Sorti en Juin dernier, voici la suite et fin du Batman version Enrico Marini. Nous avions laissé le protecteur de Gotham dans une situation délicate où il perdait ses nerfs : une femme, Mariah, le menaçait de poursuites judiciaires car elle prétendait que Bruce Wayne était le père de sa fille, Alina. Le Joker, voulant offrir un diamant à Harley Quinn, a alors l'idée de kidnapper la fillette pour forcer Wayne à acheter le bijou. Mais où le clown du crime retient-il son otage après avoir causé un accident qui a plongé Mariah dans le coma ? Et quid de Catwoman, mécontente de la possibilité de son amant et convoitant également le précieux caillou ?
Il y a neuf ans. Bruce Wayne, le visage tuméfié après une bagarre, entre boire un verre dans un bar des bas-fonds de Gotham, et y fait la connaissance de la barmaid, Mariah, qui finit son service... Aujourd'hui, la jeune femme est à l'hôpital de Gotham, dans le coma, après un accident causé par le Joker qui a enlevé sa fille - et celle de Bruce Wayne ?
Batman, l'alter ego du playboy milliardaire, traque tous les acolytes connus du Joker pour savoir où il se cache et retient en otage Alina, la fille de Mariah. Mais personne ne sait rien. Frustré, le justicier perd l'appétit et ne sait plus s'il est motivé par la quête de la fillette ou la découverte de sa possible paternité.
Jusqu'à ce que le Joker adresse une invitation directe à Wayne : il se rend au rendez-vous... Qui a lieu dans le bar où il avait rencontré autrefois Mariah. Le Joker y arrive peu après, travesti, et prouve qu'Alina est toujours vivante via une vidéo en direct sur une tablette. Puis il dicte ses conditions pour la libérer.
Le clown du crime veut que Wayne acquiert le diamant du Chat Bleu qui va être vendu aux enchères pour une valeur estimée à cinquante millions de dollars. Ensuite, il communiquera le lieu de l'échange. Pour éviter que Wayne ne le suive, le Joker lui fait boire un sédatif.
Bruce se rend à la vente et remarque dans la salle Selina Kyle. Très vite, le prix du diamant s'envole, disputé entre Wayne et un sheikh arabe. Selina abandonne la partie et quitte la salle, suivie du regard par Bruce, troublé par le décolleté vertigineux qui montre sa chute de reins.
Elle en profite pour déclencher une petite explosion qui décroche le lustre de la salle des marchés. Selina dérobe, dans la confusion qui suit, le diamant et prend la fuite. Wayne s'éclipse à son tour et la prend en chasse tandis que, devant la télé, le Joker et Harley Quinn qui suivaient la retransmission de la vente sont médusés.
Batman rattrape Catwoman sur les toits et lui réclame le diamant. Elle refuse de le lui rendre et s'ensuit un bref affrontement entre eux. Batman la laisse avoir le dessus pour mieux lui dérober le caillou et ensuite filer. Le Joker téléphone à Wayne et son majordome, Alfred Pennyworth, passe l'appel à Batman. Mais la liaison est mauvaise et il n'entend pas son adversaire lui indiquer l'adresse où aura lieu l'échange avec Alina.
A bord de la Bat-mobile, Batman se repasse la vidéo que lui avait montré le Joker au bar et qu'Alfred avait piratée. En zoomant sur l'arrière-plan, il remarque sur un fut le sigle de Wayne Power Entreprises, une de ses filiales. Direction : l'entrepôt désaffecté de stockage.
Le Joker s'est entouré de mercenaires lourdement armés pour le protéger avec la consigne de capturer Wayne vivant mais d'abattre Batman. Ce dernier fonce dans le tas et neutralise les sbires de son ennemi avant de lui sauter dessus.
Mais Harley Quinn frappe Batman dans le dos. Le Joker, qui attendait Wayne et le diamant, s'apprête à éliminer Alina lorsque Catwoman surgit pour l'en empêcher et reprendre le caillou à Harley Quinn. Alina pique le Joker avec une aiguille empoisonnée qu'il destinait à Batman, mais plutôt que de se rendre au Dark Knight il préfère se défenestrer et plonger dans la rivière.
Catwoman prend le large à son tour avec son butin. Batman emmène Alina au chevet de sa mère. A l'hôpital le commissaire Jim Gordon félicite Bruce d'avoir adopté la fillette et de prendre en charge les frais médicaux de sa mère, en espérant qu'elle se réveille un jour. Interrogé sur le Joker, le policier répond que son corps n'a toujours pas été repêché mais il ne croit pas à sa mort.
Il y a neuf ans. Le Joker, après avoir affronté Batman, entre dans le bar de Mariah au moment où elle s'apprête à le fermer pour rejoindre Bruce Wayne...
Quand, en Novembre 2017, le tome 1 de Batman : The Dark Prince Charming est sorti, la curiosité de ce projet a vite fait place à des critiques virulentes contredites par le succès commercial de l'album. Des fans du Dark Knight reprochait au dessinateur de Scorpion un scénario trop léger, écrasé par un esthétisme qui tournait du coup à vide.
Pourtant, j'avais, pour ma part, pris du plaisir à cette version à la fois respectueuse et décalée du héros, qui présentait la particularité de pouvoir s'inscrire dans la continuité actuelle (celle du statu quo de "DC Rebirth") de la série écrite par Tom King - on y voyait Bruce Wayne en couple avec Selina Kyle. Certes, l'intrigue était sommaire et mixait aventures, action et humour, mais avec un argument ingénieux : playboy impénitent, Wayne était-il le père de la fille d'une simple serveuse avec laquelle il avait eu une aventure sans lendemain ?
Lorsque reprend l'histoire dans ce tome 2, un flash-back confirme la liaison entre Mariah et Bruce de manière suggestive. Et cette ouverture donne le ton du second acte du récit, souvent de façon étonnante de la part d'Enrico Marini qu'on a connu moins timide dans ses productions solo européennes (voir Les Aigles de Rome ou Rapaces, écrit par Dufaux).
Ne vous méprenez pas : je n'accuse pas DC (ou Dargaud d'ailleurs) d'avoir brider le suisse, il a confirmé à plusieurs reprises avoir travaillé en toute liberté, rien n'a été censuré en relation avec le sexe ou la violence. Mais, donc, il convient de signaler, par exemple, que Marini utilise finalement très peu Selina Kyle/Catwoman (alors qu'on pouvait l'attendre de la part de celui qui adore les brunes capiteuses) et sa Harley Quinn reste assez sobre (en dehors de son relooking superbe). C'est un peu frustrant mais pas grave.
D'autant que visuellement, par ailleurs, Marini sort des clous franchement lors d'une scène mémorable, le clou de ce tome 2, quand le Joker donne rendez-vous à Bruce Wayne dans le bar où servait Mariah. Le clown du crime apparaît travesti comme jamais et l'effet produit est à la fois grotesque, hilarant et épatant. On sent que l'auteur en plus de lui donner la vedette en couverture a pris un plaisir évident à animer la nemesis de Batman, le montrant tour à tour pianiste et fin mélomane, sadique et attendri par Alina, amoureux fou et excédé par Harley Quinn, cruel et effrayé par Batman, et perspicace (quand il reconnaît Wayne sous le masque de son adversaire qui l'empoigne d'une façon distinctive).
Somptueusement mis en images en couleurs directes, l'album est un régal pour les yeux. Marini s'est beaucoup inspiré du Batman de Christopher Nolan pour designer le sien, avec un costume très sombre, l'aspect d'une quasi-armure, et des équipements tout droits sortis des films - la Bat-mobile, la Bat-moto. En revanche, la Bat-cave évoque plus directement les comics, mais le dessinateur la montre très peu dans ce livre. Lorsqu'il anime Bruce Wayne, presque plus présent à l'image que son alter ego, on reconnaît sans mal les mâles alpha comme les apprécie Marini, bruns, ténébreux, séduisants, baraqués.
Gotham est moins exploitée que dans le tome 1, même si la page 2 nous offre une vue plongeante sur la cité de toute beauté. Globalement, l'impression qui domine, c'est que Marini a posé les bases dans le premier livre, et du coup s'en tient là pour cette suite et fin. C'est aussi frustrant, d'autant que le règlement de comptes final se situe dans un banal entrepôt désaffecté, que seul vient épicer l'intervention de Catwoman (d'ailleurs plus là pour récupérer "son" diamant que pour aider Batman).
Le dénouement, en deux parties, avec l'engagement de Wayne auprès de la fillette, puis un second flash-back qui fait écho à celui du début, apporte des notes plus réaliste et malicieuse à l'histoire, sans cependant fournir au lecteur une dimension supplémentaire à la relation entre Batman et le Joker. On reste dans le divertissement, pas dans le réflexion sur la mythologie du héros.
En résumé, ces deux albums forment une expérience visuellement éblouissante (ce qui correspond à ce qu'on attend d'un artiste comme Marini), un peu trop sage narrativement. Le découpage en deux Livres s'avère discutable mais plutôt bien construit. Bilan favorable donc, même si un peu de piment aurait été bienvenu.
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