jeudi 10 juin 2021

BLACK HAMMER : VISIONS #5, de Kelly Thompson et Leonardo Romero


Quelques mois après la fin de la mini-série Skulldigger + Skeleton Boy, revoici le justicier créé par Jeff Lemire et Tonci Zonjic. Black Hammer : Visions est une collection de one-shots où diverses équipes créatives ont la permission de s'amuser avec les jouets de Lemire. Cette fois, c'est Kelly Thompson et Leonardo Romero, le tandem gagnant de Hawkeye, qui s'y colle, avec succès.


Skulldigger file Bijou, une belle cambrioleuse. Alors qu'elle s'apprête à dérober un gros diamant dans un musée, un agent de la sécurité la surprend. Elle le neutralise facilement mais doit composer avec le justicier qui réclame qu'elle laisse le caillou. Toutefois, elle réussit à filer avec.


La voleuse et le vigilant se croisent à nouveau plusieurs fois les semaines suivantes, mais à chaque fois Bijou parvient à se faire la belle. Skulldigger dresse sur une carte les sites ciblés par la jeune femme et découvre qu'elle s'en prend aux possessions d'un certain Andres Vanger.


Bijou se présente à la boucherie où Skulldigger travaille dans le civil. Elle l'a trouvé grâce à une ruse et vient lui demander son aide pour attaquer Vanger lors du gala qu'il donne. Il refuse, même s'il sait qu'elle défend une bonne cause.


Inquiet pour elle, Skulldigger s'invite à la soirée et Bijou croit qu'il a changé d'avis. C'est alors que le terrible GimJim surgit et Bijou avoue à Skulldigger qu'elle l'a recruté. Mauvaise idée...

Lancée au début de l'année, Black Hammer : Visions est une initiative originale en même temps qu'une confirmation supplémentaire de la fertilité de l'univers créé par Jeff Lemire. Le scénariste, ses personnages et leurs aventures sont appréciés de tous dans le milieu et il a donc invité ses pairs à s'en emparer pour écrire et dessiner des one-shots.

Patton Oswalt et Dean Kotz, Geoff Johns et Scott Kolins, Chip Zdarsky et Johnnie Christmas, et Mariko Tamaki et Diego Olortegui ont précédé Kelly Thompson et Leonardo Romero dans cet exercice de style, avec des fortunes très diverses. Ce qui distingue ce cinquième épisode des autres, c'est que ses auteurs ont parfaitement réussi à capter l'essence du Black Hammer universe en profitant d'une parution récente.

En effet, la scénariste a choisi d'animer Skulldigger quelques mois seulement après la fin de la mini-série Skulldigger + Skeleton Boy, mais en situant son histoire dans le passé du justicier. Kelly Thompson s'adapte brillamment aux contraintes, sans doute parce que sa principale qualité d'auteur réside dans l'efficacité de ses postulats. On se dit, après ça, que si elle optait plus souvent pour des épisodes auto-contenus dans ses propres productions, elle ne sombrerait pas dans des intrigues aux développements et au dénouements si décevants.

Skulldigger était la version du Punisher et de Batman selon Lemire. Thompson invente un dérivé de Black Cat et leur rencontre aboutit à un jeu du chat et de la souris très accrocheur. On ressent très vite le trouble du justicier pour cette séduisante cambrioleuse, mais le récit ne se contente pas de jouer la carte romantique. En effet, Thompson l'enrichit d'un véritable enjeu dramatique en dévoilant le mobile des actions de Bijou, qui n'est pas une simple voleuse mais une sorte d'éco-terroriste qui s'en prend à un riche affairiste prospérant sur l'exploitation de zones vertes et de traffics douteux.

Les motivations troubles de Bijou ne peuvent que se heurter à la morale rigide incarnée par Skulldigger. Mais les codes stricts de Skulldigger sont également fragilisés par les méfaits bien intentionnés de Bijou. C'est donc sur cette lutte de principes et de sentiments que se fonde l'histoire et qui vient piquer notre intérêt. On a alors envie, par sentimentalisme, que Skulldigger pardonne et aide Bijou pour que rien n'arrive à celle-ci. Jusqu'à l'irruption du sinistre GrimJim.

La fin de l'épisode est tragique et poignante, mais Thompson a le bon goût de ne pas en rajouter. Cette subtilité est payante et correspond de manière idéale au traitement graphique. Celui-ci est le produit des efforts de Leonardo Romero, un artiste que connaît bien la scénariste, puisque c'est avec lui qu'elle réalisa son excellent run sur Hawkeye.

Romero est un excellent dessinateur qui a été mal traité par Marvel, un peu comme Greg Smallwood. Alors qu'il a prouvé sa régularité et la qualité de son travail, après Hawkeye, il n'a plus été utilisé par l'éditeur de "la Maison des Idées", ou alors comme bouche-trou (comme lorsqu'il a remplacé Chris Samnee, sur le départ, pour la fin de son run sur Captain America). Récemment, Romero est réapparu sur la suite de The Fabulous Killjoys, de Gerard Way, publié comme Black Hammer par Dark Horse Comics, et comme cover-artist sur la série Red Sonja/Vampirella chez Dynamite (poste qu'il a quitté suite au scandale ayant lié l'éditeur au Comicsgate).

A nouveau donc, par un étrange hasard, Romero se trouve à succéder à un artiste dont le style ressemble au sien, en l'occurrence Tonci Zonjic, co-créateur de Skulldigger. Cela permet au lecteur de renouer avec le personnage presque tel quel qu'il l'avait quitté, représenté d'une manière similaire, avec un trait élégant et épuré, valorisé par les couleurs simples et superbes de Jordie Bellaire.

Romero reprend le design de Zonjic (en modifiant juste un peu la forme des fentes au niveau des yeux sur le masque/casque de Skulldigger) et créé celui de Bijou. Il donne à celle-ci une silhouette élancée et un visage aux expressions asiatiques. La malice du personnage est irrésistible et rend, par contraste, son sort final bouleversant. Romero dessine dans un style réaliste et descriptif, mais avec une économie de détails au profit de jeux d'ombres et de lumières expressionnistes. C'est un pur produit de l'école Alex Toth, moins énergique que Samnee, mais très plaisant.

La complicité intacte entre Thompson et Romero fait plaisir à voir et donne envie de relire une série par eux. Surtout, ils ont sur s'approprier intelligemment, fidèlement et inventivement l'univers d'un autre, pour ce one-shot bondissant et émouvant. Une réussite, comme on en souhaite d'autres pour ce titre.

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