dimanche 2 octobre 2022

BLONDE, de Andrew Dominik (Netflix)


Projet de longue haleine pour le réalisateur Andrew Dominik, cette adaptation de Blonde, roman écrit par Joyce Carol Oates en 2000, voit enfin le jour sur Netflix. A peine mis en ligne, le film suscite une vive polémique entretenue par des fans de Marilyn Monroe. Le résultat est, il est vrai, dur, cruel, mais aussi fascinant, radical, avec dans le rôle principal une Ana de Armas phénoménale.


1933. Norma Jeane Mortenson a sept ans. Sa mère, Gladys, instable mentalement, lu offre la photo encadrée d'un homme dont elle prétend qu'il serait le père de la fillette. La même nuit, alors qu'un incendie embrase la colline de Hollywood, Gladys conduit sa mère là où son père vivrait mais la police barre la route et l'oblige à faire demi-tour. Revenues dans leur appartement, Gladys tente de noyer Norma dans sa baignoire. La fillette trouve refuge chez la voisine, Miss Flynn. Quelques jours après, elle la dépose à l'orphelinat car Gladys a été internée dans un asile.


Fin des années 40. Devenue modèle pour des calendriers, Norma a pris le nom de scène de Marilyn Monroe et tente de eprcer dans le cinéma. Son agent lui décroche une audition chez le producteur Darryl Zanuck, qui la viole. 1951. Elle auditionne pour le premier rôle de Troublez-moi ce soir et impressionne le directeur de casting. Elle rencontre Charles 'Cass" Chaplin Jr. et Edward "Eddy" G. Robinson Jr. avec lesquels elle forme un ménage à trois qui fait la "une" des gazettes. Son agent recadre Norma en lui expliquant que cela nuit à sa carrière, même si elle apprécie les deux garçons qui la distinguent de Marilyn. 1953. Elle est la vedette de Niagara, qui remporte un énorme succès.


Enceinte de Cass, elle se résigne à avorter, craignant que l'enfant à naître n'hérite des troubles mentaux de sa mère. Gladys est toujours internée et perd la mémoire, ne reconnaissant plus sa fille quand elle lui rend visite. Marilyn partage l'affiche de Les Hommes préfèrent les blondes avec Jane Russell dont elle exige de recevoir le même salaire. Elle est présentée à Joe di Maggio, un ancien champion de baseball, à qui elle confie son malaise de vivre à Hollywood et d'être uniquement considérée comme une belle blonde écervelée. Il est prêt à déménager à New York avec elle et à l'aider à obtenir des rôles plus sérieux.


1955. Après avoir épousé di Maggio, Marilyn accepte pourtant de tourner 7 ans de réflexion, qui souligne encore son image de sex symbol. Filmée devant une foule d'hommes en délire, la scène où sa robe blanche se soulève au-dessus d'une grille d'aération du métro suscite la jalousie de di Maggio qui, trois semaines plus tard, demande le divorce.


1956. Norma est à New York pour auditionner pour la pièce Magda écrite par Arthur Miller. D'abord perplexe, le dramaturge est impressionné par la star, qui a parfaitement saisi la profondeur de ce personnage inspiré par un amour de jeunesse. Ils se marient et s'installent dans le Maine. Norma est enceinte mais fait une fausse couche. Dévastée, elle sombre dans la dépression, surconsomme médicaments mélangés à de l'alcool, et finalement rentre à Hollywood pour tourner Certains l'aiment chaud où son comportement est hors de contrôle.
 

1962. Marilyn est conduite par des agents des services secrets à New York pour voir le président John Fitzgerald Kennedy. Il la force à lui faire une fellation puis la viole. Elle est ramenée chez elle dans un état second. Enceinte, on pratique sur elle un avortement sous anesthérsie générale. Elle apprend par Eddy la mort de Cass qui lui a envoyé un cadeau : un tigre en peluche comme celui qu'elle avait enfant et une carte dans laquelle il lui révèle avoir écrit les lettres qu'elle croyait envoyées par son père depuis des années. Brisée, elle meurt d'une overdose de barbituriques et voit son père l'accueillir dans l'au-delà.

Une scène suffit à résumer la véritable vision du cinéaste : fébrile avant une prise de vue, Norma s'isole dans sa loge avec son maquilleur et, les mains jointes, elle prie pour que Marilyn revienne. Elle regarde son reflet dans le miroir et petit à petit son visage se transfoorme, ses larmes disparaissent pour laisser place à un sourire éclatant. La créature a repris possession de sa créatrice.

C'est saisissant à voir, car c'est non seulement incroyablement inteprété par Ana de Armas, mais surtout cela renvoie à la vraie nature du film, qui n'est absolument pas un biopic mais bien un film d'horreur, un trip fantastique, sur lequel plane l'ombre de Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Une autre histoire de changement de personnalité, de double, de possession, une tragédie.

Blonde est, à l'origine, un épais roman, et non une biographie, écrite par Joyce Carol Oates, publiée en 2000. La romancière américaine se servait de Marilyn Monroe pour raconter Norma Jeane Mortenson, cette fillette élevée par une mère malade mentale, qui n'a jamais connu son père mais l'a toute sa vie fantasmé et projeté dans les hommes qu'elle a aimés, et qui devint le plus célèbre sex symbol du XXème siècle au cinéma, une icone du 7ème Art, et une victime des prédateurs sexuels de l'industrie du divertissement.

L'auteur prenait beaucoup de libertés avec la réalité pour dresser un portrait éclatée d'une personnalité elle-même fragmentée. Le roman était un puzzle hypnotique, brutal, désespéré. C'est un livre que j'avais eu beaucoup de mal à lire, que j'ai temriné après plusieurs tentatives, à cause de scènes terrifiantes, malaisantes au possible. Mais je reconnaissais le talent de la narration, le style intense et puissant de Oates, et pourquoi elle l'avait rédigé ainsi.

Andrew Dominik a voulu adapter Blonde pour le cinéma dès la sortie de l'ouvrage. Il voulait en confier le rôle principal à Naomi Watts, révélée en 2001 dans Mulholland Drive (David Lynch), déjà un long métrage très inspiré par les carrières brisées à Hollywood. Puis plus tard il tenta de convaincre d'autres producteurs de tourner avec Jessica Chastain. Il aura fallu attendre 2016 et l'investissement de Netflix pour que le projet commence vraiment à se concrétiser. Entretemps Dominik repéra Ana de Armas dans Knock Knock (Eli Roth, 2015) et su convaincre tout le monde qu'elle serait sa Marilyn. Ou plutôt sa Norma.

Car plus que Marilyn, Blonde parle de Norma. Le film insiste sur le fait que Marilyn est un nom d'emprunt, un pseudonyme, une création, dont cherche fréquemment à se détacher, à se débarrasser Norma. Marilyn est un fantasme, un objet, c'est la bombe sexuelle sur les affiches, c'est la star, mais ce n'est pas la femme. D'ailleurs, Norma est à peine une femme : elle est restée cette fillette effrayée par sa mère folle, en quête d'un père qu'elle ne rencontrera jamais. Elle est la victime de Marilyn.

Si le film suscite une vive polémique parmi les fans de Marilyn, c'est parce qu'ils estiment que le scénario salit sa mémoire en montrant les épreuves infâmes qu'elle a traversées, en particulier des viols répétés et des avortements traulmatisants. Certains argumentent en disant que c'est n'importe quoi, que c'est trop, que c'est dégoûtant. Ou même que Oates comme Dominik n'avaient pas le droit d'utiliser la vie de Marilyn pour en faire une fiction et donc gagner de l'argent sur ses malheurs et son cadavre.

On peut simplement leur objecter que Marilyn a vécu bien pire de son vivant que ce film, qui, une fois encore, ne prétend pas raconter vraiment sa vie, sa carrière, ses amours, etc. S'il est un reproche que, moi, je ferai plus volontiers au film, comme au roman avant lui, c'est son obstination à ne montrer que le pire qu'a vécu Marilyn, ou qu'elle aurait pu vivre. A aucun moment, hormis peut-être quand elle vit avec Arthur Miller, on ne la voit heureuse, et encore c'est un bonheur éphémère, qui s'achève impitoyablement. 

Et, là, par contre, on sait qu'il s'agit d'un mensonge car Miller a méprisé Marilyn, s'est servi d'elle pour son propre profit (en gains de notoriété et d'argent), alors que Joe di Maggio, dépeint comme un homme rustre, jaloux et violent, a toute sa vie veillé sur Marilyn, allant jusqu'à lui offrir des funérailles dignes de ce nom.

Cette complaisance à filmer uniquement le malheur de Norma est lourde, abusive, et nuit à la proposition de Dominik. C'est pour cela qu'on l'accuse aussi d'acoir exploité son héroïne au lieu de montrer une once de compassion pour elle. Le cinéaste pêche aussi par d'autres excès, sombrant même carrément dans le ridicule comme avec cette scène, justement située dans la période du couple Monrie-Miller, où on voit Marilyn tailler des roses dans son jardin, et caresser son ventre en dialoguant avec son bébé qui lui répond. Même si ce n'était certainement pas le but, on a l'impression alors de regarder une pub anti-avortement, pro-life. Mais surtout cela vient après et avant d'autres scènes exposant l'enfant, comme un rappel insistant et maladroit.

L'autre élément grotesque et plusieurs fois mis en scène, c'est l'image du père. Il est vrai que Marilyn a fantasmé cette figure durant toute son existence et elle s'est mariée avec des hommes paternels, plus vieux qu'elle. La légende prétend même que lors du tournage des Desaxés (John Huston, 1961), elle croyait que Clark Gable était vraiment son daddy. Justement, ce terme de daddy est employé ad nauseam et pathétiquement, comme si le cinéaste croyait vraiment que c'est ainsi que Marilyn nommait tous ses amants. Ajoutez à cela la photo de cet homme qui revient hanter Norma, jusque dans son trépas, alors même qu'elle apprend avant de succomber à une overdose qu'il a servi de canular, sinsitre, pour une correspondance fabriquée de toutes pièces par Cass Chaplin.

Blonde est un film long et il fait bien ses 2h 47. Le rythme est très inégal, certaines scènes s'étirent inutilement et parfois gratuitement, et en même temps la narration est ponctuée par des ellipses importantes. Ce qui donne le sentiment de parfois regarder une sorte de long zapping très sombre, très dépressif, très déprimant, où des personnages sont littéralement parachutés dans l'histoire et en sont expulsés sans plus de formalités. Cela empêche quasiment toute empathie -et comme écrit plus haut, condamne même di Maggio à un sort injuste et dégradant de mari violent alors que Miller est décrit comme un époux bien plus attentionné. Le ménage à trois entre Norma, Cass et Eddy relève de la pure fantaisie et bénéficie d'un traitement bien plus long alors que le film aurait gagné à être plus resserré sur cette période.

C'est dommage car, par conséquent, d'autres moments semblent avoir été sacrifiés, comme les rapports entre Billy Wilder et Marilyn - le cinéaste connut le meilleur et le pire avec la star. Quant à JFK, il est fantômatique, mais c'est un spectre aussi malsain et déplaisant que dans la réalité, car l'idole martyr de la politique américaine était, on le sait, un mufle infidèle et abusif, qui s'est effectivement comporté comme une ordure avec Marilyn (et don frère Bobby n'a pas été meilleur). La fin du film est à cet égard réellement cauchemardesque, horrifique, crue, très dure.

François Truffaut désignait ce genre de film bancal comme des films "malades" et Blonde correspond à cette définition. Il est malade comme l'était sûrement Norma, mais il l'est aussi en soi par sa manière simpliste de ne montrer l'histoire que sous un angle. Marilyn était aussi une femme intelligente, qui sut rompre avec courage avec les studios, s'en éloigner : hélas : le film ignore complètement ce mouvement en retirant de la photo Milton Greene,, photographe et ami de l'actrice, qui l'accompagna, sans ambiguïté sexuelle, dans cette parenthèse. C'est le gros regret que j'ai avec Blonde car traiter en l'incluant ce moment aurait apporté une nuance absente du résultat final.

La réalisation ressemble à un trip, et évoque en définitive plus Oliver Stone (quand il signait JKF, Nixon, et tous ces faux biopics enragés) que Lynch ou Malick (comme certains critiques l'ont prétendu). La photo, le montage, les mouvements de caméra, les effets spéciaux produisent des images sensationnelles, mais aussi plus pompières que stylisées. Le passage du format 16/9ème au 4/3 et de la couleur au noir et blanc est plus maîtrisé car il répond à une volonté manifeste de cadrer et mettre en valeur les zones troublées et plus lumineuses. Mais on peut préférer la manière Pablo Larrain, qui, dans son magnifique Jackie, captait plus simplement et honnêtement ce qu'il voulait transmettre, dans une durée plus ramassée aussi.

L'interprétation est écrasée par Ana de Armas qui s'est vraiment, littéralement, mise à nu pour ce rôle. L'actrice cubaine, à qui on a également reproché tout et n'importe quoi (comme son accent qui est pourtant imperceptible tant elle a réussi à reproduire le timbre de la voix si particulier de Marilyn), s'est battu pour honorer la confiance de son réalisateur et la mémoire de son personnage. Si elle ne lui ressemble pas vraiment (Marilyn était plus ronde, plus pulpeuse), si elle minaude un peu parfois, sa "performance" (même si je déteste ce mot) est phénoménale. Habitée, hantée, possédée : c'est comme vous voulez, mais c'est impressionnant. Ana de Armas est totalement immergée, submergée même, et elle aussi permet à Blonde d'aller très loin, en assumant tous les excès, jusqu'aux fautes de goût, du film.

Seul Adrien Brody arrive vraiment à exister en face d'elle, plus que Bobby Cannavale, étrange choix pour incarner di Maggio (à qui il ne ressemble pas du tout et qu'il joue de façon monolithique). Julianne Nicholson dans la peau de Gladys est aussi bluffante.

Blonde n'est pas un chef d'oeuvre, ni une oeuvre indigne. Ce n'est pas assurément pas un biopic. C'est un film imparfait, cru, cruel, dur, bancal, maladroit, lourdingue, mais surtout une expérience. En cela, il rejoint Mank de David Fincher. Peut-être un futur vestige pour Netflix qui, désormais, semble plus enclin à chercher une franchise à succès qu'à renouveler ce genre de projets périlleux et polémiques.

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