Après la tentative d'assassinat d'Amelia Addison contre l'agent de l'A.I.M. Richard Forson, le dieu de l'Oubli a tenté d'effacer cet événement mais il en a été empêché in extremis par le Dr. Strange. Ce dernier et Wyn découvre alors d'où vient Forson et ce qu'il a subi...
Disons-le tout net : s'il n'y avait pas Doctor Strange dans le casting de G.O.D.S., rien ou presque dans cette série ne permettrait de la rattacher à Marvel. Certes, on y mentionne l'A.I.M. (Advanced Idea Mechanics), une organisation criminelle de savants fous et de laborantins, mais c'est générique : cela pourrait s'appeler tout autrement, en conservant le même rôle. Mais tout cela éclaire sur le projet de Jonathan Hickman.
Plutôt que de partir de rien et de devoir tout inventer, tout contextualiser, le scénariste s'appuie sur des éléments familiers au lecteur des comics Marvel pour gagner du temps. Il retient ce qu'il lui est utile et fait fi de tout le reste pour développer une mythologie propre qui lui permet d'explorer les mondes de la science (ou de la super-science) et de la magie. G.O.D.S. se dresse alors comme la cartographie de ces deux pans de l'univers Marvel dans un registre qui évoque le récit policier.
Les créations de Hickman - Wyn l'avatar du Pouvoir-en-place, donc de la magie, et Aiko, le centivar de l'Ordre-naturelle-des-choses, et leurs apprentis respectifs, Dimitri et Mia - sont en quelque sorte trop neufs et encore trop peu familiers pour le le fan lambda, alors Hickman emploie le Dr. Strange comme une sorte de personnage-témoin, une sorte de passeur, c'est à lui que revient le rôle de guide. Jusqu'à quand ? Là est la question, mais il semble inévitable qu'à un moment ou un autre Hickman s'en passe pour laisser à ses propres personnages tout l'espace.
Dans le précédent épisode, on assistait à la tentative d'assassinat par Amelia Addison, une Cassandre (dont une voyante maudite puisque personne ne croit à ses prédictions catastrophiques) contre un agent de l'A.I.M. en possession d'une arme terrible. L'incident était perturbé par l'intervention de l'Oubli (Oblivion), un dieu ancien, voulant effacer ce qui allait se produire, et le Dr. Strange, qui voulait éviter à la fois ce meurtre et son oubli. Strange, comme on le découvre ici, réussit cet effort et l'agent de l'A.I.M. est neutralisé. Par contre Oubli fait savoir à Wyn que cette intervention lui vuat d'être son ennemi - ce qui n'effraie pas l'avatar du Pouvoir-en-place...
Mais reste la question : qui est cet agent de l'AIM ? L'épisode va alors procéder à des va-et-vient entre son passé et le présent. On découvre alors qui est ce Richard Forson (tiens, tiens, Forson est également le nom de famille d'Andrew Forson, un des cadres historiques de l'AIM, entré ensuite en dissidence avec l'organisation au point de devenir un agent double à la solde du SHIELD...), comment il a été le sujet d'expérimentations menées par l'Intermédiaire, l'incarnation d'une force cosmique, au moyen d'une boîte de Skinner (un dispositif expérimental inventé par B.F. Skinner dans les années 1930 pour étudier les mécanismes du conditionnement au moyen de stimuli et de punitions positives ou négatives).
Ce que découvrent donc ainsi Wyn et Strange va les conduire à une révélation encore plus spectaculaire et qui met en évidence un plan plus vaste des Intermédiaires et qui explique ce qui s'est déjà produit lors de leur affrontement avec le proto-mage Cubisk Core.
Entre temps, on assiste aussi à une prise de bec entre Wyn et son ex-femme Aiko quand il découvre qu'elle a recruté une jeune magicienne (Mia) sans l'en avertir (alors que lui chaperonne Dimitri, disciple de l'Ordre-naturel-des-choses dans le cadre d'un accord).
La narration de G.O.D.S. ne ressemble à rien de connu, en tout cas on ne trouve rien de semblable actuellement chez les Big Two (et certainement aussi chez les indés). Hickman ne procède pas par arcs narratifs, chaque épisode est un maillon d'une chaîne dévoilant à chaque fois quelque chose de surprenant et d'énorme, et qui revisite de manière complètement originale les grandes forces cosmiques régissant l'univers Marvel. Les héros vedettes de l'éditeur en sont absents (pas d'Avengers, de X-Men, de Fantastic Four, juste Dr. Strange qu'on ne peut ranger dans la même catégorie), le reste de la distribution sont des personnages inventés pour l'occasion. Et les divinités évoqués sont revisités visuellement de telle sorte qu'on ne les reconnaît pas (comme l'Intermédiaire).
Mais il ne fait aucun doute, en revanche, qu'il s'agit d'un pur produit de Hickman : le scénariste aime voir grand et il est un des rares auteurs à manier des concepts pareils avec aisance (comme Al Ewing), un plan très ambitieux se dessine progressivement (comme c'était le cas dans ses productions antérieures) mais de dévoilant à son rythme, n'hésitant pas à frustrer le lecteur. Certains, à coup sûr, se décourageront, d'autres trouveront qu'il fait trop durer les plaisir ou douteront que la révélation soit à la hauteur. Mais il est indéniable que tout ça est original, atypique, intrigant.
Et surtout Hickman, comme pour sa revisite de l'univers Ultimate, semble seul maître à bord : personne à part lui n'a les clés de cette histoire, il paraît avoir obtenu la garantie qu'aucun event ou crossover ne viendra parasiter ce qu'il a en tête (et, échange de bons procédés, il n'utilise aucun héros déjà exploité par un de ses confrères - même son Dr. Strange est employé sans que cela gêne la série écrite par Jed MacKay actuellement). C'est devenu, visiblement, la condition pour que Hickman travaille pour Marvel : qu'on lui fiche la paix, qu'il puisse s'amuser de son côté sans avoir à se mêler de ce qui se passe ailleurs. Et, ma foi, compte tenu de ce qu'il met en place, il n'en a pas besoin (et nul n'oserait s'y aventurer).
Enfin, il dispose d'un artiste capable de suivre sa fantaisie. Avec Valerio Schiti, il bénéficie d'un dessinateur au sommet de son art et capable d'enchaîner les épisodes sans faiblir. Schiti s'est lui-même beaucoup investi sur le plan graphique dans ce projet, imaginant des designs, co-créant les nouveaux personnages : c'est une vraie collaboration avec son scénariste, pas simplement quelqu'un qui est là pour mettre en images un script.
Cet épisode prouve aussi, encore une fois, l'imagination féconde et l'énergie de Schiti, capable de créer des environnements à la fois majestueux et inquiétants, piochant aussi bien chez David Lynch que chez Stanley Kubrick tout en insufflant une subtile touche horrifique. Le tout encadré par un découpage virtuose, challengeant sans cesse ce que lui écrit Hickman. Cet épisode ressemble au précédant, en introduisant un personnage, en présentant son conditionnement, et pourtant c'est palpitant, et ça ne s'arrête pas là puisque les dernières pages conduisent les héros et le lecteur vers un niveau supérieur.
G.O.D.S. est, je le répète, une expérience - jubilatoire. D'autant plus que Marvel est avare en ce domaine. Mais en laissant Hickman et Schiti développer tranquillement leur récit, l'éditeur montre qu'il n'a pas perdu toute son audace.
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