Pour une fois, je vais écrire sur une comédie française. Un sujet délicat puisque, généralement, les comédies françaises ne me font pas rire. Mais Irréductible m'a vraiment fait marrer et ce n'est pas un hasard puisqu'elle est co-écrite, réalisée et jouée par Jéröme Commandeur, un humoriste irrésisitible. Librement inspiré d'un film italient, c'est une franche réussite.
Véhiculé au beau milieur de la jungle équatorienne, Vincent Peltier est capturé avec son chauffeur par une tribu indigène. Présenté au chef, Coca, il doit lui raconter sa vie et pourquoi il est ici pour prouver que son âme est pure. Sinon, il sera brûlé vif. Vincent commence donc le récit de son existence, lui qui, dès l'enfance, a rêvé d'être, comme son père, agent de la fonction publique...
Dans son bureau des Eaux et Forêts, il est gâté par ceux à qui ils accordent divers permis. Jusqu'au jour où, avec ses collègues, il regarde à la télé le ministre de la fonction publique, Rosalyn Bacheron, annoncer une réduction massive des effectifs. Au pied du mur, Vincent monte donc à Paris pour recevoir ses indeminités de licenciement lorsqu'il se rappelle de Michel Gougnat, un ami syndicaliste de son père, à qui il se confie. Suivant ses conseils, il refuse le chèque qui lui tend Isabelle Baillencourt, l'assistante du ministre, qui décide, pour le faire craquer de le muter dans le pires endroits possibles.
C'est ainsi que Vincent est envoyé au Groenland pour veiller à la sécurité d'une équipe de scientifiques contre les attaques d'ours. Soumis à des conditions de vie extrêmes et à un travail dangereux, Vincent tient le coup car il rencontre Eva Bréband, une chercheuse dont il tombe amoureux. Ils deviennent intimes et elle l'invite lors d'un congé chez elle en Suède où Vincent fait la connaissance de ses trois enfants, nés de trois pères différents.
Mais le mal du pays se fait sentir malgré ce bonheur familial. Simultanément, le ministre remarque que la mutation de Vincent coûte une somme folle et menace Isabelle de trouver une solution pour se débarrasser de Vincent sinon c'est elle qui sera mutée. Suivant à nouveau le conseil de Gougnat, Vincent accepte une nouvelle mutation et convainc Eva et ses enfants de le suivre. Le voilà gardien de prison, fournissant ce dont les détenus ont besoin pour gagner leur confiance, tandis que Eva échoue à retrouver du travail et que sa progéniture échoue dans trois établissements scolaires différents. Ecoeurée par les magouilles de Vincent et ne s'habituant pas à la vie en banlieue, Eva s'en va.
Comme l'avait prévu Gougnat, la réforme du ministre est retoquée. Vincent réintègre son poste à Limoges. Quelques mois après, Eva lui téléphone pour l'informer qu'elle est sur le point d'accoucher de leur enfant. C'est ainsi qu'il débarque en Equateur et, convaincu, le chef Coca le relâche. Vincent accepte enfin de démissionner pour fonder une famille contre un chèque revu nettement à la hausse remis par Isabelle Baillencourt.
Irréductible avait tout pour que je l'évite : je suis un spectateur difficile avec les comédies en général et plus encore avec les comédies françaises qui me désolent plus qu'elles ne me font rire. Je ne vais pas ni faire le procès de ce genre ni du nombre de films affligeants que j'ai commencés à regarder sans les finir, mais je suis toujours stupéfait par le succès de productions médiocres produits dans l'haxagone et qui sont censées faire rire.
Comme c'est un genre qui rencontre souvent le grand public, il n'est pas certain que ça encourage les auteurs de comédie à devenir plus exigeants ni les producteurs à être plus sélectifs. Mais alors comment se fait-il que, quand il y a une comédie française aussi réussie que Irréductible, elle ne déplace pas les foules ? En effet, le film co-écrit, réalisé et joué par Jérôme Commandeur a atteint péniblement 750 000 entrées sur tout le territoire !
Cela fait longtemps que je suis fan de Jérôme Commandeur. Il a souvent été un de mes rendez-vous favoris à la radio dans les matinales d'Europe 1 (avant que Bolloré ne s'empare de la station) et j'étais toujours plié en deux de rire en écoutant ses billets loufoques. Par ailleurs, il a brillé lorsqu'il a présenté la cérémonie des César ou même lorsqu'il n'a fait qu'y remettre une statuette. Enfin, ses one-man show sont des grands moments grâce à une écriture incisive et un jeu très maîtrisé.
En 2016, déjà, Commandeur était passé derrière la caméra pour le très oubliable Ma famille t'adore déjà ! (assisté par Alan Corno) et le public ne s'était pas déplacé. Il a pris son temps pour récidiver, temps mis à contribution pour être associé en tant qu'acteur à de francs succès (même si les longs métrages étaient moins bons que lui). De quoi au moins devenir bankable.
En 2016, en Italie, une comédie, Quo Vado ? (de Gennaro Nunziante), fit un triomphe en Italie et Commandeur avec son co-scénariste Xavier Maingon l'ont adaptée librement pour aboutir à Irréductible. Le pitch peut faire peur : c'est une comédie sur les fonctionnaires, mais rassurez-vous, on est loin des Chevaliers du Fiel ! En 1h 25, Commandeur emballe son affaire en la tirant vers le comédie d'aventure, avec bienveillance mais non sans ironie - il a reconnu que les agents de la fonction publique étaient raillés trop souvent à tort et comme le montre une scène du film (quand Vincent Peltier devient gardien de prison), l'administration est pleine de postes ingrats mais nécessaires.
Le héros du film n'est pas sympathique et c'est sans doute un trait que Commandeur a voulu conserver par rapport à la source originale, car les italiens ont souvent su rester mordants avec leurs personnages principaux (de Dino Risi à Ettore Scola en passant par Mario Monicelli, on ne compte plus le nombre d'individus pathétiques mis en avant dans des classiques de la grande époque). Vincent Peltier a toujours voulu être fonctionnaire pour travailler comme s'il était en vacances, profiter des privilèges accordés à ces professions. Il est volontiers malhonnête quand il reçoit des cadeaux de ceux à qui il accorde divers permis et à qui il raconte qu'il ne s'agit pas de corruption puisqu'ils lui font des présetns "volontairement". C'est également un mufle, un fils gâté par sa mère, chouchou de son père, et accroché son poste.
Tellement qu'il préfère être muté n'importe où plutôt que de toucher un chèque d'indemnités. Inflexible, résistant, il endure même le climat rigoureux du Groenland. Et, le comble, c'est qu'il y trouve l'amour. Mais quand le mal du pays et la colère d'un ministre s'en mêlent, fini le conte de fées et retour en France pour de nouvelles mises à l'épreuve. Le spectateur est alors partagé entre une certaine admiration face à la détermination de Vincent Peltier contre le harcélement de se hiérarchie et toujours une pointe de désapprobation en estimant que son attitude n'a rien de noble. D'ailleurs, c'est ce point qui l'emporte quand il laisse partir Eva plutôt que de renoncer à son confort.
Racontée en flash-backs, le film ne perd pas de temps alors que Commandeur pourrait se complaire dans des scènes d'explication au chef Coca et transformer le tout en one-man show déguisé. Au contraire, il privilégie les relations de son héros avec les autres, pimente le récit avec des guest-stars qui jamais ne parasitent ou ne cannibalisent le projet. Plutôt que de miser sur un montage haché, Commandeur préfère rythmer son histoire à l'intérieur de chaque scène avec des dialogues vifs, des péripéties nombreuses, ce qui donne une vraie densité à l'ensemble et permet d'apprécier son abattage de comédien mais aussi son invention de scénariste.
Car Jérôme Commandeur ne fait jamais de numéro : il ne cherche pas à sauver son personnage, ni à l'accabler d'ailleurs, il lui confère une sorte de bonhomie, de normalité hilarante. Pour Vincent Peltier, pas question de lui retirer ce qu'il a toujours voulu faire, ni d'acheter à bas prix sa démission. Mesquin mais attachant, maladroit mais drôle, il n'a pas besoin d'en rajouter puisque pour lui, tout est parfaitement intégré.
Le reste du casting réserve d'excellentes surprises, comme celle de confier le premeir rôle déminin à Laetitia Dosch, plutôt habituée aux films d'auteur sérieux et qui rayonne littéralement dans ce registre. Elle n'est jamais dominée par Commandeur qui d'ailleurs ne cherche pas à s'imposer en vedette. Christian Clavier est employé à contre-emploi en syndicaliste (lui qu'on sait de Droite, grand ami de Sarkozy, et habitué aux rôles de bourgeois). Gérard Darmon est royal en ministre qui se croit irrésistible et Pascale Arbillot est géniale en chasseuse d'agents récalcitrants. On a même droit à une scène où Gérard Depardieu, dans son propre rôle, prononce magnifiquement un éloge de la France (savoureux de sa part quand on se souvient de ses exils à répétition).
On rit donc beaucoup, de bon coeur, et parfois, bonus appréciable, on est touché. Le film aurait pu se payer le luxe d'être plus méchant sans rien perdre de ses qualités. Mais Commandeur au fond est un tendre qui rit de tout sans vouloir blesser mais sans non plus être naïf. De quoi trouver encore plus injuste le succès trop modeste de son film si réussi.
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