samedi 4 août 2018

THE LEFTOVERS (Saison 3) (HBO) (FINALE)


Arrachée à HBO, cette ultime saison de The Leftovers ne compte que huit épisodes mais Damon Lindelof les a conçus à la fois comme une conclusion digne des deux précédentes et sans doute comme une revanche sur la fin de Lost qui avait tant divisé les fans. Avec Tom Perrotta (et, en majorité, la réalisatrice Mimi Leder), le show a droit à un terme effectivement magnifique qui risque bien de vous tirer des larmes.

 Kevin Garvey, John Murphy, Matt Jamison, Michael Murphy
(Justin Theroux, Kevin Carroll, Christopher Eccleston, Jovan Adepo)

1844. Un pasteur décourage les rituels de trois femmes de sa congrégation pour prévenir un événement céleste qui ne se produira pas.
Aujourd'hui. Un drone de l'armée américaine bombarde le centre d'accueil de Jarden où se sont retranchés les Gulty Remnant (GR) après avoir forcé l'entrée de la ville, désormais en proie au chaos des visiteurs. 
Trois ans plus tard. Kevin Garvey est devenu le chef de la police de Jarden et canalise l'entrée de nouveaux pèlerins dans le parc national de Miracle. Son fils Tommy est son adjoint. Nora Durst a repris son travail au Département des Personnes Disparus. Dean, le chasseur de chiens sauvages de Mapleton, vient prévenir Kevin d'une menace invraisemblable puis cherche à l'abattre, vexé, avant d'être tué par Tommy. Entretemps, Kevin rassure les ouailles de Matt Jamison que l'eau du lac n'a pas été empoisonnée par des manifestants et que les baptêmes peuvent y avoir lieu. Kevin apprend ensuite par Mary Jamison que Matt écrit un Evangile en son nom et lui réclame l'ouvrage.
Vingt ans après. En Australie, une femme élève des colombes qu'elle livre à une nonne. Celle-ci a eu la visite d'un certain Kevin qui cherche après l'éleveuse. Mais elle jure ne connaître personne portant ce prénom. Pourtant il s'agit de Nora.

Nora Durst et Erika Murphy (Carrie Coon et Regina King)

Nora reçoit un appel téléphonique de l'acteur télé Mark Linn-Baker qui lui parle d'une possibilité pour elle de rejoindre ses enfants grâce à une machine conçue par un inventeur et désormais aux mains de ses deux assistantes. Elle refuse d'abord de donner suite à ce qu'elle considère comme une mauvaise farce. Le lendemain, elle roule jusqu'au Kentucky pour voir Lily qu'elle a rendue à sa mère biologique, Christine. A son retour à Jarden dans la soirée, elle a une discussion avec Tommy : elle lui reproche de lui avoir confiée l'enfant pour devoir le restituer ensuite, il lui répond qu'il voulait la donner à son père. Rappelée par Linn-Baker, Nora a rendez-vous à Melbourne pour tenter l'expérience qui lui coûtera 20 000$. Kevin tient à l'accompagner. 

Kevin Garvey Sr. (Scott Glenn)

En Australie, Kevin Garvey Sr. enregistre des chants aborigènes à l'insu des tribus et se fait arrêter puis confisquer son matériel. Il aborde ensuite, par la ruse, un chef tribal, Christopher Sunday, pour qu'il lui apprenne une chanson censée repousser le prochain déluge. La police intervient à nouveau. Kevin Sr. erre dans le bush où un serpent le mord. Il est sauvé par Grace qui lui raconte qu'elle a perdu son mari et ses quatre enfants le "Jour du Grand Départ" il y a sept ans. Elle a noyé le shérif local prénommé Kevin en croyant qu'il s'agissait du Sauveur mentionné sur une page du manuscrit de Matt Jamison en possession de Kevin Sr. Ce dernier lui répond qu'elle s'est trompé d'homme mais qu'il sait comment l'aider.

Nora et Kevin (Carrie Coon et Justin Theroux)

Nora et Kevin arrivent en Australie et s'installent dans un bel hôtel de Melbourne. Nora reçoit un nouvel appel qui lui fixe un rendez-vous immédiat. Kevin, après son départ, croit voir Evie Murphy dans le public d'une émission télé en direct. Il se rend sur les lieux et la suit dans une bibliothèque pour la confronter. Cependant, Nora rencontre les docteurs Bekker et Eden qui lui font passer une batterie d'examens médicaux, lui parlent de leur machine et l'interroge sur ses motivations. Kevin appelle Laurie pour l'avertir qu'il est avec Evie mais en lui envoyant sa photo par téléphone, il comprend qu'il hallucine et rentre à l'hôtel. Nora ne donne pas les réponses attendues par les docteurs qui refusent de l'intégrer à leur programme. Elle rentre à l'hôtel, frustrée, et a une dispute avec Kevin qui lui reproche ne pas faire le deuil de ses enfants. Il s'en va et son père l'attend dehors.

Matt Jamison, Laurie Garvey, John et Michael Murphy
(Chris Eccleston, Amy Brenneman, Kevin Carroll et Javen Adepo)

Convaincu que Kevin doit être présent à Miracle pour le septième anniversaire du "Grand Départ" afin que d'éviter la fin du monde, Matt Jamison veut aller le chercher à Melbourne. Mais les vols pour l'Australie sont suspendus depuis qu'un sous-marin français a largué une bombe nucléaire dans l'océan Pacifique. Grâce à un avion humanitaire, Matt réussit à partir, accompagné par John Murphy, son fils Michael, et sa nouvelle compagne, Laurie. Après avoir atterri en Tasmanie, ils embarquent sur un ferry pour gagner Melbourne. Le voyage est ahurissant : les passagers se livrent à une orgie, l'un d'eux en tue un autre sous les yeux de Matt qui le dénonce au capitaine et cherche à lui tirer des aveux. Au port de Melbourne, le tueur est attendu par la police et Matt avoue à ses amis qu'il est mourant, rattrapé par le cancer qu'il avait eu enfant.  

John et Laurie (Kevin Carroll et Amy Brenneman)

Un an après "le Grand Départ", Laurie tente de se suicider à son cabinet après avoir entendu le témoignage bouleversant d'une femme qui a perdu son bébé ce jour-là. Elle s'en tire mais intègre les GR. 
Aujourd'hui. Laurie est aux côtés de Nora et Matt qu'elle a aidés à retrouver les docteurs Bekker et Eden pour les confondre pour fraude. Lorsqu'ils les suivent jusqu'à des camions contenant leurs équipements, elle les laisse car, appelée par Michael, elle apprend que Kevin est avec son père et John, chez Grace. Dans le ranch de cette dernière, alors que Kevin s'est absenté pour réfléchir, Laurie promet de ne pas les empêcher de convaincre son ex-mari de se noyer pour accéder à l'au-delà et entrer en contact avec Evie, les enfants de Grace, et Christopher Sunday. Une fois Kevin de retour dans la soirée, Laurie, qui a drogué ses hôtes pour pouvoir discuter avec lui une dernière fois, lui fait ses adieux en lui souhaitant bon courage. Enfin, suivant une idée de Nora comme quoi un accident de plongée constitue le plus sûr moyen de se tuer, Laurie tente l'expérience au large de Melbourne après avoir reçu un dernier appel de Jill et Tommy.

L'homme le plus puissant du monde...

Kevin est de retour dans l'au-delà où il tient deux rôles simultanés et opposés : il est à la fois le président des Etats-Unis, issu des GR, et un assassin professionnel chargé de tuer le premier. Patti est la secrétaire à la défense qui veut provoquer une apocalypse nucléaire. Le président ne peut déclencher les tirs de missiles contre la Russie qu'avec une clé implantée dans la poitrine de son jumeau et celui-ci finit par l'autoriser à la prendre pour que, enfin, tous deux n'aient plus à revenir dans cette réalité parallèle. Patti et Kevin président assistent à la fin du monde.
  
"Je suis là maintenant. Je suis là."

Après avoir dit adieu à Matt, Nora entre dans la machine de Bekker et Eden.
Vingt ans plus tard, elle élève donc des colombes dans un coin retiré de l'Australie et les livre à une nonne en vue d'un mariage célébré le soir même. Kevin se présente chez elle mais semble avoir tout oublié de leur vie commune autrefois. Il l'invite au bal donné par les futurs époux. Elle s'y rend à contrecoeur mais avec la volonté de démasquer Kevin. Ils dansent ensemble mais, excédée par la version des faits qu'il lui répète, elle retourne chez elle. Le lendemain matin, Kevin lui avoue se rappeler de tout et l'avoir cherche partout dans le pays depuis ces vingt dernières années. Elle lui explique, devant un thé, ce qu'a été son existence : la machine de Bekker et Eden l'a vraiment transportée dans le monde où se trouvent les 2% de l'humanité disparus vingt-sept ans plus tôt. Mais en apercevant ses enfants et son mari en compagnie d'une autre femme, elle a compris que sa place n'était plus auprès d'eux. Elle a alors cherché l'inventeur de la machine pour qu'il reconstruise son dispositif et la fasse rentrer. Après tout ce temps, elle croyait que Kevin l'aurait oublié et avait renoncé à le rappeler. Il croit à son histoire car elle est là à présent, disposée à revivre avec lui, apaisés.

Jean Cocteau disait du cinéma, que c'était "la mort au travail", et cette sentence a diversement interprétée, pour n'en retenir le plus souvent que l'affirmation la plus funeste, à savoir qu'il s'agissait d'un enregistrement de la mort à l'oeuvre, de l'impression sur la pellicule du temps passé par les acteurs à vivre la vie de personnages fictifs au lieu de la leur.

Pourtant, cette "mort au travail" garantit à ceux qui s'y abandonnaient une vie éternelle car la pellicule immortalisait les acteurs. Grâce aux histoires captées par la caméra et les personnages qu'ils ont incarnés, les acteurs survivent après leur décès. On garde leur image en mouvement comme s'ils étaient encore de ce monde.

Avec la production des séries télé, cela amplifie ce statut car les acteurs filmés non seulement sont immortalisés sur la pellicule mais on peut les voir littéralement vieillir avec leurs rôles au fil des saisons durant lesquelles ils interprètent leurs personnages. Certains jouent même dans des feuilletons sur plusieurs décennies, et leur jeunesse, leur maturité et leur vieillesse sont enregistrées par la caméra. Parfois même certains meurent carrément avant le terme de la série dans laquelle ils jouent - et le show continue sans eux, tel "un train filant dans la nuit" pour citer François Truffaut cette fois.

Si j'ouvre cette critique par ce crochet, c'est parce que c'est précisément ce que donne à voir, à ressentir, cette troisième et dernière saison de The Leftovers : ce passage enregistré du temps, sa réflexion narrative, son esthétique cruelle et poignante.

Trois saisons, vingt-huit épisodes, on a vu plus long en termes d'investissement, d'engagement pour des acteurs, des showrunners, et l'aventure d'une poignée de personnages. Mais la densité du récit, soulignée par la compression de cette ultime année de production, renforce le sentiment de voir "la mort au travail" ou, plus positivement, la vie imprimée.

Damon Lindelof et Tom Perrotta savaient en rédigeant ces chapitres qu'ils seraient les derniers et qu'ils devraient aboutir à une conclusion digne. Lindelof supportait qui plus est la pression de ne pas répéter ce qu'il avait osé avec Lost, dont le terme avait divisé le public (et continue d'alimenter les débats de fans). On assistera donc à une sorte de tournée d'adieux en bonne et due forme, mais pas forcément à une collection de réponses définitives aux énigmes du show. Il y a des explications, nettes, formulées, exprimées, mais comme The Leftovers est une série bâtie sur la croyance, la foi (ou non) en ce qui est prononcé, le téléspectateur garde la liberté d'adhérer ou non aux explications fournies. Et les auteurs s'amusent jusqu'au bout à brouiller les pistes pour laisser toutes les interprétations possibles.

Le cas le plus frappant concerne le personnage de Laurie (à qui Amy Brenneman donne une sorte de fatalisme tranquille sidérant) : le sixième épisode lui est consacrée, elle en est la vedette. On apprend enfin dans quelles circonstances elle intégra les Guilty Remnant, puis comment elle permet à Nora de pister des scientifiques prétendant qu'ils peuvent réunir les survivants et les disparus du "Grand Départ", et enfin elle fait ses adieux à Kevin sur le point d'exaucer un souhait dangereux émis par des proches. L'épisode se conclut par ce qui ressemble à un suicide (inspirée par une idée de Nora d'ailleurs).

C'est bien entendu saisissant et triste. Jusqu'à ce qu'on découvre dans le huitième épisode, dont l'action se situe vingt ans plus tard, que Nora est restée en contact avec Laurie depuis tout ce temps, poursuivant une longue et étonnante psychothérapie par téléphone entre les Etats-Unis et l'Australie... Laurie n'a donc pas mis fin à ses jours, elle s'occupe désormais de l'enfant de sa fille Jill.

Toute la saison joue ainsi avec ce que le téléspectateur considère comme acquis... Et que Lindelof et Perrotta démentent rarement - la seule exception est la mort de Matt Jamison qui n'a donc pas réussi à vaincre la récidive tardive de son cancer et a eu droit à des funérailles impressionnantes à Jarden, comme le racontera Kevin à Nora bien des années après.

Mais sinon, tout est faux-semblants, illusions, sujets au doute. La chanson censée empêcher le déluge ? Elle n'existe pas. Evie survivante et cachée à Melbourne ? Une hallucination. L'Homme le plus puissant du monde (et son jumeau identique), selon le titre du septième épisode ? Une dernière visite dans un au-delà délirant et absurde, le purgatoire de Kevin.

A l'image du prologue du premier épisode de cette saison (au moins aussi improbable et pourtant synthétique que celui dans la Préhistoire au début de la saison 2), c'est comme si la série déjouait les fins du monde qu'elle annonce ensuite au même titre qu'en 1844 cette femme dévote, croyant à un événement céleste, renonce à l'attendre, lâchée par ses amies, son mari, moquée par les autres habitants, découragée par un pasteur pugnace.

Avant d'en venir à la fin proprement dite, il faut que je répare un oubli des précédentes critiques consacrées à la série en évoquant la musique de The Leftovers. Max Richter a composé un splendide thème au piano qui traverse les trois saisons (accompagnant même, dans une version orchestrée, le générique de la première année). Puis il y a eu la rengaine country à la fois entraînante et mélancolique de la saison 2, mais la bande-son faisait déjà la part belle à des chansons en relation directe avec l'histoire (le Where is my mind ? des Pixies devenant la traduction littérale des tourments de Kevin, et une reprise karaoké de Homeward bound de Simon & Garfunkel résumant son lien avec Nora). La saison 3, où l'équipe créative s'est complètement lâchée puisque de toute façon il n'y avait plus rien à perdre (les gens devant leur poste avaient zappé depuis longtemps, HBO avait annoncé l'annulation du show), attribue une chanson différente au générique de chaque épisode et multiplie les titres musicaux dans chaque chapitre (du rap en passant par du lounge et même Charles Aznavour à deux reprises dans l'épisode 5 !). Cette série ne fait rien comme les autres, mais elle ne le fait jamais gratuitement.

Et nous voilà arrivés au Livre de Nora, titre du dernier épisode de la saison 3. Bien finir donc, voilà le grand challenge imposé à Damon Lindelof. Et quel superbe dénouement. Le monologue, long et renversant, de Carrie Coon/Nora est un morceau de bravoure et un geste de mise en scène insensé : au lieu de nous montrer la terre parallèle où les 2% de la population mondiale ont disparu vingt-sept ans auparavant, tout passe par les mots de l'héroïne. Son récit est fabuleux et improbable, mais, même vieillie par un maquillage à la fois marqué et épatant, l'actrice nous saisit pendant de longues minutes, la caméra ne quittant pas son visage, enregistrant les intonations subtiles de sa voix, ses expressions les plus délicates. Rien que pour ce moment-là, fou, intense, beau, lumineux, poignant, fantastique, Carrie Coon aurait mérité un Emmy.

Face à elle, Justin Theroux traverse la saison de manière tout aussi incroyable, désemparé, implacable, dévasté, amoureux fou, bouleversé. Quel couple il aura formé avec sa partenaire (au moins aussi mémorable - et tout aussi injustement boudé par les récompenses - que le duo Keri Russell-Mathew Rhys dans The Americans).

Il faudrait aussi saluer les prestations extraordinaires de Scott Glenn et Christopher Eccleston. The Leftovers aura réuni une troupe de comédiens de premier ordre, totalement investis.

On mesure aussi la qualité d'une série au fait que ses héros vont nous manquer. En vérité, on peut même affirmer que c'est ce qui compte le plus, s'être attachés comme à de "vrais gens" à des créatures imaginaires dans ses histoires farfelues. C'est dire si cette série est spéciale et qu'elle ne sera pas remplacée.   

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