Vous vous souvenez de Gotham Central, cette série géniale écrite par Ed Brubaker et Greg Rucka et dessinée par Michael Lark ? Hé bien, G.C.P.D. : The Blue Wall est une sorte de Gotham Central 2.0. Cette nouvelle mini-série en six épisodes écrite par John Ridley et dessinée par Stefano Raffaele tente de retroiver le charme de son illustre aînée. Et c'est réussi, même si c'est différent.
Promue commissaire de Gotham Central, Renee Montoya prononce un discours devant les élèves de l'école de police, qu'elle voit comme un mur bleu contre le mal de cette ville.
L'une des recrues du GCPD est Samantha Park : en patrouille avec son co-équipier, elle poursuit un suspect et dégaine son arme lorsqu'il cherche à fuir.
Son sang froid est salué par ses collègues et sa hiérarchie. Montoya, sur le conseil du chef des patrouilleurs, met en avant l'agent Park comme un modèle face aux médias.
Mais l'agent Park vit mal cette soudaine notoriété. D'autant qu'à sa seconde patrouille, elle doit stopper un individu qui a ouvert le feu en pleine rue et qui blesse deux passants...
Lorsque, en 2004, DC Comics commence la publication de Gotham Central, les scénaristes à qui est confié le titre ne sont pas encore des vedettes, mais ils vont y gagner leurs galons : Ed Brubaker et Greg Rucka racontent la vie des flics de Gotham, dans l'ombre de Batman, et livrent un authentique chef d'oeuvre, avec des personnages inoubliables, des intrigues intenses, le tout magnifié par les dessins de Michael Lark (puis Kano).
Pourtant, commercialement, Gotham Central ne fera guère d'étincelles, et sur la fin, seul Greg Rucka restera aux commandes, attaché au personnage de Renee Montoya, détective lesbienne, harcelée par un collègue, hantée par son enlèvement par Double-Face - l'archétype de l'héroïne de Rucka (une brune au caractère bien trempé).
Relancer une série Gotham Central, c'était pour DC un sacré défi car, les années passant, le titre est devenu culte. L'éditeur choisit la prudence en commandant une mini-série en six numéros et en la confiant à John Ridley (actuellement aux manettes de la série Black Panther chez Marvel et I Am Batman chez DC), toujours annoncé comme le scénariste oscarisé de 12 Years a slave.
Je dois reconnaître que j'y suis allé sur la pointe des pieds car, jusqu'à présent, ce que j'ai lu de Ridley ne m'a pas convaincu. Mais ce premier épisode m'a bien plu, j'ai trouvé ça prometteur, différent de Gotham Central mais convaincant.
Renee Montoya est devenue la nouvelle commissaire principale du G.C.P.D.. Elle prononce un discours devant les cadets qui vont intégrer les forces de l'ordre de la ville, dont beaucoup la voit comme un exemple de flic intègre, de femme de couleur qui a réussi à briser le plafond de verre. Et c'est là que la série se distingue car, en vérité, il n'est pas tant question de Montoya que de ces jeunes recrues.
Si ce premier épisode s'intéresse particulièrement à l'une d'elle, l'agent Samantha Park, on suit deux autres nouveaux membres, amis avec elle : Danny Ortega et Eric Wells. Ortega est décrit comme un jeune policier ambitieux dont les résultats à l'école de police ont été remarqués par la hiérarchie, on lui promet un bel avenir et une promotion rapide s'il reste dans les clous et fait ce qu'on attend de lui. Pourtant, très vite, il est rappelé à ses origines latinos quand il arrive en avance au boulot et qu'un réceptionniste le remet à sa place.
Eric Wells esrt contrôleur judiciaire, c'est aussi un afro-américain qui apprend vite que sa bienveillance n'est pas bien vue apr ses pairs. Quand il encourage un ancien détenu en liberté conditionnelle à filer droit, on lui explique que tout ce que comprennent les anciens taulards, c'est la peur de retourner en prison, pas des encouragements. Il faut bien suivre les visites que fait l'agent Wells car l'un des individus qu'il contrôle resurgira à la fin de l'épisode pour une scène dramatique, qui confirme en effet le haut taux de récidive des délinquants...
Et donc il y a Samantha Park : lors de sa première patrouille, elle fait preuve d'un sang-froid remarquable en ne tirant pas sur un fugitif afro-américain. Elle est citée en exemple, mis sous le feu des projecteurs, son image lui échappe. Le malaise est d'autant plus fort qu'elle confie à Ortega et Wells que si elle n'a pas ouvert le feu, c'est non pas par sang froid mais parce qu'elle n'en a pas eu le cran. Elle pense l'avouer à Montoya mais se dégonfle. Et lors de sa deuxième sortie, elle assiste à une fusillade qui va prendre un tour terrible...
DC a curieusement ajouté dès la première page une mise en garde à l'attention du lecteur pour usage d'un langage pouvant indisposer tout en soulignant que cette façon de parler reflète une réalité. Autrement dit, on a un éditeur qui ne veut pas risquer de froisser quiconque tout en admettant que dans la vraie vie cela se produit fréquemment. C'est vraiment très curieux, surtout qu'après avoir lu l'épisode, on a du mal à saisir la raison de cet avertissement : comme c'est l'usage, tous les gros mots ont été barré d'un trait noir et je n'ai rien relevé de choquant.
Ridley fait partie de ces auteurs qui sont investis dans un discours critique sur la société américaine et la façon dont sont traités les afro-américains aux Etats-Unis. Pourtant, son travail ici est très mesuré, il n'y a rien de revendicatif, et quand Wells, Ortega et Park accusent le coup face à des remarques désobligeantes, il n'y a pas de quoi fouetter un chat. On est gêné par la réflexion vaguement condescendante contre Ortega, ou lorsque Wells est accusé d'être trop gentil, mais franchement, rien de scandaleux. Peut-être que la suite appuira un peu plus là où ça fait mal, ce serait courageux, salutaire, surtout avec trois jeunes flics issus des "minorités ethniques" et pris dans des situations critiques...
L'épisode est en tout cas dense et remarquablement caractérisé. Même si Montoya est en retrait par rapport à ce que la couverture laisse croire, on sent bien sa difficulté à passer du terrain à la politique, notamment quand on lui conseille de se servir de Park contre les médias enclins à pointer les bavures policières. Ridley mentionne aussi l'épreuve passée avec Double-Face, mais j'espère que le scénariste résistera à la tentation d'inclure Harvey Dent dans son histoire car Montoya ne peut pas toujours être ramenée à ça (ce serait comme la réduire à une victime, ou l'ex de Batwoman et Maggie Sawyer).
Au dessin, et je reconnais que ça m'a motivé à investir dans cette mini-série, c'est Stefano Raffaele qui s'y colle. Lui non plus n'a pas la partie facile car Gotham Central a bénéficié de grands artistes comme Michael Lark et Kano. Mais j'avais beaucoup aimé l'épisode qu'il avait dessiné pour l'anthologie Moon Knight : Black, White & Blood.
Parfois Raffaele manque un peu de consistance, notamment dans la composition de certains plans. Mais dans l'ensemble, il affiche un énorme potentiel et la copie qu'il rend est d'un très bon niveau. Il saisit à merveille les émotions sur les visages avec de beaux gros plans, son découpage favorise les cases occupant toute la largeur de la bande, un format très cinéma. Mais aussi exigeant car il oblige à détailler les décors et à ne pas lésiner sur la figuration quand c'est nécessaire.
Le seul bémol que je pointerai, c'est que la colorisation de Brad Anderson (qui travaille habituellement avec Gary Frank) est parfois trop sombre et abuse des tons marrons. Ce n'est pas hors sujet avec deux personnages latinos (Montoya et Ortega), un autre afro-américain (Wells), mais Park a la peau bien mat pour une asiatique, je trouve. Surtout, tout l'épisode baigne dans cette note chromatique, c'est un peu monotone.
G.C.P.D. : The Blue Wall démarre cependant très bien et a tout pour être un digne successeur de Gotham Central. Qui sait, en cas de succès, peut-être DC poursuivra l'expérience et autorisera Ridley et Raffaele à aller plus loin...
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