efficace. Comment alors, pour l'auteur, contourner ce problème ? En revenant sur la précarité dans laquelle il a placé Supergirl mais aussi son chien Krypto. Lorsque le canidé est blessé, le lecteur est facilement choqué et révolté comme sa maîtresse qui oublie alors les limites morales qu'elle s'impose et réplique fermement. Ce ne sera pas suffisant, mais le cliffhanger de l'épisode ne fait que donner encore plus envie de lire la suite.

King est un scénariste qui est gâté par DC car il a toujours eu droit depuis son arrivée chez l'éditeur à des partenaires fidèles et talentueux : Mitch Gerads, Barnaby Bagenda, Clay Mann, Mikel Janin, Evan Shaner, Jorge Fornes... Cette fois ne déroge pas à la règle puisqu'il bénéficie à ses côtés de la présence de Bilquis Evely.

Celle-ci est encore trop méconnue mais elle a consacré ses dernières années au revival de l'univers créé par Neil Gaiman autour de The Sandman en illustrant la série The Dreaming et aussi sur la version Rebirth de Wonder Woman (où elle succéda à Nicola Scott, sur des scénarios de Greg Rucka). 

On ne peut évoquer Bilquis Evely sans parler de Matheus Lopes, son coloriste attitré. Ces deux-là forment un duo imparable, sur la même longueur d'ondes, et ils produisent des images éblouissantes, qui conviennent parfaitement à des univers oniriques (comme celui de Neil Gaiman justement).

Toutefois, il serait logique qu'avec Supergirl : Woman of Tomorrow, Evely change de statut car elle va profiter de l'attention générée par King et ensuite parce que sa prestation s'annonce mémorable. Dès les premières pages, on est fasciné par ce que l'artiste réussit à créer en même temps que l'économie de moyens qu'elle y met. Le décor est primordial et immédiatement on est saisi par la beauté étrange de ce monde, où l'on reconnaît l'influence manifeste et assumée du Moebius d'Arzach. Sauf que Evely ne singe jamais le génial français (dont l'aura a depuis longtemps traversé l'Atlantique) : elle le réinterprète, avec une classe sidérante.

Evely dessine dans un style réaliste et descriptif, son trait est fin avec des lignes ouvertes et un aspect à la fois doux et anguleux singulier. Contrairement à beaucoup d'artistes de comics super-héroïques, elle est à l'aise avec les matières, les textures, notamment pour les vêtements, au point que même quand elle représente Supergirl dans son costume emblématique, elle lui ajoute des plis discrets mais qui nuancent subtilement le côté spandex habituel. Les paysages font état d'un monde sauvage, où la nature est abondante, peu cultivée, avec une faune particulière (comme la monture volante de Ruthye) qui contraste avec la technologie plus classique du vaisseau de Supergirl. Les aliens ont une morphologie humanoïde mais grâce aux couleurs de Mat Lopes, des détails la rendent atypique (les yeux mauves par exemple).

J'ai beaucoup aimé ce début, vous l'aurez compris. Tom King surprend (même s'il reste par ailleurs fidèle à lui-même avec un texte fourni), Bilquis Evely envoûte. C'est enchanteur et palpitant. 

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