lundi 28 juin 2021

DES NOUVELLES NOUVELLES TOUTES FRAÎCHES

C'est reparti pour une nouvelle fournée de news. Forcément, en cette fin de mois, elles sont moins nombreuses car les éditeurs en gardent sous le pied et que déjà pas mal d'infos ont été communiquées. Comme d'habitude, celles que je livre et commente ici sont une sélection personnelle.

*

MARVEL COMICS :


Marvel, c'est un peu la course à l'échalote. L'éditeur doit en permanence occuper le devant de la scène pour confirmer son statut de leader, de locomotive du marché, et dans le flot d'annonces, l'une chasse souvent l'autre. C'est une stratégie, qui reste payante quoi qu'on en dise. Par ailleurs, au moment où la crise sanitaire semble se tasser (mais cela ne veut pas dire qu'elle est derrière nous), Marvel donne le la, aussi bien dans les bacs de comics que dans les salles de cinéma où leurs blockbusters reviennent (bientôt Black Widow, puis Shang-Chi, Les Eternels...).
Parmi les nouveautés en Août, donc très bientôt, un relaunch de Black Panther. Ta-Nehesi Coates vient de conclure un run de 25 numéros, après un long délai, et avec la colaboration de Brian Stelfreeze, Chris Sprouse et Daniel Acuña. Je n'ai absolumement jamais accroché à ce qu'il a écrit en deux volumes, même si graphiquement c'était très beau. Pour moi, c'est assez simple : Marvel s'est payé un auteur renommé pour ses essais sur la communauté noire comme une sorte de caution morale pour la série d'un de leurs héros africains emblématiques, après le succès du film de Ryan Coogler, mais être un bon écrivain/essayiste ne donne pas forcément les compétences pour être aussi un scénariste de comics.
Pourtant, c'est dans cette direction qu'a décidé de persévèrer Marvel en nommant John Ridley comme nouveau pilote de Black Panther. Ridley a gagné l'Oscar du meilleur scénario adapté pour 12 Years of Slave en 2013. Cette reconnaissance lui a valu d'être courtisé par les éditeurs majeurs de l'industrie et il s'est illustré chez DC avec Future State : The Next Batman. Il signera à la rentrée une nouvelle série mensuelle, I Am Batman, dessinée par Olivier Coipel.
Suivant la même logique donc, Marvel a demandé à un auteur noir d'écrire les aventures d'un super-héros noir, Black Panther, comme si cela suffisait. Sauf qu'on ne peut pas dire que The Next Batman a ébloui beaucoup de lecteurs par le brio de son récit. Souhaitons à Ridley d'être plus inspiré avec Black Panther.
Toutefois, malgré mes réserves, il y a quand même un point très positif dans cette reprise car Ridley sera aidé par Juann Cabal au dessin. J'ai adoré sa prestation sur Guardians of Galaxy, écrit par Al Ewing, où son talent éclatait dans des pages folles, parfois dignes d'un JH Williams III. Si Cabal (qui commence à se tailleur une belle réputation, au point que Marvel en a fait un de ses "Stormbreakers", les artistes sur lesquels l'éditeur mise pour le futur) est dans la même forme, alors ça promet.
Alex Ross signera les couvertures de ce nouveau volume de Black Panther.
  

La semaine dernière, j'évoquai la fin du run de Nick Spencer sur The Amazing Spider-Man en souhaitant bonne chance à son successeur, encore inconnu, car c'est un job nécessitant de tenir un rythme de travail insensé. Quand on écrit Spider-Man, qui reste le personnage le plus populaire de Marvel, pas question de livrer un seul épisode par mois et des events quand ça vous chante, il faut usiner pour la machine à cash que représente le Tisseur et combler ses fans (même si ceux-ci râlent en estimant qu'on les prend pour des vaches à lait).
Et puis dans le courant de la semaine, Marvel a teasé la suite, d'abord en diffusant cette image ci-dessus, avec ce hashtag #SpiderManBeyond. Le Tisseur y apparaît mal en point, bien que Mary Jane Watson l'embrasse tendrement. Vous noterez aussi la présence d'une bague à l'annulaire de la jeune femme, de quoi relancer les rumeurs d'un mariage avec Peter Parker (même si la bague est à la main droite, mais peut-être l'image a-t-elle été inversée). De là à supposer que Marvel allait tuer Peter Parker (comme Stephen Strange)...


... Il n'y avait qu'un pas. Qui, apparemment, va être franchi. Enfin, en gardant à l'esprit que personne ne meurt définitivement dans l'univers Marvel (à part Captain Mar-vell, l'oncle Ben et Gwen Stacy). Mais qui pour assurer cet intérim ? 
En ce moment, chez Marvel, on aime bien se rappeler les années 80-90 : la série Avengers de Jason Aaron invoque Heroes Reborn, les X-Men de Jonathan Hickman se préparent à Inferno. Donc, Spidey rappelle Ben Reilly alias Scarlet Spider, resté fameux depuis la Saga du Clone (1994-96). En vérité, le personnage est apparu bien avant, dans The Amazing Spider-Man #149 en Octobre 1975, créé par le Chacal. Mais son heure de gloire attendra vingt ans dans une histoire controversée (encore aujourd'hui).
J'avoue ne jamais être parvenu à lire intégralement La Saga du Clone, donc je ne vais pas prétendre vous la résumer ici. Mais à l'époque, tout s'était terminé dans une grande confusion et un vrai scandale parce que Marvel avait voulu remplacer Peter Parker par Ben Reilly, ce qui avait provoqué l'ire des fans du premier. Malgré cela, Ben Reilly conservait un noyau dur de supporters, estimant qu'il faisait un meilleur Tisseur que l'original, et il hérita de son propre titre, Scarlet Spider, dont la carrière éditoriale a connu moults soubresauts.
Pour orchestrer ces grandes manoeuvres, on trouve Zeb Wells (actuellement scénariste de Hellions) : c'est lui qui a pitché la relance à Marvel et qui en sera un des auteurs. Mais il ne sera pas seul car la série sera désormais publié à raison de trois fois par mois (ce qui rappelle l'époque Brand New Day, consécutive au départ de J. Michael Straczynski). En plus de Wells donc, ce seront Kelly Thompson (Black Widow), Saladin Ahmed (Miles Morales : Spider-Man), Cody Ziglar (Rick & Morty) et Patrick Gleason (qui serait donc parmi les scénaristes, et non un des artistes) qui présideront à la destinée de Ben Reilly/Spider-Man. 
Les dessinateurs sont encore inconnus. Peut-être que Gleason va quand même réaliser quelques épisodes (ceux qu'il écrira ?). Mark Bagley en sera aussi, j'en suis sûr. Mais il faudra du monde pour faire tourner tout ça. Donc le résultat risque de ne pas être très homogène visuellement.
Franchement, ça ne me donne pas envie, mais c'est impossible de ne pas en parler (comme d'éviter Batman chez DC).


Dans ma récente critique de Way of X #3, intégré à l'event Hellfire Gala, j'avais déjà vendu la peau de l'ours, mais j'y reviens. Le titre, récemment lancé par Si Spurrier, (en provenance de chez DC) et Bob Quinn, va s'arrêter au #5 avec un numéro spécial intitulé Onslaught Revelation.
En effet, dans Way of X, Diablo, allié à Légion et le Dr. Nemesis, découvre qu'une entité malveillante hante Krakoa. Il s'agit du parasite psychique surpuissant Onslaught, originellement l'amalgame des pensées les plus sombres de Charles Xavier et Magneto, qui fut l'inspiration d'un célèbre event des années 90 (encore !). A la fin du troisième épisode, au lendemain du gala du Club des Damnés, le Dr. Nemesis rédige un rapport confidentiel dans lequel il s'interroge sur le danger qui menace le Pr. X, possiblement affecté par Onslaught (ce qui expliquerait, a posteriori, son comportement étrange depuis HoX-PoX) et qui compromettrait toute la communauté de l'île.
Way of X a été un échec critique et commercial. Mais était-ce évitable ? Je crains que non car la franchise X reboostée par Hickman a évidemment fait pousser des aîles à Marvel et son editor Jordan White qui a développé la gamme de revues en dépit du bon sens avec des séries dont la viabilité était illusoire.
Si Spurrier avait déjà commis il y a quelques années Cable & X-Force (avec l'infâme Salvador Larroca au dessin), puis s'était refait la cerise chez DC en écrivant The Dreaming, un spin-off du Sandman de Neil Gaiman, puis quelques épisodes de Justice League après le run de Scott Snyder. Débauché apr Marvel, le scénariste a multiplié les déclarations ronflantes comme quoi on allait voir ce qu'on allait voir et que Way of X allait bouleverser l'univers mutant via le personnage de Diablo et son projet de fonder une religion sur Krakoa à cause des doutes qu'il avait concernant l'Epreuve (the Crucible) et les résurrections.
Mais entre l'ambition et le résultat, il y a un gouffre. Avec un dessinateur plus que moyen (Bob Quinn), un casting improbable (Diablo - que j'adore mais qui n'a jamais assuré le succès d'une série avec lui en vedette - , Dr. Nemesis, Légion), tout ça a fait "pschitt !". Et même si Spurrier assure que Onsluaght Revelation ne sera que la fin de la première "saison" et qu'il a plein d'idées pour la suite, il y a peu de chance qu'on revoit Way of X (ou son équivalent avec un nouveau titre) dans les bacs. 
Pour moi, ce n'est que justice parce qu'au premier rang des reproches de cette idée, il y a ce qui est fait de Diablo. Son créateur, Dave Cockrum, avait tatonné pour l'imaginer : d'abord conçu pour la Légion des Super Héros chez DC, puis repris pour les X-Men comme un démon vraiment chelou, il est finalement devenu l'archétype du swashbuckler, l'aventurier des films de cape et d'épée, ou des récits de pirates. Dépossédé de son personnage, Cockrum pestera jusqu'à sa mort sur la cractérisation qu'en firent les scénaristes, car Kurt Wagner devint ensuite un homme d'église, une sorte de curé chez les X-Men - seul son rôle dans Excalibur (surtout la période Alan Davis) et Amazing X-Men (de Jason Aaron) renouera avec la version original de l'elfe bondissant. Malheureusement, comme beaucoup de ses devanciers (Hickman compris), Spurrier a préfé le curé Diablo (en le décrivant d'une manière déplaisante, limite réactionnaire).
Ce problème, c'est celui que la franchise va devoir affronter maintenant, sans doute en arrêtant de lancer de nouveaux titres ou en utilisant des appellations sans un casting approprié (comme Excalibur). Une franchise perd de sa force en se dispersant et en voulant occuper l'espace avec des projets qu'au fond les lecteurs ne désirent pas. C'est pour cela que des séries comme X-Factor (dans une fonction et avec des éléments sans rapport avec son incarnation la plus populaire) s'arrêtent au bout de 10 épisodes, et je ne donne pas cher de Children of the Atom.


Inferno se dévoile un peu plus, mais Jonathan Hickman, fidèle à lui-même, verouille la communication autour de sa prochaine aventure chez les mutants. J'ai questionné sur Twitter Valerio Schiti, un des artistes de l'event, pour savoir quelle quantité il allait réaliser. Bien sûr, il n'a pas pu me le révèler, mais j'ai l'impression qu'il va dessiner la majorité des quatre épisodes, tandis que Stefano Caselli et RB Silva (par ailleurs occupés par SWORD et Fantastic Four) se chargeront de parties spéciales (des flashbacks ou des flashforwards peut-être, par exemple).
Il semble aussi que ce soit Jerome Opena qui signera les couvertures régulières. En tout cas, un visuel du #1 a été dévoilé avec les solicitations de Septembre et l'image est glaçante à souhait avec les membres du conseil de Krakoa (y compris Mystique, qui est censée mettre littéralement le feu aux poudres) gisant parterre tandis que Moira McTaggert est debout au milieu d'eux.
Vite, vite, j'en peux déjà plus !

*

Je termine par ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Warren Ellis, et par extension tout ce qui concerne les problèmes de sexisme, d'agressions sexuelles dans l'industrie des comics.

Warren Ellis a été dénoncé il y a un peu plus d'un an par plusieurs femmes, dont certaines ont travaillé avec lui (comme la dessinatrice Colleen Doran), pour ses écarts de conduite. Le scénariste modérait et participait un forum sur son site et en profitait pour nouer des contacts avec des femmes. Il en rencontrait certaines, après leur avoir demandé des photos, et révélait alors une attitude déplacée, leur faisant des avances sexuelles. Dans le travail, il était réputé également pour être un auteur aimant profiter de son autorité et de sa notoriété (comme l'a avoué Doran).

Ellis n'est pas le seul homme à s'être mal conduit dans le milieu des comics, mais la libération de la parole des femmes avec le mouvement #Metoo a permis de nommer les individus qui avaient dépassé les limites. Scott Lobdell ou l'editor Eddie Berganza (chez DC) ont fini, après avoir été couvert par leurs employeurs pendant des années, par être débarqués. Ellis, lui, s'est d'abord vu retirer un projet de spin-off à l'event Death Metal de Scott Snyder, puis la mini-série Batman's Grave a failli être annulée (mais sans doute par respect pour le travail de Bryan Hitch et parce que Batman rapporte toujours gros) est allée jusqu'au bout. 

D'abord muet, le scénariste s'était fendu d'un premier communiqué, maladroit (puisqu'il y parlait plus de lui que de ses victimes) :

"Il me faut parler de différentes affirmations qui ont été faites récemment à mon encontre.

Je ne me suis jamais considéré comme célèbre ou puissant, au point où j'ai fait plein de mauvaises blagues là dessus pendant une vingtaine d'années. Ca ne m'a jamais frappé que d'autres personnes pouvaient voir la chose différemment - que je ne m'adressais pas à d'autres comme un égal en leur accordant de l'attention, mais comme quelqu'un avec une position de pouvoir et de privilèges. Je ne l'ai pas pris en compte dans un grand nombre d'interactions personnelles, et cette faute m'appartient.

Alors que j'ai fait plein de mauvais choix par le passé, et que j'ai dit de vilaines choses, laissez moi être clair : je n'ai jamais consciemment exercé de pression, manipulé ou abusé de quelqu'un, et n'ai jamais agressé personne. Mais j'ignorais la position dans laquelle je me trouvais à une époque où ça aurait dû être clair et j'en accepte la responsabilité à 100%.

J'ai profondément blessé des gens. J'ai honte de ces fautes et je suis profondément désolé. Je ne m'exprimerai pas contre les vérités personnelles des autres, et je ne les exposerai pas à la toxicité de la polémique actuelle. J'aurais dû être plus attentif, présent et respectueux des sentiments des autres - et je m'excuse de cela. J'ai connu des fins d'amitiés et de relations, parfois amères, souvent causées par mes propres échecs, et je continue de regretter et de m'excuser de la douleur que j'ai pu causer.

J'ai toujours voulu aider et soutenir les femmes dans leur vie et leur carrière, mais j'ai blessé beaucoup de personnes que je n'avais pas l'intention de blesser. Je suis coupable. Je prend la responsabilité de mes erreurs. Je ferai de mon mieux, et à cet égard, je présente mes excuses.

Je m'excuse auprès de mes amis et collaborateurs d'avoir créé cette situation, et j'espère qu'on les traitera bien. Les fautes et les mauvais choix de ma vie personnelle ne concernent personne d'autre que moi. 

Nous avons tous les jours des responsabilités envers les uns les autres. Et j'ai, par le passé, trop souvent déçu des personnes. J'espère un jour être digne de la confiance et la gentillesse qu'ont placé en moi mes collègues et amis.

Je vais continuer d'écouter, d'apprendre, et lutter pour être une meilleure personne. J'ai cherché à faire amende honorable avec certains, alors qu'on m'a mis au courant de mes transgressions, et continuerai de le faire. Je me suis excusé, m'excuse, et m'excuserai tout en prenant la responsabilité de mes actions sans équivoque.

Je vais à présent être silencieux, et écouter plus que parler, car d'autres voix ont bien plus d'importance que la mienne à présent."

Puis Ellis s'est tu à nouveau. Lâché par ses collaborateurs (comme Declan Shalvey, le dessinateur de Injection) et les éditeurs, c'était sans doute la meilleure solution de repli pour calmer les esprits. Les femmes abusées psychologiquement par Ellis se sont rassemblées sous la bannière SoManyOfUs, collectant les témoignages (pas seulement contre Ellis)

Puis il y a quelques jours le dessinateur Ben Templesmith a posté sur les réseaux sociaux qu'il comptait achever la série Fell, écrite par Ellis, et publiée par Image Comics. Dans la foulée, Image a répondu qu'il était hors de question de publier les derniers épisodes avant que Ellis ne s'"amende auprès de SoManyOfUS", sans qu'on sache exactement comment il devrait s'amender. L'association de victimes s'est fendu d'un communiqué :

"Lorsque nous avons mis en ligne SoManyOfUs.com le 13 juillet 2020, nous n'avions pas exprimée l'envie 'd'annuler' Warren Ellis. Nous voulions surtout échanger sur les façons constructives d'aborder un problème bien trop commun, de comportements abusifs de la part des hommes de pouvoir. Nous avions proposé aux personnes concernées de réfléchir à leurs actions passées et de considérer comment - et pourquoi - elles ont pu faciliter des comportements dans des environnements toxiques. Nous cherchions à appeler à l'ouverture, à la responsabilisation et au fait d'aller de l'avant, en proposant de travailler avec Ellis sur une forme de justice transformatrice. 

Depuis sa déclaration publique d'il y a un an, à la connaissance des autrices [du collectif], Ellis n'a toujours pas pris de responsabilité directe pour son comportement destructeur et n'a pas cherché à se pencher sur les circonstances qui permettent à ce genre d'attitude de continuer sans contrôle, en ligne comme hors ligne. 

Au cours de l'année passée, nous avons reçu de nombreux messages d'encouragements, tandis que nous étions aussi meurtries d'être contactées par d'autres victimes d'Ellis, ou par d'autres hommes qui avaient utilisé des mêmes méthodes pour abuser de leur pouvoir. Aujourd'hui, alors qu'Ellis revient aux comics sans chercher à s'amender envers qui que ce soit impliqué dans SoManyOfUs.com ou à reconnaître les conséquences de ses actions, le renouvellement d'un soutien public ardent et des appels à la responsabilité est rassurant. 

Nous réitérons notre appel, pour que Warren Ellis saisisse l'opportunité de devenir l'homme que tant de gens ont cru qu'il était."

Puis Warren Ellis a répondu, pour la première fois depuis des mois, éclairant d'un jour nouveau sa situation et l'avenir :

"On m'a informé aujourd'hui de la proposition du collectif So Many Of Us d'un dialogue avec médiation, et leur ai demandé la permission aujourd'hui d'intégrer ce dialogue. Je ne sais pas où cela nous mènera, mais ce que je sais, c'est que je veux faire tout ce qui est en mon pouvoir pour ne plus faire partie du problème et ne plus répéter le passé en aucune façon. J'espère que ces conversations seront régulières et productives pour tous/toutes.

Il y a un an, j'ai fait cette déclaration.

A l'intérieur, j'ai fait de mon mieux pour répondre aux nombreuses accusations concernant mon comportement passé, au mal que j'avais causé, et aux effets négatifs de mes erreurs de jugement. J'en suis venu à réaliser que ces dommages persistent, et ont laissé des marques durables sur beaucoup de gens. 

Par le passé, j'ai été insouciant et irréfléchi dans la façon d'aborder mes relations personnelles, et je m'excuse à nouveau sans aucune réserve. Depuis l'année passée, j'ai entamé une thérapie et pris d'autres mesures pour améliorer mon comportement, et je continue d'intégrer l'aide et les conseils qu'on a pu me donner. J'ai eu beaucoup de conversations difficiles avec des personnes qui sont ou ont été proches de moi, et je continuerai dans cette voie. Je travaille sur ce changement. Je n'ai pas pris la parole parce que j'avais beaucoup de travail à faire, beaucoup de fautes à réparer, et je veux avancer consciencieusement sans causer plus de mal. 

Je suis bien sûr resté silencieux et isolé pendant trop longtemps, et j'aurais dû aborder le problème et avancer plus rapidement. Je m'en excuse.

Tout ceci aurait dû particulièrement être discuté avant que des nouvelles d'un nouveau projet parviennent de mon collaborateur [Ben Templesmith, donc, ndt]. C'est de ma faute et le bouquin a été annoncé prématurément, sans l'aval ou la connaissance d'Image Comics. J'aurais dû lui signifier avant toute chose que j'avais encore du travail à faire pour aborder mon passé. J'aurais dû travailler avec Image pour être sûr qu'ils étaient prêts et à l'aise à s'engager publiquement dans le projet quand j'avais encore bien du travail à faire sur mon passé. Ceci est un autre exemple de mes erreurs de jugement. J'ajoute maintenant [Templesmith] et Image à la liste des gens à qui je dois m'excuser.

Naturellement, essayer de réparer mes erreurs maintenant donne l'impression que la seule raison pour laquelle je m'exprime là est de protéger ce projet. Ce n'est pas le cas, mais ça n'a pas d'importance : ce qui est important, c'est que j'essaye de faire les choses bien - quelle que soit l'impression que ça donne de moi ou si le timing est bon ou mauvais. Voici ce que je pense :

J'ai eu presque un an pour méditer sur tout ce que j'ai appris sur la façon dont mon comportement a blessé d'autres [personnes] et je suis désolé. Le répéter encore et encore ne rendra les choses meilleures pour personne, mais à présent que j'ai eu le temps d'écouter, d'intégrer et d'avancer sur ce que j'ai compris, il y a plusieurs points supplémentaires que je voudrais ajouter.

Je reconnais que j'ai causé du tort. Ni mes intentions à ces moments, ou la perception que j'en avais, ne change cela. Pas plus que ça n'effacera le fait que le résultat de ces comportements a clairement affecté des personnes pendant des années, et a peut-être incité d'autres à avoir des comportements néfastes. 

Si vous êtes un lecteur qui me soutenait, hé bien merci, mais s'il vous plaît ne prenez plus ma défense. Le changement ne se produit pas en une nuit -- je suis au début d'un long chemin, et c'est une route qui n'a pas de fin définie -- et il ne se fait pas en vase clos. Si vous voulez me soutenir, alors soutenez les efforts envers la transformation des communautés, des industries et des lieux de travail.

Avançons. 

Je suis à présent en thérapie depuis près d'un an et continuerai de suivre cette partie du processus. 

Je ne continuerai de travailler sur de nouveaux projets qu'avec les collaborateurs qui m'auront exprimé être à l'aise avec cette idée. J'ai mis fin aux apparitions publiques, et je pense que j'ai encore du chemin à faire avant que ce genre d'activités soit à nouveau appropriée. Je suis reconnaissant envers mes collaborateurs qui continuent de s'associer à moi, et des conversations difficiles mais instructives que nous avons dû avoir pour en arriver là.

J'ai toujours gardé le secret sur mes donations caritatives, mais en cherchant des façons de contribuer au changement sans me mettre en avant, j'ai augmenté mes donations envers les groupes de soutien aux femmes. Plus récemment, mon dernier chèque de royalties a servi à financer d'un côté des thérapies pour de jeunes femmes et de l'autre à soutenir des créatrices au sein de l'industrie de la BD. J'espère faire plus et serai preneur des suggestions d'associations caritatives auxquelles je peux apporter un soutien à long terme.

Je ne sais pas ce que deviendra cette newsletter. Ca me manque de ne plus vous parler, mais je me suis engagé à parler moins, écouter plus et devenir meilleur. Vous êtes toujours 23 000, et ce serait une bonne chose d'utiliser cette plateforme à bon escient. Je vais continuer d'y réfléchir, prendre des conseils d'amis et faire un inventaire régulier.

Comme je l'ai dit précédemment - je suis désolé de vous avoir déçus, et je suis désolé d'avoir trahi la confiance que vous aviez placé en moi. J'espère, qu'au fil du temps, j'arriverai à en récupérer un peu. 

Sincèrement,

Warren"

(Merci à Comicsblog pour la retranscription et la traduction de ces messages.)

Et maintenant ? A l'époque où le scandale avait éclaté, j'avais rédigé dans ce blog une entrée un peu hâtive pour déplorer les excès de la justice médiatique envers Ellis et Cameron Stewart (pour des faits similaires et peut-être encore plus embarrassants, puisque lui draguait des mineures), dénonçant aussi l'hypocriseie et du milieu des comics (où beaucouo savait que des artistes et des éditeurs dérapaient) et des militant.e.s (qui prétendaient ne pas vouloir "annuler" les accusés mais ne portaient pas plainte contre eux, préférant les dénoncer sur les réseaux sociaux, ce qui revenait à les griller dans l'industrie et aux yeux du public).

Sur le fond, je n'ai pas changé d'avis. Je méprise les tribunaux que sont Facebook, Twitter et autres réseaux sociaux, ces déversoirs à haine, sans modération, sans contradiction, sans retour. Par ailleurs, si quelqu'un comme Ellis a une oeuvre qui en a fait un homme jouissant d'un certain confort matériel indéniable, qui donc peut voir venir, se retirer un moment du milieu sans tomber dans la précarité, il n'en va pas de même pour un Cameron Stewart, qui n'a jamais eu une reconnaissance équivalente, et qui, au moment où ses errements ont été dévoilés, s'apprêtait à terminer un graphic novel sans avoir d'éditeur.

Mais je ne suis pas sans coeur ni aveugle. Je sais que Ellis, Stewart et d'autres n'ont pas eu un comportement exemplaire, approprié, convenable. Je refuse donc qu'on ignore ce qu'ils ont infligé de souffrances. Reste à savoir comment réfléchir à cela, sinon à comment le punir.

Je crois d'abord qu'il ne faut pas se prendre pour un juge. Ce que beaucoup trop font. J'ai lu des articles réclamant la tête d'Ellis, Stewart et compagnie, qu'il leur soit interdit de retravailler, de trouver un éditeur, condamnant même leurs fans pour les avoir lus et désirant découvrir de nouvelles oeuvres de leur part. C'est absolument délirant. Et j'assume complètement l'envie que j'ai de relire du Ellis, du Stewart car je rejette absolument cette hygiénisme culturel, moral de l'art, qui voudrait que seuls les artistes exemplaires soient abordables. Si on se met à purger les bibliothèques de tous ceux qui n'ont pas eu une existence conforme à la bienséance, alors il ne restera plus grand-monde dans les étagères mais surtout on se privera de bien des auteurs les plus passionnants. Sans compter que ce n'est pas parce qu'on est une enflure qu'on produit des oeuvres promouvant des actes décadents et répréhensibles.

Surtout, il ne faut pas confondre justice et loi. Si Ellis, Stewart et d'autres étaient poursuivis en justice, devaient répondre de leurs actes devant des juges, affronter les peines de leurs victimes, bref si leurs cas étaient règlés en bonne et due forme, visés par des procédures, alors oui, je pourrais changer complètement d'avis sur eux car je disposerai de tous les faits, il y aurait matière à débat avec des témoignages contradictoires, et un verdict. 

Mais en l'état, c'est impossible. D'un côté, il y a des hommes aux comportements déplacés, et de l'autre des victimes dont les souffrances sont variables. De quelles souffrances s'agit-il d'ailleurs au juste ? Car si ces femmes ont souffert psychologiquement, indéniablement, il n'est pas question de viol, d'attouchements. Warren Ellis et Cameron Stewart ne sont pas Harvey Weinstein. Je crois qu'il faut raison garder et considérer ces affaires avec mesure, sans sous-estimer les fautes, sans les exagérer non plus. Je ne pense pas, je ne penserai jamais que bannir, insulter des hommes est une solution. Je pense aussi qu'il faut, à un certain degré, séparer l'homme de l'artiste : un artiste peut être un dépravé complet et détestable mais quand même produire des oeuvres admirables, bouleversantes (Roman Polanski en est l'exemple parfait). Empêcher Polanski de tourner, ce n'est pas règler le problème Polanski, c'est le déplacer. Empêcher Ellis d'écrire, Stewart de dessiner ne servira à rien ni à personne, ça ne soulagera pas leurs victimes, ça n'améliorera pas ce qui passe dans le milieu des comics, ça ne corrigera pas leurs comportements.

Ellis dit qu'il suit désormais une thérapie et souhaite dialoguer avec SoManyOfUs. Je ne vois pas pourquoi il ne serait pas sincère et pourquoi sa repentance ne serait pas valable. Je préfère en tout cas cette issue à des procès ou des éditos expéditifs.

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