C'est répétitif, je le sais, mais, mois après mois, épisode après épisode, The Human Target ne fait que confirmer son statut de chef d'oeuvre. Il est évident qu'on a là ce que Tom King a écrit de mieux depuis Mister Miracle, il a franchi un cap. Et avec Greg Smallwood, il a trouvé cet artiste qui lui a permis de passer au niveau supérieur, un dessinateur-coloriste au talent tellement insolent qu'il vous éblouit. Ce huitième épisode est donc, à nouveau, un sacré morceau.
Il reste quatre jours à vivre à Christopher Chance. Ce matin-là, il est au lit avec Ice lorsqu'il essuite les tirs de Red Rocket. Des flèchettes sédatives qui neutralisent Ice puis Chance après une brève résistance.
Lorsqu'il revient à lui, Chance subit un interrogatoire musclé de la part de Red Rocket qui, sans nouvelles de Guy Gardner et ayant constaté la liaison entre Ice et Chance, s'interroge.
Après l'avoir malmené, mais sans lui avoir soutiré d'aveu, Dmitri Pushkin explique pourquoi il soupçonne Chance d'avoir tué Gardner. Alors qu'il le tabasse, il est interrompu par une alarme...
Même si je n'ai pas découvert Tom King avec Mister Miracle (j'avais apprécié sa collaboration avec Tim Seeley et Mikel Janin sur Grayson auparavant, et sans les avoir lus, je savais que son travail avait été acclamé sur Omega Men, Vision et The Sherif of Babylon), cette mini-sériefut quand même un électrochoc, ce genre de projet qui marque le lecteur et impose un auteur (avec son partenaire Mitch Gerads).
Ensuite, il y eut son run sur Batman, puis d'autres mini-séries : Heroes in Crisis, Strange Adventures, Rorschach, Supergirl : Woman of Tomorrow... Même si tous ces livres n'ont pas eu le même impact ni le même brio que Mister Miracle, ils ont installé Tom King dans le paysage des comics de ces dernières années. Qu'on apprécie, un peu ou beaucoup, Tom King, on ne peut plus l'ignorer, et d'une certaine manière, les réactions contrastées qu'il provoque en disent long sur son statut.
Toutefois on attend toujours d'un scénariste qui a su s'établir avec autant de force, et en si peu de temps, qu'il finisse par produire quelque chose qui devienne aussi percutant que ce qui l'a imposé. En somme, j'attendais, et sans doute ne suis-je pas le seul, qu'il écrive une histoire aussi puissante que Mister Miracle, après avoir aussi bien (et parfois moins bien aussi).
The Human Target possède cette évidence des grands comics. Dès le premier épisode, on sent qu'on a dans les mains une bande dessinée qui sort de l'ordinaire, par la construction de l'intrigue, la qualité de la rédaction, et la beauté de l'image. Et plus la série avance, plus ce sentiment se confirme. Ce n'est pas seulement aussi bien d'épisode en épisode, c'est de mieux en mieux.
Les six mois d'interruption ont eu valeur de test. Allions-nous replonger dans ce récit avec le même enthousiasme ? Ou l'attente aura-t-elle émoussé notre envie ? Depuis le mois dernier, on sait que The Human Target a conservé son pouvoir d'attraction et a même trouvé ce second souffle essentiel à une série qui s'est arrêtée et a repris après un hiatus. Tom King l'avait promis : ce qui restait à dire serait encore plus imprévisible et plus beau. Il n'a pas menti.
Car l'histoire, son coeur, c'est-à-dire son whodunnit ? (qui a fait ça ?, comprenez : qui a voulu empoisonner Lex Luthor et a accidentellement condamné Christopher Chance ?) s'est décalé. A la fin du précédent épisode, Fire a révélé avoir remis le poison à Guy Gardner. Qui a été tué par Ice et Chance à la fin de l'épisode 6. Il ne s'agit plus vraiment d'une enquête menée par la Cible Humaine (même si on peut encore se demander si c'est effectivement Guy Gardner qui a versé le poison dans le café de Luthor bu par Chance... Personnellement, j'en doute encore).
Non, comme on le lit dans ce huitième numéro, c'est la disparition de Guy Gardner qui va devenir un problème pour Christopher Chance. Il ne s'en est pas débarrassé de manière classique : Ice l'a littéralement gelé puis Chance a brisé ce bloc de glace, dont on peut supposer qu'ils l'ont ensuite laissé disparaître en le laissant fondre. Mais tuer et faire disparaître le corps d'un Green Lantern ne peut passer inaperçu.
Et donc c'est Dmitri Pushkin alias Red Rocket qui va, le premier, enquêter. Il surprend Chance et Ice au lit et les sédate, puis embarque Chance. Ce n'est que le début d'une journée de calvaire pour la Cible Humaine. Pushkin était un ami de Gardner, quand bien même il reconnaît que ce n'était pas un homme aimable. Mais surtout ils avaient rendez-vous avant sa disparition. Il savait également que Gardner souffrait de la liaison entre Ice et Chance - de quoi, selon Pushkin considérer ce dernier comme un suspect évident.
Mais avoir des soupçons ne suffit pas et bousculer un homme comme Chance, qui ne craint pas la mort, même quand on le laisse tomber depuis le ciel, pas davantage. King évoque Tolstoï et sé réflexion sur la raison de la défaite de Napoléon contre les russes, la fameuse Bérézina, survenue lors de la campagne de 1812, plus exactement fin Novembre. L'Empereur et son armée progressaient avec assurance, faisant reculer l'ennemi. Mais les russes, qui ne craignaient pas non plus la mort, se sacrifièrent dans des terres au climat hostile pour mieux y attirer leur adversaire. Impréparés, les soldats napoléoniens furent piégés dans l'hiver russe et massacrés.
Red Rocket n'anticipe pas davantage que Napoléon la véritable force de son adversaire - sait-il même que Chance est mourant, ce qui explique sa tolérance aux coups qu'on lui porte, son refus de se confesser, de se soumettre. En tout cas, Pushkin échoue à l'effrayer, à le blesser, à lui faire mal. Et Chance a de toute façon préparé un stratagème pour égarer complètement le russe...
King a fait de l'histoire d'un homme enragé par l'obession de savoir qui l'avait empoisonné par erreur le récit d'un homme résolu à ne pas être confondu avec le criminel qu'il est devenu. A un certain point (mais lequel exactement ?), on peut imaginer que Chance se bat aussi désormais pour sauver Ice, qui a autant tuer Gardner que lui, qui est sa complice. Si on ne peut l'accabler, elle sera tranquille, d'autant plus qu'elle est insoupçonnable (qui penserait à elle comme l'assasssin de Gardner, qui fut son ex et son collègue au sein de la Justice League International ?).
L'attitude de Chance est parfaitement traduite par le dessin de Greg Smallwood, et on mesure là aussi une nouvelle fois à quel point l'artiste est sur la même longueur d'ondes que son scénariste. Pour cet épisode, les décors sont multiples, les situations spectaculaires, c'est une succession de scènes qui va crescendo où le lecteur pense que Red Rocket va faire craquer Chance.
Il y a un élément qu'il faut bien garder à l'esprit dans la conception de The Human Target : le script a été entièrement livré à Smallwood et King ne l'a pas retouché ensuite, ne l'a pas corrigé. Il a fait une totale confiance à Smallwood pour en tirer la substantifique moëlle mais aussi pour l'illustrer de la manière la plus subtile, la plus intense.
Donc le dessinateur a eu l'avantage de bosser sur un matériau fini, complet. Il avait une vue d'ensemble, il a pu réfléchir à l'histoire dans sa globalité, sans attendre chaque mois une copie écrite de l'épisode. Cela change tout et reste une exception dans le monde des comics où les scénaristes, souvent occupés à écrire plusieurs séries en même temps, n'ont pas le luxe de rédiger douze épisodes d'une traite et de les donner à l'artiste. Il semble d'ailleurs que King travaille désormais fréquemment de cette manière puisque Danger Street (qui commencera sa publication en Décembre et sera dessiné par Jorge Fornés) a également été entièrement écrit avant même la première planche dessinée.
Smallwood a donc profité de ce privilège pour réfléchir au look de la série, mais aussi à la forme de chaque épisode, à la manière d'en faire à chaque fois une pièce remarquable, unique. La structure même de la série (avec les rencontres entre Chance et les membres de la JLI) fait que le lecteur a le sentiment d'avoir à la fois chaque mois un épisode sur douze et une sorte de one-shot, de done-in-one, qui à la fin aboutira à une fresque complète.
Cette fois, l'action et le spectacle sont omniprésents. Dès les premières pages, avec le mitraillage de la chambre jusqu'à la fin avec la "réconciliation" entre Chance et Pushkin en passant par les tentatives de Red Rocket de pousser Chance aux aveux, ça n'arrête pas. Le sang froid insolent de Chance exaspère de plus en plus Pushkin, qui finit par se débarrasser de son armure pour l'interroger "à l'ancienne", à coups de poings et de pieds, à court d'idées. Il l'a frappé, lui a tiré dessus, laissé tomber : rien n'y a fait. Et Smallwood montre parfaitement la rage, la frustration de Pushkin, en saisissant ses expressions et sa gestuelle : au début il apparaît dans toute sa puissance, soulignée par la stature que lui confère son armure de Red Rocket, et à la fin, il l'enlève pour laisser éclater sa violence, sa brutalité, son insuffisance. Il a perdu mais ne l'admet pas. Il a voulu faire admettre un crime et il est sur le point de tuer Chance.
La diversité du découpage est sensationnelle. Chaque scène commence d'une manière invariable avec Chance à terre qui reprend connaissance sans savoir où il est, mais de plus en plus marqué par les coups qu'il reçoit, les épreuves qu'il subit, quasiment de la torture. Même s'il a tué, on compatit pour lui car ce qu'il endure est terrible et surtout son calvaire ordinaire est augmenté par ce que lui inflige Red Rocket. Smallwood trouve toujours la bonne valeur de plan, la bonne composition pour que le lecteur soit investi dans l'histoire, soit scandalisé par Pushkin et ému par Chance. Il parvient même à nous faire ressentir ce qu'on doit éprouver quand on est tenu par un homme en armure à des mètres de haut puis quand on tombe de cette hauteur, certain que la chute va être fatale, qu'on s'y abandonne, qu'on s'y résigne. On devrait être blasé car les comcis de super-héros sont pleines de personnages qui volent naturellement, sauf que là, l'homme qui tombe ne va pas voler, il va s'écraser, mourir : ce n'est qu'un homme face à un un autre équipé d'une armure sophistiqué, quasiment un robot, un androïde, un cyborg. Une machine contre une simple homme, sans pouvoir.
Mais ne croyez pas que le chemin de croix est terminé pour Chance. Le mois prochain, Batman s'annonce, et le duel promet d'être un nouveau sommet. King renoue, encore une fois, avec le dark knight pour une confrontation avec la Cible Humaine : autant dire que, avec Smallwood en prime, ce sera un nouveau morceau de bravoure.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire