samedi 5 juin 2021

THE NICE HOUSE ON THE LAKE : BOOK ONE, de James Tynion IV et Alvaro Martinez


J'ai, en vous parlant aujourd'hui du "Premier Livre" de The Nice House on the Lake, gardé en quelque sorte le meilleur pour la fin. Car je dois dire que c'est la lecture la plus impressionnante que j'ai faite cette semaine, peut-être même du mois de Mai, et sans doute suis-je en face d'une des plus fortes impressions de 2021. On doit cette merveille à James Tynion IV qui renoue ici avec son dessinateur de Detective Comics, Alvaro Martinez, et les deux compères sont au sommet de leur art pour ce récit inattendu à plus d'un titre.


Ryan Cane a rencontré Walter pour la première fois il y a cinq ans dans un bar en ville. Il l'a abordée en lui demandant comment elle voyait la fin du monde et sa réponse qui se voulait sarcastique trahit son sentimentalisme. Mais Ryan et Walter sont devenus amis.


Aujourd'hui, Walter a invité Ryan à passer un congé dans une maison près d'un lac, appartenant à sa tante. Il a aussi convié neuf autres amis, connus au fil des années, que fréquente aussi à l'occasion Ryan. Tous sont ébahis par la beauté du cadre et la générosité de leur hôte de leur en faire profiter.


Après avoir pris possession de leurs chambres, ils se délassent autour de la piscine à la nuit tombée. Ryan s'isole du groupe pour consulter les news sur son téléphone portable. Elle apprend alors, horrifiée, que le pays est victime d'une attaque d'origine inconnue dévastatrice, et alerte les autres sur la situation.


Ils sont tous sidérés en en ayant la confirmation lorsqu'ils regardent le JT. Walter les assure que repartir en ville, auprès de leurs familles, est inutile. Ryan comprend qu'il est mêlé à tout cela, et il ne s'en cache pas. Désormais, ils sont obligés de rester ici et il fera tout pour rendre leur existence agréable.

La première surprise avec The Nice House on the Lake, c'est de voir cette mini-série publiée chez DC. Depuis la disparition du label Vertigo, l'éditeur n'a plus habitué ses lecteurs à ce genre de projets, non super-héroïques. En outre, James Tynion IV, le scénariste, place ses projets personnels chez des indépendants comme Boom ! Studios (Something is killing the Children, son hit, notamment). Mais DC, qui mise désormais beaucoup sur ce dernier, n'a sans doute pas voulu risquer de le laisser définitivement filer, avec un nouveau succès potentiel, même s'il écrit Batman, et donc c'est le "Black Label" qui accueille ce comic-book (là où paraissent aussi les mini-séries de Tom King - Mister Miracle, Rorschach, Strange Adventures, Batman/Catwoman....).

Ensuite, The Nice House... marque le retour aux affaires de Alvaro Martinez, très discret depuis son départ de Justice League Dark l'an dernier, où il faisait déjà équipe avec Tynion. L'artiste n'était annoncé sur aucune série (même s'il a participé à quelques planches d'un n° de Batman l'Hiver dernier). Je n'étais sans doute pas le seul à imaginer qu'il pourrait être débauché par Marvel.

Pour compléter cette dream team, la série est colorisée par Jordie Bellaire, qui a trouvé du temps dans son agenda bien rempli. Il faut absolument la citer car ce qu'elle produit là est exceptionnel. Elle nous a toujours comblé avec sa palette si variée et juste, mais elle s'est investie dans ce nouveau projet d'une manière magistrale pour un résultat qui ne l'est pas moins.

James Tynion IV apprécie le genre horrifique, on s'en était aperçu dans son run de Justice League Dark (même si cela restait soft). Cet auteur a grandi dans l'ombre de Scott Snyder, à qui il a souvent servi de suppléant sur plusieurs titres, mais il a aussi mené sa propre carrière chez des indépendants, sur des séries plébiscités par des lecteurs moins attirés par le DC mainstream, avec The Woods (36 épisodes), déjà chez Boom ! ou en ce moment avec The Department of Truth chez Image Comics. Sans doute son goût pour l'épouvante lui a-t-il servi d'exutoire, lui qui a longtemps craint que son homosexualité ne compromette sa progression dans les comics.

The Nice House on the Lake s'appuie, pour ce premier n°, sur une présentation des protagonistes. On fait connaissance avec pas moins de onze personnages, Walter et ses dix invités. Chacun est introduit de manière très rapide et en même temps très évocatrice au moyen de cartons résumant leur situation professionnelle, de couple, et depuis combien de temps Walter les connaît et les a choisis pour ce séjour. Ce dernier point met la puce à l'oreille sans pourtant nous permettre de deviner le twist final, réellement sidérant.

Ce qui frappe chez Ryan Cane ("l'artiste"), Norah Jacobs ("l'écrivain", David Dane ("le comédien"), Molly Reynolds ("le comptable"), Veronica Wright ("la scientifique"), Sam NGuyen ("le reporter"), Arturo Pérez ("l'acupuncteur"), Sarah Radnitz ("la consultante"), Naya Radia ("la docteur") et Rick MacEwan ("le pianiste"), c'est qu'il sont tous des trentenaires, donc des adultes, avec une professsion, et un physique séduisant. Ils appartiennent tous à une sorte de catégorie commune, et leurs caractères sont complémentaires même si contrastés. On devine des lignes de tension entre eux, mais rien qui paraisse très grave. On notera aussi qu'un invité de Walter n'a pas répondu à son appel : c'est d'ailleurs celui dont Ryan semble avoir pris la place puisqu'il était lui aussi désigné comme "l'artiste" de la bande.

Ces titres intriguent aussi : on a le sentiment que Walter a voulu rassembler des personnalités représentatives de plusieurs disciplines, issus de la culture, des affaires, des sciences, des médias. Une sorte de panel, résumant l'humanité. 

Mais surtout ce qu'il faut bien retenir, même si on en ignore encore la raison, c'est que Walter a choisi ses invités. Et il les a sélectionnés méticuleusement, patiemment, depuis des années. Rien n'est le fruit du hasard, même si, comme semble l'indiquer la première scène entre Walter et Ryan, il a dû aborder chacun de la même manière, dans un lieu de sociabilité (pour Ryan, un bar). Qu'est-ce que cela signifie ? On a un début de réponse à la fin de l'épisode, quand on apprend avec eux que la Terre entière vient d'être victime d'une attaque terrible, d'une ampleur incroyable, vraisemblablement par des extra-terrestres : il s'agirait d'un groupe d'individus triés dans un but précis (mais lequel exactement ?).

Tout cela en tout cas accroche immédiatement le lecteur. D'autant que les deux premières pages se situent dans le futur, un avenir sombre, apocalyptique, qui révèle que les invités ne sont pas restés dans la maison, malgré les préventions de Walter. Et même que Ryan (entre autres ?) combat (a combattu ?) Walter. Walter qui, donc, n'est certainement pas humain, comme l'indique l'agression qu'il subit et à laquelle il survit après que les invités aient compris son implication dans la catastrophe mondiale et le piège qu'il a tendu au groupe. 

Tout ça en une vingtaine de pages, qui file à toute allure mais laisse une impression de densité incroyable, par le nombre de personnages, la puissance du coup de théâtre final, l'intensité de l'ambiance. Une ambiance qui doit beaucoup aux dessins.

Alvaro Martinez produit son meilleur travail. Point. Il passe vraiment dans une autre dimension sur cette série,  et si vous connaissez bien ce qu'il a fait auapravant, vous serez complètement retournés. Déjà, il se passe d'encreur, alors qu'il avait noué un partenariat très concluant avec Raul Fernandez, un finisseur très talentueux, qui respectait le trait fin et élégant du dessinateur. C'est comme si Martinez se réinventait sous nos yeux, sans avoir prévenu, sans qu'on s'y soit attendu. Un geste d'une audace inouïe.

Mais absolument maîtrisé. Car les images réalisées là sont juste à couper le souffle. C'est simple, j'ai été aussi soufflé par ces planches que lorsque j'ai découvert le Stuart Immonen de Superman : Identité Secrète, que artinez semble avoir pris comme modèle, mais sans le copier. On évolue dans un registre réaliste et descriptif, mais avec un traitement du trait profondément renouvelé, à la fois moins académique et pourtant très figuratif, trés évocateur. Le plus bluffant réside sans doute dans les effets de lumière, que Martinez laissait son encreur modeler avec des traits fins, précis, à la limite de la gravure, tandis qu'ici, il compose en pensant à l'apport de la coloriste Jordie Bellaire.

Avant de parler plus de cette dernière, il faut aussi citer le travail de Martinez sur le décor. Car la belle maison près du lac du titre est un personnage à part entière, le douzième membre du casting de Tynion. Et l'artiste n'a pas fait les choses à moitié. La périodicité mensuelle des comics force souvent les dessinateurs à sacrifier les décors par manque de temps. Priorité est donnée aux personnages, à l'action, à la suggestion du mouvement, et comme les comics de super-héros reposent sur l'action, le spectacle, et la destruction causée par les affrontements de forces surhumaines, les décors sont vite endommagés, causant au passage beaucoup de fumée, de poussière, autorisant l'artiste à se contenter de les esquisser.

Mais quand on illustre un huis-clos, avec une maison qui, dès le départ, doit en mettre plein les yeux non seulement aux personnages mais au lecteur, alors pas le choix, il faut soigner le décor, le rendre crédible, impressionnant. C'est le cas de cette maison, luxueuse, immense, dont les intérieurs sont représentés par Martinez dans des doubles pages superbement composées et fournies.

Et sur ce point comme le reste, Jordie Bellaire pose des couleurs magiques. Mais alors vraiment, vraiment magiques. Elle n'hésite pas à privilégier une seule teinte, comme le bleu, pour souligner un climat, une ambiance. C'est le fruit d'une complicité évidente avec Martinez parce que les couleurs de Bellaire complètent magnifiquement le dessin, ne mange jamais son trait. Pour le coup, The Nice House... est une BD qu'il serait insensée de publier en noir et blanc (alors que c'est une mode actuelle pour proposer, à des tarifs exorbitants, des éditions pour des lecteurs "puristes"). Lui ôter les couleurs de Bellaire serait un sacrilège quand on voit ce qu'elle apporte à l'ensemble. (Ceci dit, les planches en N&B de Martinez sont certainement sublimes quand même, mais j'en ai marre de ce néo-snobisme où le N&B serait le summum, le vrai dessin. Je pense qu'un bon dessin doit fonctionner sans couleurs, pas que la vérité du dessin soit dans le N&B.)

Que vous craquiez dès à présent en vo, que vous attendiez le TPB, ou la traduction (chez Urban, sans doute n 2022), ne passez pas à côté de The Nice House on the Lake. C'est une BD qui ressemble à un instant-classic, un futur chef d'oeuvre. Et ce frisson qui vous parcourt en la lisant est incomparable.   

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