dimanche 19 août 2018

PETER PARKER : THE SPECTACULAR SPIDER-MAN #308, de Chip Zdarsky et Chris Bachalo


Il y a parfois de épisodes de comics qui vous frappent en plein coeur car ils réunissent une somme d'élements propices à l'émotion brute. Peter Parker : The Spectacular Spider-Man #308 est de ceux-là, qui se présente d'abord comme un hommage au décès récent (le 29 Juin dernier) de Steve Ditko par Chip Zdarsky et Chris Bachalo. Mais pas seulement...


Flint Marko/l'Homme-Sable erre dans les rues de New York, très malade. Il n'arrive plus à stabiliser son pouvoir et perd littéralement consistance. Pour ne rien arranger, il souffre de troubles mentaux mais reste inoffensif.


Au "Daily Bugle", Peter Parker est rappelé à l'ordre par son rédacteur en chef Robbie Robertson à qui il doit livrer un article scientifique avant dix-huit heures. C'est alors qu'il reçoit un appel téléphonique de J. Jonah Jameson qui l'avertit de la situation de Flint Marko.


Spider-Man rejoint Jameson qui lui indique que l'Homme-Sable a été admis dans un hôpital et qu'il doit aller le chercher pour le livrer à la police. Mais Peter veut d'abord parler à Marko Flint dont il sait qu'il s'est racheté pour ses mauvaises actions.


Dans la chambre de Marko, Peter portant le masque de Spider-Man constate son trouble mental et sa condition physique. L'Homme-Sable lui explique être la proie d'hallucinations étranges où il se trouve dans le futur sur une autre planète et que son corps a l'aspect du verre. Il a déjà consulté des super-vilains scientifiques qui ont diagnostiqué sa mort imminente.


Refusant d'être examiné par des super-héros savants, Marko accepte plutôt l'offre de Spider-man d'aller sur la plage où sa mère l'emmenait quand il était enfant. Là, il avoue sa résignation devant sa fin prochaine avant de littéralement se désintégrer sous les yeux de Peter...

Alors, pourquoi cet épisode est si spécial (et sa suite - et fin - le mois prochain devrait confirmer ce statut) ?

Comme je le disais plus haut, il y a un peu plus d'un mois et demi disparaissait Steve Ditko à qui on doit (avec Stan Lee) la création de Spider-Man et de Sandman (l'Homme-Sable), les deux protagonistes de cette histoire. Rendre hommage par le biais de communiqués de presse ou de tweets à des artistes, c'est très bien. Les saluer en concevant physiquement une BD, c'est encore mieux - un effort véritable en leur honneur. Ainsi, Marvel, grâce à Chip Zdarsky et Chris Bachalo, a bien mieux fait ici que pour le centenaire de Jack Kirby l'an dernier que rien (ou presque) n'est venu fêter.

Ensuite, cet épisode de Peter Parker : The Spectacular Spider-Man, série qui n'a guère brillé depuis sa relance (notamment parce qu'elle manque d'un artiste régulier et d'une spécificité authentique par rapport au titre-phare Amazing Spider-Man), marque le retour de Chris Bachalo, qui s'est fait discret depuis la fin du run de Doctor Strange écrit par Jason Aaron (tout juste a-t-il illustré, avec Scott Hepburn, quelques numéros de Spider-Man vs. Deadpool après). Il faut savoir que le dessinateur, comme il le citait dans la postface du dernier épisode de Dr. Strange, veille sur sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer et, surtout (même si la gradation du malheur est obscène), a récemment perdu sa femme d'un cancer. D'où son retrait.

Assister à son retour avec cette histoire donne à ce come-back un relief particulier puisqu'il y est aussi question de mort et de troubles mentaux (comme des adresses au sort de sa femme et à la condition de sa mère). Et, par ricochet, l'histoire "profite" en quelque sorte de la situation de l'artiste qui travaille le script en sachant particulièrement bien de quoi il relève.

Zdarsky savait-il le poids étonnant que prendrait son récit lorsqu'il l'a imaginé ? Savait-il que Bachalo le dessinerait après les épreuves qu'il a traversées ? Et après la mort de Ditko (qui ne voulait plus attendre parler de Marvel et des créations qu'il avait laissées) ? Quoiqu'il en soit, les circonstances empêchent, lorsqu'on en est informé, d'appréhender cet épisode comme n'importe quel autre. Une douleur sourde, une émotion poignante, une intensité unique le hantent.

Bachalo, en tout cas, a tenu à saluer Ditko en incorporant dans les premières pages, via les troubles psychiques de l'Homme-Sable, des images du maître. Cela a du sens, pas seulement pour la citation mais dans le contexte de l'histoire : Flint Marko se rappelle ses affrontements avec Spider-Man et l'artiste utilise des cases issues des comics originaux de Ditko pour évoquer ce passé.

Grand formaliste, dont le style s'est considérablement éclairci au fil des dernières années, notamment en soignant la colorisation qu'il réalise lui-même, Bachalo présente ainsi des planches où le blanc de la feuille peut occuper une grande partie de la surface. Il s'agit moins de zones non dessinées que d'espace où ce blanc participe aux images qui figurent sur le papier. Dans le cas présent, on a affaire à des fragments, des flashes issus de la mémoire endommagée par les coups et les drogues de Flint Marko. L'effet est saisissant.

Plus loin, dans les dernières pages, Bachalo reprend ce procédé mais pour un but différent : on assiste, aussi médusé que Spider-Man, à la désintégration littérale du Sandman. Comme lui, la planche offre des images qui semblent se décomposer, avec des vignettes de taille variable et le blanc qui gagne à nouveau de la place, comme une vague d'anti-matière.

Entre ces deux séquences, Zdarsky alterne des scènes volontairement neutres, plates, sans effets, avec d'autres, plus étranges, oniriques, hallucinées. Il faut replacer la série dans son contexte : J. Jonah Jameson connaît la double identité de Peter Parker/Spider-Man et cela a failli coûter cher à ce dernier dans Amazing Spider-Man puisque, lors de son dernier arc narratif, Dan Slott met en scène l'enlèvement de J.J.J. par Norman Osborn qui lui soutire cette information. Depuis, Peter et Jonah sont restés en contact, le dernier avertissant le premier de menaces en ville (et l'ayant même accompagné dans une aventure inter-dimensionnelle dans Peter Parker : The Spectacular Spider-Man) - on est loin de l'époque où Jameson jurait la perte de Spidey....

Désormais, donc, Jameson alerte Peter de l'hospitalisation de Marko dans l'espoir que le Tisseur aille l'arrêter. Mais Peter sait que l'Homme-Sable a renoncé à ses activités de malfrat et veut surtout s'enquérir de sa santé. La manière dont Zdarsky décrit sa déchéance et dont Bachalo le dessine, ostensiblement en fin de course, est tout à fait renversante. On a rarement été aussi ému par le spectacle d'un vilain aussi malade. Ces pages sont chargées d'une gravité bouleversante, d'un fatalisme poignant. La scène suivante sur la plage où Marko allait avec sa mère est magnifique, narrativement sobre, graphiquement splendide.

A l'image de sa couverture, absurde, à la fois drôle et inquiétante, et surtout esthétiquement fabuleuse (Bachalo est aussi un cover-artist magistral), le premier volet de ce diptyque est donc exceptionnel. On attend la suite et fin avec impatience, en souhaitant que cette entreprise soit la première marche d'un retour véritable pour Bachalo et pour Zdarsky, dont le départ de la série est imminent, le début d'une belle sortie.   

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