David O. Russell est un drôle de bonhomme : en 1999, il tourne Les Rois du Désert, film de guerre inspiré de faits réels, avec George Clooney. Mais la star fera la promotition du film à reculons, avouant des relations de travail très conflictuels avec le réalisateur. Depuis, une sale réputation colle aux basques de Russell et il lui faudra attendre le triomphe de Happiness Therapy en 2012 (qui vaudra l'Oscar de la meilleure actrice à Jennifer Lawrence) pour être réhabilité à Hollywood.
A partir de là, les acteurs se battent pour tourner sous sa direction, même en sachant qu'il est exigeant avec eux. Christian Bale et Jennifer Lawrence louent les qualités de cet auteur complet qui écrit des rôles bigger than life à ses stars. Pourtant, Russell ne renouera plus avec les cîmes au box office de Happiness Therapy, malgré les mérites de American Bluff et Joy.
Il aura donc fallu attendre sept ans pour qu'il revienne derrière la caméra pour un nouvel opus encore plus ambitieux et échevelé. Amsterdam s'inspire de faits réels encore une fois (comme Les Rois du Désert, American Bluff, Joy), le complot dît du Comité du Dollar Solide (Business Plot) fomenté en 1933 par des nationalistes américains pour évincer Franklin Delano Roosevelt et instaurer une dictature inspirée de celles de Hitler et Mussolini.
Cette histoire méconnue fournit à Russell la matière pour une vraie fresque de 2h 15 menée sur un train d'enfer. En regardant le film, on a souvent l'impression que le cinéaste cherche à noyer le poisson en multpliant les péripéties périphériques et en alignant un acteur connu pour chaque rôle, y compris le plus petit.
Avec quelques-uns, comme Wes Anderson, Quentin Tarantino, David O. Russell est un des rares cinéastes actuels à attirer autant de grands noms pour parfois de simples caméos. Cela se retourne parfois un peu contre ses films car le spectateur attend forcément un figurant prestigieux en soutien des rôles principaux et finit par moins voir les personnages que les vedettes qui les incarnent. Mais il serait ingrat de reprocher à Russell sa distribution étincelante, d'autant qu'il dirige chacun avec le même souci, jamais pour laisser à quiconque le plaisir égoïste et égotiste de faire son numéro.
Et puis, donc, derrière ces apparats, il y a un récit qui file vite et qui est finalement facile à assimiler. Burt, Harold et Valerie sont trois amis à la vie, à la mort, qui se sont rencontrés dans les conditions les plus abominables. Comme dans un film d'Hitchcock, ils sont précipités dans une intrigue d'espionnage où ils font figures de coupables idéaux mais le spectateur sait qu'ils sont innocents. On n'a donc aucun mal à sympathiser avec eux et à espérer qu'ils s'en sortent, même si les élements jouent contre eux, qu'il s'agit de David contre Goliath.
L'intrigue s'égare parfois mais retombe toujours sur ses pieds. Il y a une folie quasi-fellinienne dans ce film, qui se permet tout, avec des mouvements de caméra virtuoses, des dialogues virevoltants, des embardées narratives complètement délirantes. Qui prend son temps puis accélère subitement. Qui conjugue hédonisme et improvisation européens (toute la séquence, magique, à Amsterdam) et grand spectacle hollywoodien (le final au gala, véritable tour de force, parfaitement minuté). Visuellement, ke film est horriblement beau, avec son défilé de gueules cassées dont Russell prend le parti, osé, d'en rire plus que de chercher à tirer des larmes, de personnages lunaires embarqués dans une aventure qui les dépasse mais qui se dépassent pour en sortir. C'est euphorisant, tout sauf sobre.
Et c'est peut-être ce qui explique que Amsterdam se soit ramassé. Car il faut accepter cette exubérance, ce flot d'informations, cette histoire tentaculaire et improbable (même si elle est vraie), ce casting de malade. Si on ne tolère pas cet côté ovni, alors Amsterdam peut vite être fatigant, lassant. Mais pour ma part, c'est un régal, une sorte d'anomalie joyeuse, bordélique, au milieu de productions formatées. Avec un vrai souffle.
Il en faut pour mener un tel nombre de stars : Rami Malek, Anya Taylor-Joy, Matthias Schoenearts, Alessandro Nivola, Mike Myers, Michael Shannon, Zoe Saldana, et ça, ce ne sont que les seconds rôles ! Russell offre même un petit rôle à la chanteuse Taylor Swift, qui est épatante.
Mais le trio majeur de Amsterdam est formé par trois acteurs au top. Moi qui ne suis pas un fan de Christian Bale, il n'y a que chez Russell que je le trouve bon. Le cinéaste arrive comme nul autre à le rendre drôle et à exploiter son jeu basé sur la performance physique (ici, il joue un médecin borgne et toxico) pour que cela ne cannibalise pas le film. John David Washington est excellent aussi, beaucoup plus sobre, et c'est justement par ce contraste que son duo avec Bale fonctionne si bien. Enfin Margot Robbie (brune ici) est elle aussi meilleure qu'ailleurs : son personnage est foldingue, ce qui fait craindre à une redîte de sa Harley Quinn, sauf qu'elle n'est pas en roue libre et surtout soutenue par deux partenaires de haut niveau (on peut d'ailleurs imaginer que si Jennifer Lawrence avait été dispo, Russell l'aurait choisi une nouvelle fois et cela aurait sans doute abouti à une autre interprétation, mais c'est une autre histoire). Ces trois-là sont en tout cas extrêment attachants, marrants, mémorables.
Russell rebondira-t-il après cet échec commecial ? Tant qu'il aura le soutien d'acteurs bankables, sans doute. La question est plutôt de savoir quand il trouvera un projet qui le motivera suffisamment et comblera les stars prêtes à s'investir pour lui. Il serait très dommage que ce réalisateur en reste là.
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