vendredi 28 octobre 2022

ROGUES #4, de Joshua Williamson et Leomacs


Après quatre mois d'attente, le dernier numéro de Rogues est enfin disponible depuis une semaine. Joshua Williamson achève, c'est le cas de le dire, sa mini-série dans le sang et les larmes, à la manière d'une vraie série noire, radicale, implacable, très violente. Leomacs s'est fait aider par quatre acolytes pour complèter les pages de cet ultime épisode, sans que cela se remarque, et pour conserver au projet son ambition.


Coincés dans la banque de Gorilla City, ce qui reste des Lascars se demande comment en sortir. Captain Cold donne l'enfant de Grodd à sa soeur puis, avant de sortir parlementer, glisse un mot à Heatwave.


Grodd négocie avec Cold : s'il répare le pistolet du Maître des Miroirs et récupère son or, il laissera filer les Lascars. Cold préfère détruire l'arme. Bronze Tiger entraîne Golden Glider vers l'issue de secours.


Grodd ordonne à ses policiers de tuer les Lascars à l'intérieur de la banque. Mais Heatwave qui a couvert le fuite de Bronze Tiger et Golden Glider se fait sauter avec l'immeuble.


Grodd fou de rage affronte Cold et le tabasse. Cold tente de récupérer son fusil mais Grodd le récupère et l'endommage. L'arme se dérègle et explose, tuant le gorille et pétrifiant la ville sous la glace.


Bronze Tiger et Golden Glider regagnent la jungle et rendent le fils de Grodd à sa mère. C'est alors que les agents de la D.E.O. de Cameron Chase interviennent...

Est-ce que ça pouvait finir autrement ? Non si on respecte les codes de la série noire, ce qu'est cette mini-série Rogues. Car Joshua Williamson a beau s'être servi des Lascars, les ennemis de Flash, pour son histoire, en vérité il s'agit depuis le début d'un polar dans les règles de l'art.

La série noire manie les clichés et ce qui fait la différence, c'est le style de l'auteur. On trouve donc un certain nombre de figures imposées dans ce genre de littérature popularisée par de grands noms comme David Goodis, auquel on pense en lisant Rogues. La faune de la série noire, ce sont des gangsters en bout de course qui avancent vers la mort de manière inéluctable en pensant réussir un dernier coup. Le poids de la fatalité dicte les événements et le lecteur observe les efforts vains de ces anti-héros pour y échapper.

Ainsi Captain Cold a-t-il convaincu d'anciens super-vilains retirés de tenter une dernière fois leur chance en leur faisant miroiter un fabuleux pactole, trop beau pour être vrai. Parce qu'ils n'avaient plus rien à perdre ou qu'ils n'en pouvaient plus de leur existence ou qu'ils étaient nostalgiques de leur âge d'or, ils l'ont tous suivi. 

Sa soeur (Golden Glider), son ami (Heatwave), son complice (Bronze Tiger) sont tous ceux qui ont survécu à ce casse impossible à Gorilla City où Gorilla Grodd cachait son trésor et plus encore. En passant, Joshua Williamson a tissé un subplot sur fond de magouilles politiques avec le flic Sam qui rêvait de détrôner le caïd maître de la ville tandis que le bras droit fidèle de ce dernier, Grimm, veillait à ce que la domination de nantis soit préservée en pensant prendre la place de son chef s'il était évincé.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Williamson a fait preuve d'une radicalité bienvenue, sans chercher à sauver qui que ce soit. En cela, il est resté fidèle au genre qu'il a embrassé, même en y incorporant des éléments super-héroïques, davantage là pour épicer le plat que pour honorer le folklore. Et, ce faisant, il a usé à fond des licences permises par le Black Label car nulle part qu'ici une telle intrigue n'aurait pu voir le jour.

On peut interroger les motivations du geste de Captain Cold quand il détruit le pistolet du Maître des Miroirs, refusant le marché que lui propose Gorilla Grodd et condamnant du même coup les Lascars ayant survécu. Williamson refuse toute facilité, ne recourant pas par exemple à une voix-off explicative, préférant laisser au lecteur le choix d'interpréter ce climax avant l'heure. Cold a sans doute agi par orgueil, ne voulant pas offrir à Grodd le plaisir de récupérer son or et d'avoir repris son ascendant. Peut-être aussi s'est-il rendu compte que quitter Gorilla City sans butin, c'était forcément retourner à la vie médiocre qu'il a voulu fuir en s'engageant dans cette aventure, et qu'il fallait mieux mourir avec panache ici que minablement ailleurs. Ou alors a-t-il fait cela mu par une pulsion suicidaire, quitte à entraîner sa soeur, Heatwave et Bronze Tiger dans la tombe.

La série noire emprunte volontiers au western quand il s'agit de donner à ses protagonistes une fin grandiloquente. C'est ainsi qu'on peut envisager le baroud d'honneur de Heatwave qui préfère, lui, ouvertement tuer le maximum d'ennemis en y passant que d'être tué ou fait prisonnier. On a aussi le coeur serré sur la fin quand il s'agit de suivre Golden Glider et Bronze Tiger, mais je m'en tiendrai là pour ne pas vous spoiler.

Leomacs a eu du mal à terminer cette mini-série puisque les crédits mentionnent pas moins de quatre pencilers venus en renfort. On se doit donc de citer Luca Finelli, Adriano Turtulici, Daniele Miano et Federico Tardino. Mais on ne peut pas dire pour autant que leurs contributions soient visibles car chacun s'est visiblement efforcé de se fondre dans le style de Leomacs. 

En vérité, on peut supposer que ces quatre assistants ont dû aider l'artiste principal à compléter les décors, notamment sur des pleines et doubles pages bien fournies. Leomacs produit des scènes brutes, violentes, assez saisissantes, qui traduisent parfaitement l'âpreté des affrontements et le désespoir des actions. La fureur qui gagne Grodd est effrayante et son duel avec Cold est absolument terrible. 

Pourtant il n'y a aucune complaisance, aucun esthétisme flatteur ou séduisant dans ces pages. Les morts sont certes flamboyantes mais surtout affreuses. Ce sont des méchants qui s'entretuent, sans plaisir, sans merci, sans grâce. Ils meurent comme ils ont vécu, par le feu, par les poings, inspirés par l'envie de faire mal, l'ivresse de la rage. Il n'y a aucune grandeur, aucune noblesse dans leurs fins. Et Rogues là encore fait honneur à la série noire où les personnages rencontrent leur destin dans des conditions pathétiques.

Peu client de Williamson d'habitude, il m'a ici épaté et je trouve que ce genre d'entreprise lui convient mieux que ce qu'il écrit dans des publications mainstream. Le mélange d'éléments fantastiques et criminels aboutit à une franche réussite. Et visuellement, ça claque, Leomacs est un artiste bluffant, parfait dans ce genre de parutions parallèles. La version française de Rogues paraîtra chez Urban Comics le 13 Janvier 2023 : retenez cette date si vous voulez lire une mini-série qui vaut le détour.

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