Après une expérience américaine frustrante, Jacques Audiard a surpris tout le monde avec Les Olympiades, petit film, tourné en noir et blanc, au coeur de la pandémie de Covid 19 en 2020, avec des quasi-inconnus, et co-écrit avec deux femmes. Pourtant, c'est sans doute son meilleur film depuis longtemps.
Emilie, jeune téléconseillère, vit dans l'appartement du quartier des Olympiades, que lui a laissée sa grand-mère, placée en maison de rettraite. Elle reçoit la visite de Camille, jeune prof de Lettres qui prépare son agrégation et cherche une co-location. D'abord réticente à partager son lieu de vie avec un garçon, Emilie accepte qu'il s'installe et ils deviennent amants. Ils sont d'accord pour ne pas s'engager sentimentalement, mais Emilie développe des sentiments pour lui.
Emilie décide de renoncer à le séduire alors que Camille entame une liaison avec une collègue, Stéphanie. Emilie participe à une soirée où elle consomme de la drogue et couche avec une fille. De retour chez elle, elle a une crise d'angoisse tandis qu'elle entend Camille et Stéphanie faire l'amour. Jalouse, elle raconte à Stéphanie que Camille a d'autres maîtresses, ce qui met le garçon en colère et le pousse à déménager.
Dans la même fac que Camille, Nora, 33 ans, reprend des études de Droit après avoir travaillé depuis dix ans dans l'agence immobilière de son oncle par alliance, également son amant, à Bordeaux. Mais elle souffre de la différence d'âge avec les autres élèves. Pour se détendre, elle rejoint une fête affublée d'une tenue sexy et d'une perruque blonde. Un garçon la confond avec Amber Sweet, une camgirl. Les jours suivants, le malentendu prend de l'ampleur, elle est moquée à la fac et harcelée au téléphone. Elle arrête les cours.
A la recherche d'un job, Nora postule dans une agence immobilière où elle fait la connaissance de Camille qui suppléé un ami. Son expérience du terrain est bien utile mais quand quand elle remarque des regards insistants de Camille sur elle, elle le prévient qu'elle ne souhaite pas mélanger boulot et plaisir. Pourtant, le charme opère entre eux et ils deviennent amants pour tromper leur solitude. Toutefois, Nora reste obsédée par cette Amber Sweet avec laquelle on l'a confondue et prend contact avec elle sur Internet.
A mesure que la relation entre Camille et Nora se dégrade, notamment après qu'elle ait fait la rencontre de Emilie, intervenue comme traductrice lors d'une vente avec un taïwanais, Nora devient amie avec Amber. La grand-mère de Emilie meurt et elle comprend que l'appartement va être vendu. Nora et Amber se rencontrent enfin et, amoureuses, elles s'embrassent. Alors qu'elle se prépare à aller aux funérailles de sa grand-mère, Emilie reçoit un appel de Camille qui lui dit qu'il l'aime. Elle raccroche pour le rejoindre.
Commençons par un détail qui m'a agacé : Les Olympiades est l'adaptation de trois histoires écrites et dessinées par Adrian Tomine, mais le générique ne mentionne pas cela comme provenant de comics (ce que c'est en vérité) mais comme de "nouvelles". D'ici à penser qu'adapter des BD, même issues de la production indépendante américaine, est un gros mot, alors que parler de "nouvelles" est tout de suite plus chic, il n'y a qu'un pas qui, je crois, est ici franchi. (Souvenons-nous que La Vie d'Adèle ne mentionne jamais la BD de Julie Maroh, Le Bleu est une couleur chaude.)
Ceci étant dit, Les Olympiades est un fim étonnant. Jacques Audiard n'est plus un perdreau de l'année, à 70 ans c'est un cinéaste reconnu, célébré (Palme d'Or 2015, et des "César" à foison), le genre d'auteur avec qui tous les acteurs veulent tourner. Au point que même les américains lui ont fait les yeux doux : John C. Reilly l'a d'ailleurs convaincu de les diriger, lui et Joaquin Phoenix dans l'adaptation des Frères Sisters, un western.
Mais cette expérience a visiblement frustré Audiard et lui a fait prendre conscience qu'il était au bout d'un cycle entamé avec le plébiscite du Prophète (en 2009). Comment rebondir quand on a tout ? En faisant table rase du passé, en refaisant une sorte de premier film, avec des acteurs quasi-inconnus, et avec de nouveaux collaborateurs.
Déjà, aller trouver l'inspiration dans trois comics d'Adrian Tomine en dit long sur la volonté d'Audiard de surprendre. Figure de proue des comics indés, au même titre qu'un Daniel Clowes, Tomine est un auteur pointu et peu connu. Ensuite, Audiard a co-écrit son script avec deux femmes, la cinéaste Céline Sciamma et Léa Mysius, deux regards neufs pour un auteur qui jusque-là avait surtout fait des films centrés sur des figures masculines (quand bien même il s'agissait d'observer des hommes qui tombent).
Les Olympiades est un quartier du 13ème Arrondissement de Paris, avec de barres d'immeubles et des commerces. Véritable théâtre à ciel ouvert et très urbain, Audiard en fait un personnage à part entière, où les personnages se croisent sans se remarquer, une espèce de petit village avec beaucoup de jeunes dont le cinéaste aime à montrer la diversité. Emilie est asiatique, Camille noir, Noémie est une blanche provinciale. Sans forcer le trait, Audiard nous ouvre à des visages comme on en voit peu dans le cinéma français, lui qui avait ouvert la voie royale à Tahar Rahim déjà.
Plutôt qu'un film à sketches, casse-gueule, on a là des destins qui se croisent, s'entremêlent. Les amours passionnées de Camille et Emilie répondent à la drôle de relation qui s'établit entre Nora et Amber. Il est question d'incommunicabilité, un thème cher au cinéma d'auteur français, parfois jusqu'à la caricature. Mais il est ici puissamment incarné : Camille et Emilie refusent de s'engager sentimentalement jusqu'à ce qu'elle éprouve plus que de l'attirance pour le co-loc' avec qui elle couche. Nora, suite à un malentendu érotique, se confie à celle pour qui on l'a prise, une camgirl offerte en cadeau d'anniversaire à un étudiant, accessoirement actrice de porno.
La chair est offerte mais les sentiments ont du mal à s'exprimer et à se partager. Finalement, dans une forme d'ironie, Camille avouera son amour à Emilie au téléphone alors qu'elle s'apprêtait à aller aux funérailles de sa grand-mère, comme si, en étant plus avec elle, il mesurait enfin à quel point il y est attaché. Nora s'évanouira en rencontrant Amber dans un jardin public et la professsionnelle du commerce du sexe réveillera sa princesse de coeur en l'embrassant délicatement sur la bouche, comme dans un conte de féé.
Visuellement, Audiard a remisé saa caméra mobile, souvent portée à l'épaule, de ses précédents films pour des plans fixes et larges, ne s'attardant sur les visages que pour essayer d'en percer les mystères, les imperceptibles émotions (car chaque protagoniste joue avec les autres et s'emploient à ne pas dévoiler son jeu). Son directeur de la photographie, Paul Guilhaume, avait reçu pour consigne de produire un "noir et blanc brillant", et effectivement, tout est souvent clair, comme la ligne d'Adrian Tomine.
Les quatre acteurs sont donc inconnus, à l'exception de Noémie Merlant (peut-être Céline Sciamma a-t-elle soufflé son nom à Audiard après l'avoir brillamment dirigé dans Portrait de la jeune fille en feu). Cette dernière est absolument remarquable et hérite d'un rôle d'une richesse exceptionnelle, avec un arc narratif très dense. Mais ses partenaires sont au diapason, qu'il s'agisse de Lucie Zhang, formidablement sensuelle et effrontée, tandis que Makita Samba affiche une assurance impressionnate en séducteur rattrapé par son coeur battant, et enfin Jenny Beth, chanteuse du groupe Savages qui fait ici des débuts bluffants.
Souhaitons que Jacques Audiard continue de creuser ce beau sillon : il le peut, il n'a plus rien à prouver et n'importe quel producteur le financera. Les Olympiades a tout d'une renaissance.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire