Avant-propos
Il y a quelques semaines, au coeur du confinement, je vous avais annoncé que la reprise de mes critiques s'accopamgnerait sans doute d'un changement dans la forme de leur rédaction. J'ai pas mal réfléchi à cela et tâtonné pour élaborer une nouvelle formule qui me convienne et vous agréé. Il s'agissait surtout de casser une routine et de me remotiver. Mais aussi de donner un nouvel élan, un nouveau souffle aux articles de ce blog. N'hésitez pas à commenter ce nouveau format - je ne promets pas d'y répondre directement, mais peut-être en procédant à des ajustements.
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Et donc au programme de cette reprise, le retour du Batman écrit par Tom King. Le run du scénariste s'est achevé depuis maintenant plusieurs mois aux Etats-Unis, au #85. King avait prévu de conclure au bout de cent épisodes, mais la direction éditoriale en a décidé autrement (malgré d'excellents chiffres de vente) : la fin de la saga se déroulera donc dans une maxi-série Batman/Catwoman (douze épisodes, dessinés par Clay Mann, dont la publication démarrera vraisemblablement quand l'artiste aura produit suffisamment de chapitres, voire terminé l'histoire), et le titre a depuis été repris par James Tynion IV.
Le volume 8 de la série écrite par Tom King rassemble les épisodes 51 à 57 sous le titre Cold Days. Il compte deux récits (Cold Days, #51-53, et The Better Man/Beasts of Burden, #54-57). Nous avions quitté Batman après que Catwoman ait refusé de l'épouser à la dernière minute, au prétexte que leur mariage l'empêcherait de mener à bien sa croisade contre le crime. En vérité, c'était le résultat d'une machination ourdie par Bane pour briser Batman. Tom King n'allait pas en rester là et lors d'une retraite créative avec les scénaristes et editors de DC, il avait programmé que la descente aux enfers de son héros durerait pas moins de 25 épisodes : "une folie" selon Bendis (présent lors de cette réunion), mais nécessaire pour King qui voulait faire souffrir Batman pour le transformer profondément.
Cette ambition est déjà présente dans l'arc Cold Days dont l'intrigue est surprenante puisque Bruce Wayne est retenu comme juré dans le procès de Mister Freeze, arrêté par Batman pour trois meurtres. Le justicier a brutalisé le vilain et on comprend qu'il a agi ainsi parce qu'il s'est passé les nerfs sur Freeze après avoir été abandonné par Catwoman. Face à lui-même, Bruce Wayne comprend lors des délibérations du jury après le procès qu'il a appréhendé Freeze par erreur, aveuglé par son chagrin. Il doit convaincre les autres jurés de l'innocence du vilain sans compromettre sa double identité. Un effort qui va le mener à repenser sa mission de justicier...
L'histoire est passionnante. J'ignore si une telle idée a déjà été exploré dans les aventures de Batman, mais King l'exploite magistralement. Très vite, le lecteur comprend que Batman a fait preuve d'une conduite indigne, mais la partie enquête est également palpitante et aboutit bien à l'innocence de Freeze sans éluder la monstruosité de ses expériences (depuis toujours, ce dernier tue dans l'espoir de ressusciter sa femme, Nora, placée en animation suspendue). La référence, explicite, au film Douze hommes en colère de Sydney Lumet lors des échanges entre Wayne et les autres jurés donnent lieu à des scènes d'une intensité rare, équivalent à une auto-psychanalyse de Batman. Le tout mené sur un rythme très soutenu.
En outre, cet arc est dessiné par le trop rare Lee Weeks (avec qui King avait précédemment collaboré sur le numéro spécial Batman/Elmer Feud) et colorisé par l'excellente Elizabeth Breitweiser. A eux deux, ils font de ces épisodes un chef d'oeuvre visuel. La diversité des plans, la découpage implacable, l'expressivité des personnages, tout concourt à traduire en images la tension extrême de l'histoire. Si on peut déplorer qu'un dessinateur de la trempe de Weeks produise si peu (comme Alan Davis, il souhaiterait développer des récits qu'il écrirait aussi), c'est aussi sa rareté qui rend précisément ses épisodes aussi beaux et puissants.
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A la fin de Cold Days, Batman choisit, de manière très symbolique, de reprendre son costume classique (celui avec le slip noir et sans protection en kevlar, celui de Batman : Year One, pas l'armure New 52 ou le design Rebirth). C'est une manière de revenir aux sources mais aussi de reprendre sa croisade sans carapace, presque nu. En s'exposant ainsi, Bruce Wayne compte renouer avec lui-même, se reprendre en main. Et il peut compter sur Alfred Pennyworth pour cela. Mais pas que : Dick Grayson, son premier Robin, devenu Nightwing, revient soutenir son mentor dans cette passe difficile. Grayson, c'est le bon élève, le meilleur de Batman, c'est un personnage lumineux, le Better Man du titre de l'arc, celui qu'aspire à (re)devenir Batman. King met en scène ces retrouvailles en compagnie du dessinateur Matt Wagner : une collaboration qui ne fonctionne pas selon moi, mais je n'ai jamais été fan du style du créateur de Grendel.
Toutefois, l'arc qui suit ce one-shot, Beasts of Burden, va devenir une des histoires les plus dures et les plus controversées du run de King. Bane continue son entreprise de sape en coulisses et a engagé KGBeast, un tueur mutilé autrefois par Batman, pour l'atteindre indirectement, comme il l'avait fait avec Catwoman via Holly Robinson (dans le #50). S'il ne fait aucun doute que c'est à King qu'on doit la décision de "sacrifier" Nightwing, ce qui suivra pour Dick Grayson semble lui avoir échappé. Mais les fans du personnage le tiendront quand même pour responsable.
On ne peut pourtant guère reprocher à King de ne pas sincèrement apprécier Dick Grayson pour qui, avec Tim Seeley, il a écrit seize épisodes d'une des meilleures séries des New 52, Grayson. Blesser gravement Nightwing, c'est surtout un électrochoc supplémentaire, un moyen de montrer à la fois le machiavélisme du plan de Bane et la fragilité de Batman. Abandonné par Catwoman, privé de Nightwing, Batman est de plus en plus diminué, précarisé et éprouvé. Sa vengeance contre KGBeast sera à la mesure de sa détresse et confirme bien qu'il n'est qu'au début de son chemin de croix.
King apprécie de filer la métaphore dans ses histoires et un étrange conte animalier se greffe sur l'épisode 57, avec les illustrations de Mark Buckingham, dont le style tranche complètement avec celui de Tony Daniel, qui dessine tout le reste. Ce dernier produit un travail honnête, même si c'est loin de ce qu'il a fait de mieux - c'est la lacune de Daniel, capable de dessiner des pages, voire un épisode, brillants, mais incapable de conserver cette qualité sur tout un arc (quand il arrive seulement à enchaîner trois épisodes). Il est à l'aise quand Batman et KGBeast se mettent violemment sur la tronche dans la neige, mais avant c'est très inégal. En revanche, Buckingham dispose de peu de pages pour s'exprimer, mais sa technique est bien plus affirmée et il marque les esprits.
Quant à Nightwing donc, dans sa série dédiée, il survit à la balle qu'il a reçoit dans la tête mais souffre de perte de la mémoire, affectant gravement sa personnalité. Il refuse ainsi d'être encore prénommé Dick au profit de Ric (Richard) Grayson. Il change aussi de costume (avec un design abominable). Pire : toute l'insouciance du personnage est gommé et ses aventures sombrent dans une violence complaisante. A l'heure qu'il est, ça continue et il est désormais sous l'emprise du Joker (dans la perspective de Joker War, la saga à venir écrite par James Tynion IV). Un vrai calvaire, un gâchis. Mais qui prendra peut-être fin quand Scott Snyder reprendra le personnage comme il en a le projet (et vu sa popularité, DC ne le lui refusera pas) - j'ai beau avoir des réserves sur Snyder, son pitch pour Nightwing est séduisant et surtout il veut réhabiliter le personnage.
Ce volume est donc très inégal : les épisodes avec Lee Weeks sont un régal, témoignant de la mâitrise narrative de King. Ceux avec Tony Daniel et Mark Buckingham sont plus laborieux et ont eu des conséquences collatérales terribles. Il est acquis que 25 épisodes de purgatoire pour Batman seront sans doute un peu trop longs à ce rythme, mais sachant que le volume 9 compte le Pingouin (inutilisé par King) et le retour de Mikel Janin (et Jorge Fornés), il y a aussi de quoi passer de bons moments.
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