Tourné il y a deux ans, Pur-Sang (aussi référencé fréquemment sous son titre original : Thoroughbreds, pour une fois traduit littéralement) n'est sorti en salles qu'en 2018. Le film de Cory Finley doit son exploitation tardive en France certainement à la présence d'Olivia Cooke au générique de Ready Player One (le dernier Spielberg) et d'Anya Taylor-Joy (l'autre comédienne qui monte). Quoiqu'il en soit, cette teen comedy noire vaut qu'on s'y arrête pour sa qualité formelle et son humour macabre irrésistible.
Lily et Amanda (Anya Taylor-Joy et Olivia Cooke)
Amanda est une adolescente issue de la grande bourgeoisie du Connecticut. Mais elle doit sa renommée à un geste de cruauté ahurissant puisqu'elle a euthanasié son pur-sang avec un couteau.
Quelque temps après, elle est reçue chez , Lily, elle aussi riche mais plus populaire, qui fut sa meilleure amie jusqu'au décès du père de cette dernière. La mère d'Amanda l'a payée pour qu'elle tienne compagnie à celle-ci en révisant ensemble. La situation ne pose pas de problème à Amanda qui explique à Lily qu'elle n'éprouve aucun sentiment - ce que les psys ont diagnostiqué comme un trouble du comportement relatif à la mort de son cheval.
Lily, son beau-père Mark (de dos) et Amanda (Anya Taylor-Joy, Paul Sparks et Oliva Cooke)
Lily, d'abord perturbée par ces aveux, invite à nouveau Amanda, cette fois sans être payée. Les deux filles retrouvent de bons rapports et ainsi Lily peut confesser qu'elle déteste son beau-père, Mark, qui impose ses décisions à sa mère, qu'il a convaincue de l'envoyer en pension alors qu'elle a décroché une place dans une prestigieuse université. Pour Amanda, la seule solution consiste à éliminer Mark, ce qu'elle aurait été disposée à faire si l'euthanasie de son cheval n'avait orienté les soupçons sur elle. En revanche, elle peut aider son amie à commettre un homicide sans être inquiétée par la police.
Lily, Tim et Amanda (Anya Taylor-Joy, Anton Yelchin et Olivia Cooke)
Après l'avoir repéré dans une fête où il tentait de vendre de la drogue, les deux filles abordent Tim qui, bien que très ambitieux, est d'extraction plus modeste et sensible à une grosse rétribution pour la mission qu'elles veulent lui confier. Ensemble, ils répètent le plan échafaudé par Amanda, un crime sans failles. Mais le soir prévu pour le commettre, Tim leur fait faux bond. Elles décident de ne pas le relancer, estimant que, de son côté, il ne les dénoncera pas vu ses activités illégales.
Lily et Amanda
Au pied du mur, Lily comprend qu'elle devra se débarrasser elle-même de Mark. Un soir qu'elles regardent un film ensemble, elle explique à Amanda avoir drogué sa boisson avec du Rohypnol, la "drogue du violeur". Ainsi comptait-elle tuer son beau-père puis placer l'arme du crime dans les mains de son amie qui ne se serait souvenue de rien.
Amanda et Lily
Amanda accepte d'assumer le meurtre et boit tout le contenu de son verre. Elle s'endort peu après profondément. Lily va chercher dans la cuisine des gants et un couteau puis monte dans la chambre de Mark. Elle en redescend couverte de sang qu'elle essuie sur Amanda. Avant d'aller se débarbouiller, elle fond en larmes dans les bras de son amie inconsciente.
Amanda
Plus tard. Lily se rend à un entretien avec un ami de feu Mark pour son admission à l'université et croise à cette occasion Tim, devenu voiturier dans l'hôtel où elle descend. Il lui présente ses condoléances et lui demande si elle a des nouvelles d'Amanda. Celle-ci a été internée en hôpital psychiatrique, assumant comme promis la responsabilité du crime, ses rêves peuplés de chevaux, comme elle le lui a écrit dans une lettre. lettre que Lily prétend ne jamais avoir lue.
Les teen movies ont mauvaise réputation, en particulier depuis la série des American Pie avec ses blagues bien grasses et navrantes sur la sexualité, alors que dans les années 80, le genre avait encore une certaine respectabilité grâce à John Hughes (Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller). Malgré tout, c'est un passage quasi obligé pour les jeunes comédiens avant d'accéder à des films plus honorables et des rôles plus valorisants, à moins qu'ils ne décrochent la timbale en décrochant la vedette d'une lucrative franchise qui les rendra bankables.
Mais, parfois, un cinéaste inspiré s'essaie à l'exercice en le subvertissant, ne visant pas la gaudriole mais lui appliquant un traitement plus subtil, une esthétique, un ton. C'est ce que réussit Cory Finley avec Pur-Sang (Thoroughbreds) qui, dès sa brève scène d'ouverture, muette et glaçante, promet de tordre le coup aux clichés attachés à ce type de longs métrages.
Tout est dans le regard qu'on porte donc et de regards, il est question dans cet opus, à commencer par ceux de ses formidables actrices, des jeunes femmes qui ont une grosse côte en ce moment chez les directeurs de casting à Hollywood.
D'un côté, Anya Taylor-Joy a fait son trou depuis un petit moment grâce à son éclosion dans The Witch, un film d'épouvante en costumes bien emballé. Le succès a été tel que la comédienne s'est depuis fait une sorte de spécialiste des personnages à l'air ingénu mais au comportement borderline. C'est en quelque sorte la nouvelle Christina Ricci, et peut-être finira-t-elle par figurer au générique d'un Tim Burton. Avec son teint pâle et son jeu minimaliste que concentre ses yeux légèrement en amande, elle capte l'attention avec un minimum d'effets saisissant. Ici, en jeune fille bien comme il faut mais consumée par la haine qu'elle éprouve envers son beau-père (qui le lui rend bien en la traitant comme un parasite qu'il veut à tout prix éloigner - encore un rôle sympa pour Paul Sparks, aussi trouble que dans les séries The Girlfriend Experience et Sweetbitter), elle est renversante.
De l'autre, Olivia Cooke, la sensation du moment à Los Angeles puisqu'elle tient un des premiers rôles du récent Ready Player One, le dernier blockbuster de Steven Spielberg. Mais cette jeune femme navigue aussi dans le cinéma indépendant où ses prestations lui valent des critiques élogieuses pour sa finesse frémissante (This is not a love story où elle incarne une ado atteinte d'un cancer, Katie says goodbye dans l'habit d'une serveuse abusée sexuellement). Avec sa bouille enfantine et ses deux grands yeux ronds, elle ressemble à une actrice du muet, étonnamment expressive même quand elle arbore une moue blasée, indifférente, comme ici. Au début, on est aussi déconcerté que Lily quand elle explique ne plus rien ressentir, mais elle tient la note pendant quasiment cent minutes et impressionne.
Si j'insiste sur l'interprétation, c'est parce que le cinéaste a visiblement bien compris qu'il dirigeait deux Stradivarius qui allaient imprimer leur mélodie et leur rythme à son histoire. Il en ressort que Pur-Sang démarre sagement comme la chronique de deux amies du lycée qui renouent après le drame traversé par l'une (le décès de son père, maintenant remplacé par un beau-père honni) et l'acte monstrueux commis par l'autre (l'euthanasie laborieuse de son cheval).
Puis, insensiblement, le récit vire à l'absurde lorsque, l'air de rien, Amanda suggère de tuer Mark qui gâche la vie de Lily. En basculant dans la comédie criminelle, sans être écrite pour chercher le rire mais en le provoquant justement par l'énormité de l'enjeu, le film devient imparable autant qu'intriguant. La préparation de l'homicide par ces deux gamines froidement résolues aboutit à une suite de moments savoureux, avec d'abord le recrutement d'un petit dealer fanfaron.
Et, là, une émotion étrange, inattendu, hante le propos car Anton Yelchin qui joue Tim tient là son dernier rôle. Ce jeune acteur, prometteur, est mort en 2016 dans des circonstances particulièrement cruelles (il a été écrasé par sa propre voiture dont il n'avait pas suffisamment serré le frein à main dans une pente après en être sorti et s'être trouvé derrière). La chevelure hirsute, la barbe de trois jours, il ressemble de manière troublante à Patrick Dewaere et son interprétation fébrile évoque aussi le français.
Le personnage disparaît vite, pour ne resurgir qu'à la fin, mais Pur-Sang se déroule alors avec une gravité imprévue. Le spectateur sait que les deux filles vont aller au bout de leur funeste projet tout en devinant que celui-ci sera réalisé au prix d'un sacrifice. Cory Finley filme le crime en le laissant hors-champ de façon magistrale en un plan-séquence glaçant. Un choix de mise en scène payant, là où n'importe qui d'autre aurait cédé à l'envie de tout montrer. L'épilogue n'en est que plus perturbant.
Formellement, le long métrage se distingue par une photo incroyablement léchée signée Lyle Vincent, exploitant superbement le décor quasi-unique de la maison où vit Lily, avec des plans longs, composés avec un grand soin. La musique minimaliste et crispante à souhait de Erik Friedlander participe au malaise avec beaucoup d'efficacité aussi.
On entre dans cette histoire avec un sourire amusé en s'attendant à un conte gentiment pervers. On en sort secoué par sa beauté plastique, son intensité dramatique et son interprétation de haut vol. Epatant.
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