Kelly Thompson a de la suite dans les idées (et le soutien de Marvel) : sa série Hawkeye annulée, elle n'a pas renoncé à animer Kate Bishop (et Clint Barton), et pour cela elle relance un titre historique, bizarrement délaissé depuis des décennies, avec West Coast Avengers. Elle a, pour cela, le soutien d'un vrai bon dessinateur (son meilleur depuis Leonardo Romero), Stefano Caselli. Mais attention ! Sa version est très iconoclaste. Tant mieux ? Ou hélas ?
Kate Bishop a décidé de rester vivre à Los Angeles. Mais elle a compris que ses talents d'archer ne suffisaient pas à régler les menaces planant sur la Côte Ouest des Etats-Unis. Il lui faut des alliés en plus de son boyfriend Johnny Watts/Fuse et de Clint Barton.
Après avoir dû maîtriser une bande de requins géants sur pattes avec le renfort de Miss America Chavez, son ancienne partenaire des Young Avengers, et contacté des super-héros potentiellement disponibles (mais pas intéressés), elle se résout à passer une petite annonce.
Défilent alors dans son agence d'enquêtes privées les plus improbables candidats. Ce casting la démoralise tant qu'elle accepte d'engager Gwenpool, une mercenaire extravagante qui connaît tous le secrets des super-héros et vilains et convaincue de vivre dans une BD. Puis surgit le mutant Quentin Quire/Kid Omega, qui, en plus de sa puissance, fournit le financement de groupe car il est accompagné d'une équipe de tournage pour une télé-réalité qui souhaite filmer une équipe de justiciers.
En attendant d'avoir un quartier général payé par cette production, le groupe est vite appelé pour une mission peu banale : sur la plage est apparue Tigra, membre fondatrice des premiers Vengeurs de la Côte Ouest. Mais elle a bien changé...
En effet, sa nature animale a pris le dessus sur son humanité. Et surtout elle mensure désormais soixante mètres de haut ! Clint tente d'abord de la raisonner, en vain. La situation est très compromise car Kate refuse que Quentin ou Miss America n'utilisent la force. C'est alors qu'un certain B.R.O.D.O.C.K. apparaît en assurant qu'il va leur sauver la mise...
Avant d'aller plus loin, un mot pour les râleurs qui, sur les réseaux sociaux, vouent déjà aux gémonies la série parce que ce ne sont pas les "vrais" West Coast Avengers. On peut ne pas apprécier le style d'un auteur, la direction qu'il imprime au titre, le fait même de le relancer (même si dans ce dernier cas c'est d'abord la responsabilité de l'éditeur). Mais critiquer le choix des personnages est, à mon sens, absurde : nier cette liberté à un(e) scénariste, c'est s'approprier le casting - une manoeuvre illégitime. Dans le cas des Avengers, les formations ont depuis toujours été en mouvement, et ceux de la West Coast ne dérogent pas à la règle. Donc venir reprocher l'intégration de Kate Bishop, Miss America Chavez, Gwenpool ou Quentin Quire, c'est ni plus ni moins prétendre être le directeur artistique de la série. Les lecteurs ont droit de vie ou de mort sur un titre, en l'achetant ou pas, mais selon la proposition d'un auteur.
Ceci étant dit, il faudrait être particulièrement mal embouché pour ne pas apprécier le travail de Kelly Thompson, qui s'inscrit à la fois dans la droite ligne de son run sur Hawkeye, des origines des West Coast Avengers, mais aussi de la Justice League International de Giffen-DeMatteis-Maguire.
On retrouve donc le duo formé par Kate Bishop et Clint Barton, le fait que cette équipe est un rassemblement de héros sans formation fixe (ce qui était à la base de la série des années 80, quand Hawkeye avait créé cette branche indépendante des Vengeurs) et une prime à l'humour et l'action.
Dans le contexte actuelle des comics (aussi bien chez DC que Marvel), les super-héros échappant à un registre sombre sont une denrée rare. Marvel fait un effort notable pour réintroduire une certaine légèreté comme en témoigne, depuis le début de l'initiative "Fresh Start", des séries comme Tony Stark : Iron Man, le retour des Fantastic Four et le nouveau volume de Thor (même si le graphisme, illisible, gâche considérablement l'entreprise dans ce dernier cas). Le projet de Kelly Thompson pourrait bien devenir l'aboutissement de cette inclinaison.
La scénariste s'est toujours distinguée par son sens de l'humour, ses dialogues bien sentis, son amour des personnages et le soin avec lesquels elle les caractérise. Elle y ajoute ici un goût pour le délire rafraîchissant via la construction du récit (en fait une suite de témoignages face caméra pour une télé-réalité, qui résument les jours précédents de l'histoire) et ses références (la saga ciné Sharknado avec l'attaque des requins). Le choix des membres de l'équipe va dans le même sens : il s'agit, plus que de facilement provoquer, de renouveler (selon la tradition de la franchise "Avengers") mais en jouant avec le passif des protagonistes.
Fuse (dont les pouvoirs sont semblables à ceux de l'Homme Absorbant) était le petit ami de Kate Bishop dans Hawkeye. Miss America Chavez fut sa partenaire dans Young Avengers (et Thompson s'amuse à suggérer que la lesbienne mexicaine est surtout là parce qu'elle est amoureuse de Kate). Gwenpool est typiquement la wildcard de l'équipe (personnage surprenant, dérivé de Deadpool et de Gwen Stacy, qui sait tout sur tout le monde et est consciente de vivre dans un comic-book). Et Quentin Quire, issu de Wolverine & the X-Men, est la tête à claques super-puissante. C'est précisément en soulignant l'aspect dysfonctionnel de ce pack que Thompson créé une dynamique efficace et rapide, très drôle et percutante.
En lui adjoignant Stefano Caselli pour le dessin, Marvel donne à Thompson les moyens de son ambition (plus que pour Mr. et Mrs. X avec le faiblard Oscar Bazaldua). L'italien traîne déjà depuis un moment chez l'éditeur pour qui il a collaboré à des séries exposées (notamment Secret Warriors et Avengers écrits toutes deux par Hickman). Mais son travail était souvent inégal, à cause d'une colorisation médiocre notamment (ou plus généralement à cause de la personnalité écrasante des scénaristes - pas facile d'exister avec Dan Slott, Brian Bendis, Jonathan Hickman).
Cette fois, les planètes sont alignées : Thompson est une vedette en devenir qui semble vraiment sur la même longueur d'ondes que l'artiste. Il a avec Triona Farrell une coloriste qui met superbement en valeur son trait. Et son dessin lui-même a franchi un palier remarquable. Caselli a assimilé le côté extravagant de l'histoire et a subtilement modifié son approche, en ayant un graphisme moins rond mais toujours aussi mobile.
Il est aussi à l'aise dans les scènes à grand spectacle, auxquelles il infuse une énergie bienvenue, que pour les passages reposant sur les dialogues, avec une grande variété dans les plans, les enchaînements, les compositions et les expressions. Chaque personnage a tout de suite une représentation bien définie, qu'il s'agisse du "vétéran" Clint Barton ou de l'ado Quentin Quire en passant par Kate Bishop et America Chavez ou l'improbable Gwenpool.
La fin de ce premier épisode jubilatoire réintroduit un personnage féminin certes bien changée mais issu du passé des Vengeurs de la Côte Ouest et une création bien décalée. Oui, vraiment, il faudrait être bien difficile pour ne pas être conquis par tout ça.
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