samedi 27 juin 2020

EMPYRE : AVENGERS #0, de Al Ewing et Pepe Larraz


J'ai longuement hésité avant d'entreprendre la lecture de ce premier prologue à la saga événement Marvel de cette année car je ne suis plus très friand de ce genre d'histoire. Mais le fait que ce soit dirigé par Al Ewing (dont j'ai découvert l'excellent Loki : Agent d'Asgard, durant le confinement) et dessiné par Pepe Larraz a eu raison de ma réticence. Un démarrage prometteur, même si le récit est très référencé (donc pas forcément très reader's friendly).


Tony Stark se réveille en sursaut au QG des Avengers après avoir fait un rêve évoquant la guerre entre les Kree et les Cotati. Il reçoit dans la foulée un appel de Captain Marvel car un message télépathique appelle les héros à l'aide dans la zone bleue de la Lune. Sur place, un gigantesque jardin a éclos, gardé par une sentinelle Kree.


Celle-ci est abattue grâce à l'intervention du vrai gardien des lieux, le Swordsman - ou plutôt sa réincarnation Cotati. L'ex-Avenger conduit ses amis auprès du fils qu'il a eu jadis avec Mantis, Sequoia, qui convainc Thor de provoquer une averse pour que la végétation produise enfin de la nourriture.


Quoi (le petit nom du messie céleste) résume ensuite la menace qui pèse sur l'endroit et la Terre car les Kree et les Skrulls, pourtant ennemis de toujours, se sont alliés pour décimer les Cotati et leurs complices. A la tête de l'armée ennemie : Hulkling, le fils de Captain Mar-Vell, ex-Young Avenger.


Iron Man accepte de s'opposer avec les Avengers contre les Kree et les Skrulls. Sans savoir que les Fantastic Four ont pris le parti inverse... Et c'est donc parti pour une saga cosmique qui puise dans les classiques Kree-Skrull War (Roy Thomas/Neal Adams) et Celestial Madonna (Steve Englehart, Roy Thomas/Jim Starlin). Il faudrait donc avoir bien réviser avant de se plonger dans cette aventure...


Sauf que Al Ewing accomplit un formidable boulot de mise à jour pour ceux qui ne se souviendraient pas de tout ou même n'auraient pas lu ces précédentes sagas. Le scénariste réussit le tour de force d'intégrer un résumé exemplaire dans un seul épisode et on a toutes les clés en main pour saisir les enjeux de l'histoire à venir : les origines de Hulkling, celles de Quoia, la mort et la résurrection du Swordsman, l'implication des Avengers, la situation des Cotati à la base de tout cela. C'est vraiment remarquable.

Ewing est le énième scénariste en vue à tenter de produire un event Marvel digne de ce nom. Dès qu'un de ses auteurs perce auprès de la critique et du public, l'éditeur semble le tester en lui soumettant ce défi sur lequel beaucoup se sont cassés la figure, car à force de publier une saga tous les ans (parfois plus), en usant des mêmes ficelles (comme le sacrifice d'un héros, ou plusieurs), il faut beaucoup d'indulgence pour encore croire que ça peut fonctionner. Le dernier event que j'ai lu et apprécié remonte à Fear Itself, il y a neuf ans (!), et ce n'était pourtant pas un chef d'oeuvre. Depuis, j'ai survolé Original Sin, lu bien après sa parution Secret Wars, zappé Secret Empire...

Ewing a, semble-t-il, eu les coudées franches, comme en témoigne les renvois à des sagas vieilles de plus de quarante ans. En faisant le pari de convoquer des événements aussi anciens, mais en s'échinant à les synthétiser pour contextualiser son intrigue, le scénariste s'inscrit dans une continuité louable, qui donne de la profondeur à son propos, rappelle le vécu des personnages. Je me répéte, mais Ewing parvient à condenser cela de manière exceptionnelle, claire, efficace. Il ne mise pas sur un point de départ artificiel (comme Original Sin de Aaron ou qu'il aurait eu le luxe de développer dans la série Avengers (comme Hickman quand il préparait Secret Wars), il souligne que ce qui va se passer découle de faits anciens et semble inéluctable.

La narration est aussi assez singulière puisque Ewing choisit de passer par une voix-off, celle de Tony Stark/Iron Man. Le vengeur en armure a souvent joué le rôle de semeur de troubles, notamment avec les deux Civil War (la première en endossant le costume du méchant, la deuxième en se posant en rebelle), mais Ewing le postionne de manière plus troublante (et troublée), via une astuce un peu grossière mais ingénieuse  : il a fait un rêve, qui ouvre l'épisode, et qui préfigure tout ce qui suit, manière de suggérer qu'il va falloir être méfiant avec les apparences. Et la dernière page le confirme puisqu'on voit que les Kree et les Skrulls ont le soutien des Fantastic Four (un tie-in à la saga indique que les X-Men sont aussi de leur côté) ! 

L'autre élément qui incite à rester prudent est le duo formé par le nouveau Swordsman et son fils, l'autoproclamé messie céleste (comme sa mère, Mantis, fut la madonne céleste). En les installant dans la zone bleue de la Lune (où existe une poche d'oxygène), devenue un vaste jardin cultivé par les Cotati, on a le sentiment d'un paradis en danger. Mais, dans le même temps, l'ouverture de l'épisode nous instruit sur le fait que cet Eden est né d'un bain de sang, d'un génocide. Par ailleurs, la façon de s'exprimer de Quoi laisse planer le doute : ce jeune dieu joue sur la corde sensible (Thor est présenté comme son "oncle"). Comment ne pas vouloir l'aider ? Mais aussi cela n'est-il pas trop beau ? L'attitude belliqueuse de Captain Marvel (une fois de plus mise en avant, ce qui ne va pas aider à la rendre sympathique, comme Marvel le souhaiterait tant, à l'image du film dont elle a été la vedette - il faudrait quand même que l'éditeur songe à aligner ces deux versions, en positif ou en négatif) contribue définitivement à envoyer les Avengers en guerre.

Enfin, il faut admettre que l'affaire est très séduisante grâce au dessin. Pepe Larraz est désormais une star chez Marvel, son statut a complètement basculé depuis House of X, c'est l'artiste qu'on emploie dans le grandes occasions (il sera aussi de la partie pour l'event mutant, X of Swords). On peut trouver ça frustrant, personnellement j'aimerai qu'on le voit plus souvent, sur un titre régulier. Mais il semble pris dans la même roue où, jadis, Steve McNiven ou Olivier Coipel furent enfermés.

Malgré cette réserve, ses planches sont superbes. Larraz sait à merveille poser une action et y insuffler une énergie folle, on est absorbé par le fil de l'histoire grâce à son découpage spectaculaire, la luxuriance de ses images (la végétation de la zone bleue rappelle évidemment celle de Krakoa). Et il anime les personnages avec majesté. Donnez-lui, comme ici, les Avengers et, à l'instar des X-Men, il les dote d'une superbe incroyable. L'entrée en scène du Swordsman a une gueule épatante. Le résumé de la situation par Quoi est admirablement retracé par des compositions qui n'ont rien à envier à un Alan Davis des grands jours (d'ailleurs le trait de Larraz, rond, vigoureux, expressif, fait penser à celui du maître). Et les couleurs de Marte Gracia se marient à la perfection avec son encrage bien appuyé.

Empyre s'annonce donc sous les meilleurs auspices. Sa réalisation est d'ailleurs déjà bouclée puisque Valerio Schiti, qui dessine la saga centrale, n'a pas chômé durant le confinement (et ceux qui ont pu voir ses pages ont été vivement impressionnés). Avant d'embarquer, il sera intéressant de lire l'autre prélude, Empyre : Fantastic Four (disponible le 8 Juillet et dessiné par... R.B. Silva - Marvel ne perd pas le Nord en recrutant l'artiste de Powers of X), pour comprendre pourquoi ces derniers ont pris le parti adverse des Avengers.

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