samedi 29 octobre 2022

CATWOMAN : LONELY CITY #4, de Cliff Chiang


Sept mois qu'on l'attendait, cette conclusion à la mini-série Catwoman : Lonely City ! Mais Cliff Chiang a un mot d'excuse tout trouvé puisqu'il a signé scénario, dessin, encrage, couleurs et lettrage. Mais surtout, ce qu'on retiendra de ce projet, c'est sa qualité car, oui, ce dénouement est magnifique et l'ensemble de cette entreprise restera comme une des plus belles histoires de la féline fatale.


Catwoman Poison Ivy et Etrigan, après avoir déjoué de nombreux pièges tendus par Batman, accèdent enfin à la Batcave et ses secrets. Avec l'aide de Winston, ils fouillent les fichiers des ordinateurs.


Ils découvrent aussi ce que cachait Orphée : il s'agit d'un puits creusé dans la Batcave où Batman a synthétisé une potion avec le venin de Bane et l'eau du Puits de Lazare pour être ressucité.


Mais les effets de cet exilir ne duraient pas. Sur ce, Harvey Dent et son armée de flics surgissent dans la Batcave pour s'emparer de tout ce qu'elle recèle. Catwoman ne peut s'y résoudre.
  

Etrigan et surtout Poison Ivy se sacrifient pour empêcher Double-Face de voler les richesses de la cave. Le Sphinx et sa fille Edie viennent évacuer Selina. Dehors, Dent tente de les stopper, en vain.


Livré à la police, Dent est vaincu aux élections, remportées par Barbara Gordon. Elle donne rendez-vous à Selina pour tenter de la convaincre de l'aider à ramener la paix dans Gotham...

Ecrire sur la vieillesse des héros est toujours un exercice délicat. Le fait même d'imaginer un personnage âgé dans un costume bariolé a quelque chose de pathétique qui peut vite devenir grotesque, et alors l'hommage escompté se transforme en mauvaise parodie.

C'est la limite qu'avaient franchi Tom King et Clay Mann dans Batman/Catwoman en montrant Selina Kyle dans un de ses accoutrements alors que l'âge des déguisements était passé depuis  longtemps. La scène était ridicule et ne rendait pas justice au personnage.

Cliff Chiang avançait donc sur un terrain miné en imaginant une intrigue autour de Selina Kyle à l'automne de sa vie. Pourtant, ce qui a fait la différence, c'est l'élégance avec laquelle il a traité et son personnage et son histoire, rendant tout bien plus digne, exemplaire.

Plutôt que de tenter le diable en montrant une Catwoman bravache, Chiang a choisi de privilégier la femme derrière le costume. Du coup, Catwoman n'était plus dépendante de ses déguisements classiques, d'ailleurs tout au long de ces quatre maxi-épisodes (de 50 pages chacun) elle a fréquemment changé d'apparence en fonction des missions qu'elle remplissait pour arriver, dans cette dernière ligne droite, à un look qui ressemble moins à celui de Catwoman qu'à un mix entre Catwoman et Batman.

Car c'est l'autre atout du récit de Chiang, par rapport au Batman/Catwoman de King et Mann, ici, le deuil de Selina Kyle est au coeur de tout. Peu de retours en arrière si ce n'est pour montrer l'issue tragique de cette Nuit des Fous où Batman périt des mains du Joker (lui-même succombant dans ce dernier duel). Catwoman : Lonely City est d'abord et avant tout le récit d'une femme qui a tout perdu et qui a une dernière énigme à résoudre avant de quitter la scène.

Chiang, malgré tout, a refusé de livrer une histoire trop plombante, car Selina Kyle n'est pas du genre à se laisser abattre. Qu'est-ce qui se cache derrière Orphée, ce dernier mot prononcé par Batman à Catwoman ? Dans la mythologie, Orphée descend aux enfers pour délivrer Eurydice et il charme Hadès et sa femme Perséphone pour qu'ils lui rendent sa bien-aimée. En remontant à la surface, n'entendant plus les pas d'Eurydice derrière lui, il désobéit au conseil d'Hadès et se retourne, la perdant à jamais.

Chiang transpose la descente aux enfers par une descente dans la Batcave auquel on accède en déjouant plusieurs pièges, y compris magiques (ce qui nous vaut une apparition savoureuse de Zatanna lorsque Etrigan pour ouvrir une porte prononce "Open Sesame" à l'envers comme la magicienne). Catwoman ne va pas trouver Batman dans son antre mais une vérité plus dérangeante, en relation avec un elixir qu'il mit au point pour empêcher Alfred Pennyworth de mourir et pour lui-même être ressucité par Catwoman. Sauf que la potion magique ne fonctionnait pas...

Dans cette configuration, Double-Face/Harvey Dent incarne celui qui convoîtait les secrets de la Batcave/des enfers avec le projet de continuer à règner sur Gotham. Chiang après s'être amusé à imaginer sur plusieurs pages les chausse-trappes de la Batcave se fait plus épique en mettant en scène une bataille terrible entre Etrigan et Klarion puis Poison Ivy qui se sacrifiera pour empêcher Dent de piller la cave. Tel Orphée, le Sphinx viendra sauver Catwoman des enfers de la Batcave qui s'effondre, mais sans se retourner.

Contrairement à Joshua Williamson avec Rogues, Chiang n'a pas voulu d'une conclusion dramatique. Certes, il y a des morts mais même disparus, ils laissent une sorte d'héritage, de trace poétique et poignante derrière eux. Surtout Selina survit et se voit même proposer un nouveau rôle par Barbara Gordon. La dernière page est à cet égard magnifique et inspire une sorte de ravissement au lecteur, une dernière note parfaite, juste, remarquable.

Le dessinateur Chiang s'est fait plaisir et on peut comprendre sans peine qu'il a pris son temps pour conclure sa série. Cinquante pages de ce niveau, c'est du boulot. J'ai toujours apprécié le style visuel de Chiang : comme Phil Noto, ce n'est pas un artiste dynamique, on peut lui trouver des faiblesses, il n'a pas l'aisance insolente des virtuoses de la narration graphique.

Mais son dessin est toujours subtil, élégant, précis. En ayant voulu assumer toute la création de cette série, Chiang montre que, pour lui, ce projet était et qu'il s'y est investi pleinement, intensément. Les pages qui illustrent cette critique le prouvent, mais il ne faut pas croire que l'épisode s'en contente, c'est palpitant, spectaculaire, il y a tout ce qui faut pour combler le lecteur exigeant qui attend de quatre épisodes de cinquanrte pages chacun quelque chose qui le rassasie.

Surtout pour en revenir à ce que je disais plus haut, Chiang a vraiment soigné la manière de représenter des héros âgés sans en faire des vieillards grotesques ni de faux seniors à la santé irréelle. Bien entendu, il y a une part de fantaisie, qui correspond à ce type d'histoire, à ses conventions, à ses clichés. Mais l'ensemble est crédible et ces versions de Catwoman, Ivy, du Sphinx sont équilibrées. On n'a jamais cette réaction, fatale pour croire à ce qu'on lit, de se dire que, non, franchement, c'est too much, ça va trop loin.

Notez déjà sur vos agendas la date du 13 Février 2023 : c'est ce jour-là que sera disponible le recueil en vf de Catwoman : Lonely City chez Urban Comics. Si vous aimez Selina Kyle, vous ne passerez pas à côté de cette superbe production estampillée du Black Label.

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