Disponible depuis Vendredi sur Apple TV +, Causeway marque donc le vrai grand retour de Jennifer Lawrence au cinéma. Enfin... Pas tout à fait au cinéma puisque donc ce premier long métrage de Lila Neugebauer est visible sur une plateforme de streaming. Mais ça fait plaisir de retrouver cette exceptionnelle actrice dans un premier rôle à la hauteur de son talent dans une production intépendante. Et aux côtés d'un partenaire à la hauteur en la personne de Brian Tyree Henry.
Lynsey, ingénieur dans le génie civil, revient d'Afghanistan après avoir été lbessée dans l'explosion d'une mine lors d'une embuscade qui a coûté la vie à plusieurs de ses compagnons d'armes. Admise dans un centre de rééducation, elle souffre de lourdes séquelles d'un traumatisme crânien et doit tout réapprendre avec l'aide d'une infirmière spécialisée, Sharon. Elle doit également prendre un traitement médicamenteux lourd à base d'anti-dépresseurs à cause d'un syndrome post-traumatique.
Au terme de sa convalescence, elle ne pense déjà qu'à reprendre du service mais on lui impose du repos. Elle revient donc chez sa mère avec laquelle la communication est difficile car cette dernière n'a jamais compris la raison de son engagement. Lynsey, pour passer le moins de temps possible chez elle, trouve un boulot de nettoyeuse de piscine, largement en dessous de ses qualifications.
Mais lors de son premier jour, son pick-up tombe en panne. Elle le dépose chez un garagiste, James, qui doit commander une pièce détachée pour le réparer et accepte de la déposer à son travail. Il la croise à nouveau à la fin de la journée et la reconduit chez elle : en route Lynsey découvre qu'elle a fréquenté le même lycée que la soeur de James et lui apprend d'où elle revient. Ils finissent la soirée ensemble dans un bar puis un parc en fumant un joint. James explique avoir perdu sa jambe gauche dans un accident de la route qui a coûté la vie à son neveu.
Lynsey a rendez-vous avec le Dr. Lucas, neurlogue, qui observe son rétablissement et lui prescrit ses médicaments. Il refuse, malgré ses progrès, de lui signer une autorisation qui lui permettrait de repartir car si physiquement elle récupère bien, pyschologiquement elle présente encore un risque pour elle et les autres. Frustrée, Lynsey se concentre sur son travail, monotone et répétitif. Elle revoit James avec qui elle devient ami. Le fait qu'elle lui avoue aimer les femmes lève toute ambiguïté sur leur relation, même si, après avoir à nouveau bu et fumé ensemble, il l'invite, si elle le souhaite, à s'installer chez lui, dans la maison familiale où il cohabitait avec sa soeur avant l'accident.
Lynsey se remet à faire de l'exercice physique mais conserve des troubles moteurs et nerveux, elle dort mal et n'arrive pas à expliquer clairement à sa mère pourquoi elle a fui pour s'engager dans l'armée. Un soir, elle invite James dans la propriété de clients absents et ils se baignent dans leur piscine. James avoue qu'il avait bu quand il a eu son accident et fond en larmes, écrasé par la culpabilité d'avoir tué son neveu et détruit la vie de sa soeur. Lynsey l'enlace et l'embrasse avant de se détacher, confuse, reconnaissant qu'elle a fait ça par pitié. Mais James, furieux, lui répond qu'elle agit ainsi avec tout le monde, préférant fuir que de connaître les autres et admettre qu'ils souffrent comme elle.
Ayant perdu la seule personne dont elle se sentait proche, Lynsey revoit le Dr. Lucas qui accède à sa requête et lui délivre l'autorisation de rempiler. Mais avant de repartir, elle visite son frère, Justin, en prison, condamné pour traffic et consommation de drogues. Contre toute attente, il lui explique être mieux derrière les barreaux car protégé de la tentation, même si sa soeur lui manque et que leur mère ne soit toujours pas venue le voir depuis son incarcération.
Lynsey rentre en ville et achète un pack de bières, Elle récupère son pick-up au garage mais ne doit rien au mécano à qui James a dit que les réparations étaient offertes pour les soldats. Lynsey se rend chez James à qui elle annonce son intention de ne pas repartir dans l'immédiat et rappelle son offre de l'héberger qu'elle accepte si c'est toujours valable.
La dernière fois qu'on a vu Jennifer Lawrence au cinéma remonte à 2018-19 avec Red Sparrow (pouces en haut) et X-Men : Dark Phoenix (pouces en bas). L'actrice oscarisée (elle reste la plus jeune laurétate de ce prix) s'est ensuite retirée pour se marier et avoir un enfant tout en militant pour la cause féministe et le vote aux élections présidentielles américaines (en soutien de Joe Biden). L'an dernier, elle partageait l'affiche de la super-production Don't Look Up : Déni Cosmique d'Adam MacKay sur Netflix avec Leonardo di Caprio, mais je n'ai pas écrit de critique à ce sujet car ce fut une grosse déception (même si elle en était le meilleur élément).
Pour son "vrai" comeback au premier plan, Jennifer Lawrence n'a pas choisi la facilité : elle revient dans une petite production indépendante, mise en scène par Lila Neugebauer, dont c'est le premier long métrage (après plusieurs pièces de théâtre), dans un drame intimiste. Mais c'est surtout une forme de retour aux sources piur celle qui fut révélé dans le vibrant Winter's Bone (en 2010).
Lawrence a porté ce projet qui n'a vu le jour que grâce à son statut de star. Le scénario de Luke Goebbel, Ottessa Moshfegg et Elizabeth Sanders raconte le retour d'une femme qui revient d'Afghanistan après avoir sauté sur une mine et survécu à une embuscade dans laquelle ses compagnons d'armes ont tous péri. Victime d'un traumatisme crânien, elle souffre de graves séquelles et doit suivre une longue rééducation.
Le film ne montre aucune image de la guerre mais s'ouvre dans la clinique où Lynsey doit tout réapprendre : on observe un corps en souffrance, un esprit brisé. Elle ne tient plus debout, n'arrive plus à tenir une brosse à dents ni à écrire, elle parle à peine, a des insomnies et des crises d'angoisse nocturnes. Ce qui frappe, c'est l'économie, la sobriété avec laquelle Lila Neugebauer met cela en images : pratiquement pas de dialogues, des scènes courtes, une photographie (de Diego Garcia) crue. Tout est fait pour supprimer le pathos et le jeu de Lawrence est au diapason : on n'est pas dans une "performance" à Oscar, mais dans la retenue.
Le retour à une vie presque normale n'est pas plus simple : Lynsey vit avec sa mère, souvent absente et qui la retrouve en lui disant d'emblée qu'elle ne l'attendait pas si tôt. Lorsqu'elle va chez son neurologue, elle n'a qu'une idée en tête : repartir, même si elle sait qu'il est trop tôt. En vérité, elle veut fuir plus que retourner au combat car elle ne se sent plus à sa place ici. Et on découvrira durant l'heure et demie que dure le film qu'elle ne s'est jamais sentie bien chez elle. Son frère, un toxico et un dealer, est en prison mais elle l'évoque en en parlant toujours au passé, ce qui fait d'abord croire qu'il est mort. Le père n'est jamais mentionné.
Le récit s'attache à montrer des non-événements, il fuit tout spectaculaire, toute démonstration. Lynsey trouve un job où elle n'a pas à penser, à réfléchir (elle nettoie des piscines) alors qu'elle est surqualifiée (elle est ingénieur de formation). Son temps libre, elle le passe avec un garagiste à qui elle a confié son pick-up, à boire des bières et fumer des joints (alors qu'elle prend aussi des anti-dépresseurs), et avec qui elle est devenue amie en apprenant qu'elle avait fréquenté le même lycée que sa soeur.
C'est l'interprète de Phastos dans Les Eternels, Brian Tyree Henry, qui incarne James et fait passer le film dans une autre dimension. Non seulement il tient la dragée haute à Lawrence par sa présence physique imposante mais surtout par la subtiltié de son jeu. Comme Lynsey, James est un survivant hanté par le passé : lors d'un accident qu'il a causé, il a perdu son neveu et sa soeur, qui ne lui a jamais pardonné, a quitté la maison familiale dans laquelle ils habitaient. Sa jambe gauche amputée, il se dplace en claudiquant à cause de sa prothèse qui lui rappelle sans cesse sa faute.
Lynsey et James se trouvent en partageant leurs failles, leurs traumatismes. Leurs paroles se libèrent alors que d'ordinaire ils sont tous deux taiseux. Il n'y a pas de romance entre eux, Lynsey préférant les femmes et James répétant plusieurs fois qu'il ne cherche pas à la draguer quand il se montre attentionné avec elle. Le film est si délicat qu'on en oublie même que lui est noir et elle blanche, ce n'est pas la question, ce qui les unit dépasse tout ça.
Un suspense s'installe, progressivement, imperceptiblement, quand Lynsey exprime à plusieurs reprises (devant sa mère, son neurologue, James) son désir de repartir en Afghanistan. Mais une scène fait tout basculer : lors d'une baignade dans la piscine de clients absents, une discussion entre James et Lynsey dégénère lorsqu'elle le prend maladroitement en pitié et qu'il réplique colériquement en pointant qu'elle préfère fuir que vivre et profiter des gens qui l'aiment. Dans sa dernière ligne droite, alors que Lynsey décroche enfin le droit de repartir, elle visite son frère en prison et comprend son erreur. La fin reste ouverte, d'ailleurs elle déclare ne pas vouloir retourner en zone de guerre "dans l'immédiat" mais veut savoir si l'offre de James de s'installer chez lui tient toujours.
Sans violons ni trémolos, sans effets de manche, Causeway nous touche profondément par sa capacité à simplement montrer le retour à la vie de ses deux héros blessés, qui sont une béquille l'un pour l'autre. Les seconds rôles sont tous tenus par des vétérans à qui il ne faut pas beaucoup de temps de présence à l'écran pour faire exister leurs personnages, comme Jayne Houdyshell (Sharon l'infirmière), Linda Emond (Gloria la mère) ou Stephen McKinley Henderson (le Dr. Lucas). Il faut aussi citer Russell Harvard, qui campe le frère de Lynsey, dans une scène magnifique, sous-titrée car il s'exprime en lague des signes.
Jennifer Lawrence confirme qu'elle est bien l'actrice la plus phénoménale de sa génération et elle se remet à enchaîner les projets. Brian Tyree Henry est aussi exceptionnel, insufflant une humanité dans le film à nulle autre pareille. Le fait que Causeway ne sorte pas en salles montre bien l'évolution du 9ème Art car auparavant, avec deux interprètes pareils, il aurait sans doute connu une belle carrière en salles. Mais qu'importe le support de diffusion, l'essentiel est que ce film existe.
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