Nous atteignons le dernier quart de la mini-série et Strange Adventures continue sa progression imprévisible. Tom King prend son temps, comme d'habitude, et plonge le lecteur dans une profonde interrogation sur son héros, ce n'est pas une histoire qui se lit facilement. D'autant plus que des choses horribles s"y passent, montrées tour à tour de manière suggestive par Evan Shaner ou plus directe par Mitch Gerads.
Les Pykkt ont commencé leur attaque contre la Terre et tous les super-héros sont sur le pied de guerre pour tenter de les repousser. Batman coordonne la riposte comme il le peut mais quand il demande à Flash de quitter sa position pour sauver Phoenix, le bolide constate que la ville est détruite.
Sur Rann, dans le passé. Adam Strange s'est échappé et rejoint Alanna. Sa captivité l'a changé, même s'il ne nie. Son épouse lui demande de parler à leur fille qui s'inquiète pour lui mais il prétend être trop occupé pour l'instant. Les esprits s'échauffent.
Finalement, Adam va voir Aleea, sa fille. Elle joue à imaginer une riposte contre le Pykkt, il jure de la protéger à tout prix car elle est ce qu'il a de plus cher. Sardath appelle Adam pour interroger un prisonnier Pykkt. Mais il préfère l'exécuter et promet de gagner la guerre malgré tout.
Sur Terre, aujourd'hui. Mr. Terrific réussit à capturer un Pykkt et l'interroge avec Batman. Le prisonnier finit par déclarer que Strange a décimé son peuple durant la guerre contre Rann, commettant un véritable génocide...
Strange Adventures, au fil des épisodes, s'est présenté de plus en plus nettement comme un récit sur la vérité. Et dans une histoire de guerre, passée ou présente, la vérité du vainqueur n'est jamais celle du perdant. Adam Strange s'est livré dans son autobiographie comme un guerrier noble, ayant vaincu l'ennemi avec honneur. Ce n'est évidemment pas si simple et cet épisode le confirme.
Quand Tom King explique que Strange Adventures fait partie d'un triptyque (avec Rorschach et Batman/Catwoman) sur la colère, il ne faut sans doute pas l'interpréter du point de vue du seul héros. Cette colère, c'est aussi celle de celui qu'a vaincu Adam Strange autant que celle de Strange lui-même. Mais là encore, il y a la colère qu'on admet, qu'on avoue, et celle qu'on nie. Adam Strange nie sa colère comme son adversaire nie le fait qu'il a combattu et vaincu avec honneur.
Les premières pages de l'épisode alternent comme d'habitude des scènes courtes sur la guerre entre Rann et les Pykkt et la guerre entre la Terre et le Pykkt, sur deux temporalités. Tandis qu'aujourd'hui, les super-héros de la Terre affrontent l'armée Pykkt, hier Adam Strange retrouve sa femme et ses alliés après avoir été fait prisonnier (comme ce fut raconté dans le #7).
Mais, au fait, comment s'est-il échappé du tortionnaire qui le retenait dans l'épisode précédent ? Le récit fait l'impasse sur ce point, pour mieux semer le trouble sur cette partie de l'intrigue, qui se veut la transcription en images de l'autobiographie "officielle" de Strange. On peut aussi imaginer qu'il a été relâché par ses geôliers. Mais à quel prix ? A moins que le but de sa capture était de le démolir psychologiquement, de le briser moralement.
Et c'est l'hypothèse la plus vraisemblable. En effet, briser Adam Strange, c'est briser le chef de l'armée de Rann, briser le héros de la planète attaquée par les Pykkt. Pire : c'est le renvoyer auprès des siens diminué, et donc faillible, un moyen encore plus sûr de torpiller les ranniens.
Barbu, hirsute, mais aussi taciturne, Adam Strange reparaît miraculeusement. Il jure à sa femme aller bien. Mais on comprend vite, comme Alanna, que ce n'est pas vrai : il évite leur fille, inexplicablement, prétend réfléchir à une riposte sévère, s'engueule avec sa femme, change d'avis en allant parler à Aleea... Et répond à un appel de son beau-père pour interroger un prisonnier Pykkt qu'il exécute froidement en se moquant de la possibilité de lui soutirer des renseignements parce qu'il va gagner la guerre, avec ou sans ça. Puis, en fin de compte, de manière hallucinante, il emmène sa fille pique-niquer !
Sous le trait clair d'Evan Shaner, le surréalisme de ces scènes est encore plus étonnant car la violence surgit de manière aussi rapide qu'imprévisible. L'artiste ne change pas sa colorisation, toujours lumineuse, aux teintes douces. Comme il n'applique aucun à-plat noir, tout est fait dans ce dessin pour rassurer, présenter les situations de façon transparente. Par conséquent, quand Alanna et Adam se disputent, et que les noms d'oiseaux comment à fuser, on est vtaiment surpris car la mise en scène, l'ambiance qui précédent ne préparent pas à cette violence.
Mais l'effet est encore plus terrible quand on lit la scène avec le prisonnier Pykkt et Sardath. Le Pykkt baragouine un sabir incompréhensible pour les personnages comme pour nous. Adam tend l'oreille malgré tout, on pense alors que, peut-être, lui décrypte un peu ce qui est dit. Puis tout bascule. Adam braque son pistolet sur le front du prisonnier - sans doute pour le menacer. Puis il lui tire dessus à bout portant. Le rayon laser du flingue emporte la tête du Pyykt. Adam est impassible. Sardath (et nous), horrifié(s). Shaner vient de signer une scène atroce, comme on ne l'attendait pas de sa part, car son style est si apprêté, si séduisant... Redoutable.
Quand dans les dernières pages de l'épisode, on voit partir Adam et sa fille pour un pique-nique (alors que la guerre continue, et après avoir assisté à l'exécution du Pykkt), on est glacé d'effroi car on sait que quelque chose d'encore plus terrible va avoir lieu. Sans aucun doute, l'explication sur la mort d'Aleea Strange (si elle est vraiment morte, car il s'agit du point le plus sujet à caution de l'histoire).
Par un jeu efficace de contraste narratif et esthétique, la partie au présent et sur Terre permet à King et Mitch Gerads de changer de registre tout en prolongeant ce que raconte la partie dans le passé sur Rann. On assiste à des destructions massives par les Pykkt sur Terre (Phoenix est rayée de la carte et la double page qui l'illustre représente parfaitement l'horreur du désastre, avec des couleurs saturées). On voit les super-héros, le plus souvent montrés de loin, dépassés par une armée alien aux soldats innombrables (lorsque Superman précise qu'il ne s'agit en plus que de la première ligne d'attaque, ça donne une idée de la force de frappe Pykkt). Les efforts déployés par les héros vont du spectaculaire (Dr. Fate) au dérisoire (Green Arrow).
L'apocalypse visualisée, King et Gerads ont prouvé au lecteur que c'était sérieux. Ils changent de braquet pour montrer Mr. Terrific, qui a délaissé provisoirement son enquête sur Adam Strange, capturer un Pykkt. Non sans humour d'ailleurs puisque Batman arrive sur les lieux ensuite, visiblement ahuri d'avoir été précédé par son collègue. Les deux héros vont occuper le centre de cette partie de l'épisode, dans laquelle, c'est notable, Adam Strange n'apparaît pas (sauf dans la toute dernière image de l'épisode).
Suivant la règle immuable du "no kill" des super-héros, Batman et Mr. Terrific ne vont pas se laisser aller à la torture, encore moins au meurtre de leur prsionnier. Mais l'interrogatoire se heurte au même mur car, même si Michael Holt et Bruce Wayne maîtrisent la langue Pykkt (ce ne sont pas les héros les plus intelligents du monde pour rien), ce que consent à dire leur prisonnier leur reste incompréhensible. Jusqu'à ce qu'il éructe un nom qui ressemble fort à celui de Adam Strange. Et crache toute sa haine contre le héros de Rann.
Comme dans l'épisode précédent, où Strange avouait à Alanna avoir tué cet homme qui l'avait interpélé lors d'une séance de dédicaces, encore une fois, c'est à Mitch Gerads que revient la tâche de dessiner une scène d'aveu vertigineuse. Le Pykkt dénonce un génocide commis par Strange pour gagner la guerre, avec des affirmations abominables (meurtres de femmes, d'enfants, d'hommes, de manière préméditée et organisée, sans pitié, sans merci). Alors bien sûr, le Pykkt peut mentir, exagérer, mais tout indique, dans le découpage, les angles de vue, les dialogues, la progression dramatique de cette scène, que ce n'est pas le cas. Adam Strange a vraiment commis l'irréparable, l'impardonnable, déjà par le passé. Ce n'est pas un héros de guerre, mais un criminel.
Il y a un phénomène de sidération qui suit la lecture de cette épisode. D'abord parce que Tom King désintègre Adam Strange, et il le fait implacablement. Ensuite, parce que le rythme du récit rend ces révélations totalement stupéfiantes et choquantes. On avance avec crainte et tout se confirme, c'est vraiment tétanisant. Mais plus encore que les deux points précédents, on est sidéré parce que cela sonne vrai, on se dit que c'est ça, la guerre et ce qu'elle fait aux hommes. Simple troufion ou chef de guerre, on en revient jamais indemne. Il semble que Adam Strange n'en soit jamais revenu. Et Tom King réussit brillamment à nous le raconter de sorte que le traumatisme est ressenti comme rarement.
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