mardi 7 août 2018

SWEETBITTER (Saison 1) (Starz)



La première saison de Sweetbitter diffusée cette année par la chaîne Starz ne compte que six épisodes d'une trentaine de minutes chacun, mais son bon accueil critique et public a suffi pour qu'elle soit renouvelée. Il s'agit de l'adaptation du roman éponyme par son auteur, Stephanie Danler, qui a notamment tapé dans l'oeil de Brad Pitt (via sa société de production Plan B), avec en vedette la jeune Ella Purnell, remarquée dans Mrs Peregrine et les enfants particuliers (Tim Burton, 2016). Si vous avez trois heures de libre, essayez cette série.

 Tess (Ella Purnell)

Tess est une jeune femme âgée de vingt-deux ans qui a quitté sa ville natale de Dayton, Ohio, pour tenter sa chance à New York. Sans ami sur place ni ambition particulière, elle doit quand même trouver rapidement un toit et un emploi et vend sa voiture. Tess trouve un appartement en co-location avec un garçon qui travaille dans la finance (mais qui est toujours absent). Puis elle postule dans plusieurs restaurants pour décrocher une place de serveuse. L'un d'eux, dirigé par Howard, accepte de la prendre à l'essai pour la semaine et elle intègre le personnel qu'elle observe pour se hisser au niveau des exigences de cet établissement raffiné.

Tess et Simone (Ella Purnell et Caitlin Fitzgerald)

Le soir de sa première journée au restaurant, en voulant s'acheter un casse-croûte dehors, Tess s'aperçoit qu'elle a égaré son portefeuille et retourne sur ses pas. Elle découvre alors que le personnel boit après le service pour se détendre. Tess en profite pour aborder la charismatique chef de rang, Simone, dont la sophistication et les connaissances oenologiques l'impressionnent. Elle commence à l'initier à la dégustation du vin, sous le regard du séduisant et ombrageux barman, Jake, et convient de la revoir pour d'autres leçons. La soirée se termine avec les autres employés au "Home Bar", un bistrot à l'ambiance nettement plus relâchée.

Jake et Tess (Tom Sturridge et Ella Purnell)

Le lendemain, après une nuit bien arrosée, Tess reprend sa place et, le soir venu, fait la connaissance de Serena en compagnie de son époux qu'elle doit servir comme des clients prestigieux. Elle comprend vite que Serena et Simone furent d'excellentes amies et toutes deux serveuses dans le restaurant avant que la première ne se marrie avec cet excellent parti. En surprenant les deux femmes en train de se disputer dans la cave, Tess saisit que, pour Simone, Serena a choisi la facilité pour échapper au dur labeur du service. Pourtant il apparaît à Tess que Serena a fait le bon choix mais Simone, en discutant avec elle, l'avertit qu'il faut se méfier des apparences : Serena est anorexique et Jake, le barman dont s'est éprise Tess mais avec qui a grandi Simone, est dangereux. Tess finit la nuit avec Will, un commis-serveur, qui la courtise depuis son arrivée.

Simone (Caitlin Fitzgerald)

Pour son premier jour de congé, Tess décide de passer sans prévenir chez Simone afin qu'elle lui prête, comme promis, des livres d'oenologie. Surprise dans son intimité, moins sophistiquée qu'au restaurant, Simone accueille pourtant Tess sans manières et passe la journée avec elle, partageant le déjeuner avec elle. Un coursier livre un bouquet de fleurs à Simone qui le détruit avec Tess après lui avoir expliqué qu'il s'agit d'un cadeau d'un admirateur mais qu'elle refuse de se laisser acheter. Un malaise s'installe et Tess s'éclipse. Après un détour chez elle, elle va au restaurant pour accompagner ses collègues au "Home Bar".

Tess et Sasha (Ella Purnell et Daniyar)

La fête se prolonge toute cette nuit-là et, pour tromper son ennui, Tess abuse de l'alcool et se drogue. Sasha, qui travaille en cuisine, la prend sous son aile et l'entraîne dans sa débauche. Tess repousse Will après une ultime étreinte dans les toilettes. Sasha bascule d'un balcon et Tess appelle les Secours. A l'hôpital, il s'en sort avec quelques fractures bénignes mais refuse d'avouer si c'était un accident ou une tentative de suicide parce qu'il redoute de perdre sa place et donc son titre de séjour. Tess lui confesse sa déception d'avoir attendu toute la nuit Jake dont elle amoureuse tout en ayant la désagréable sensation que lui et Simone veulent la manipuler.

Simone et Howard (Caitlin Fitzgerald et Paul Sparks)

Après cette nuit agitée, Tess n'est pas dans les meilleurs conditions pour passer son test d'embauche. Elle révise rapidement chez elle et remplit un questionnaire, surveillée par Will et hantée par Jake et Simone. Puis elle entame son service. Stressée, elle chute dans un escalier après avoir débarrassé une table. Dans le bureau de Howard où se trouvent aussi Will et Simone, elle les rassure et retourne travailler. Will communique son évaluation à Howard, estimant que Tess n'a pas le niveau mais beaucoup de détermination et un bon contact avec les clients. Seule avec Howard, Simone considère que Tess ne peut pas rester mais défend Jake, qui a refusé de servir le mari de Serena. Tandis que Tess, aux vestiaires, est convaincue qu'elle va être renvoyée, contre toute attente, Simone lui annonce qu'elle est engagée.

La série, telle qu'elle est développée dans sa première saison, se démarque sensiblement du roman mais c'est naturel car Stephanie Danler, qui est la showrunner, n'a certainement pas voulu raconter exactement la même histoire. I fallait à la fois compresser l'intrigue en six épisodes de trente minutes et en garder sous le pied pour une possible suite (qui a été confirmée entre temps).

Le cadre est original et constitue la première attraction. Pourtant, un restaurant apparaît comme un décor parfait pour développer une série, c'est un microcosme fascinant à étudier avec ce qui se passe en cuisine et en salle, sa hiérarchie, la diversité de ses employés, la pression inhérente aux fonctions exercées. Et puis, de manière plus ironique, on observera que, dans bien des établissements semblables (ou moins prestigieux), beaucoup de serveurs rêvent à Los Angeles de faire carrière dans le cinéma alors que Sweetbitter met en scène des acteurs dans des rôles de serveurs.

Le scénario se déroule quasiment en temps réel, il arrive fréquemment qu'un épisode débute là où le précédent se terminait, donnant à l'ensemble une grande fluidité mais aussi une étonnante densité. Très vite, à travers les yeux de Tess, on assiste à son initiation mais aussi à la vie de cette communauté représentée par le personnel du restaurant. Chaque personnage est fouillé et révèle ses secrets progressivement, même si le récit se concentre sur Will, Sasha, Jake, Simone et Howard en dehors de Tess.

On ne donne pas cher de l'héroïne au début quand elle débarque à New York et court les établissements avec un mélange de candeur, d'émerveillement et de culot. Il lui en faudra pour convaincre Howard de la prendre à l'essai dans un restaurant au luxe évident mais sans ostentation. Le lieu est feutré mais abrite des tensions propres à ce genre d'endroit. Tess est littéralement happée par le bourdonnement de cette ruche où elle doit passer d'une commande à la plonge en passant par le service.

Tout est rapporté de manière simple et directe : comment porter trois assiettes chaudes sans les faire tomber ni se brûler ? Comment déguster un vin et le marier à un plat ? Comment ménager la concurrence sans perdre son intégrité ? La série ne perd pas de temps et épouse le rythme de la salle et l'arrière-salle pour nous présenter cette succession d'étapes à négocier. En leur centre se trouvent les deux personnages les plus charismatiques de la série : la vénéneuse Simone et son quasi-demi-frère, le barman Jake.

En apparence, Simone incarne pour Tess un modèle de perfection. Impeccable au service, dotée de connaissances oenologiques remarquables, d'une élégance sans failles, son self control n'est jamais pris en défaut. A l'opposé, Jake est un jeune homme ombrageux, peu aimable, mais charmeur. Tess tombe évidemment sous son charme, sans se l'avouer (c'est l'aspect le plus convenu, prévisible, de la série), sans que cette attirance dépasse un baiser fougueux un soir après le boulot. Simone devine rapidement ce qui se joue entre Tess et Jake et met en garde la première sur la dangerosité du second à l'occasion d'un échange troublant sur les apparences trompeuses (lorsque Serena, son ex-rivale et meilleure amie, désormais femme d'un riche client, qu'on soupçonne de courtiser aussi Simone, vient dîner au restaurant).

Sweetbitter se traduit par "doux-amer" et désigne deux des quatre goûts qu'un vin peut avoir sur la langue, mais aussi, par extension, le sentiment qui se dégage de cette intrigue. Tess, jeune fille seule dans la grande ville dont elle a rêvée et qui découvre qu'elle veut vraiment travailler dans le milieu de la restauration, malgré les sacrifices, les efforts que cela imposent, appréhende aussi, en formation accélérée, la sensibilité douce-amère de l'existence qu'elle mène. Le plus souvent, cela se traduit par des désillusions, la perte des repères, l'insatisfaction, la frustration, la peur, et elle subit davantage l'action qu'elle ne la maîtrise - comme lorsqu'elle secoure Sasha après sa chute (accidentelle ou volontaire ?).

Prise dans un triangle sentimental (car l'attitude de Simone est ambiguë au possible - à la fin, on découvre qu'elle souhaite visiblement le renvoi de Tess pour que Howard ne licencie pas Jake, responsable d'un écart de conduite avec le mari de Serena), devant assumer son comportement injuste avec Will (son éphémère amant, qui pourtant prendra son parti lors de son évaluation), et découvrant sa vocation dans la douleur et le doute, Tess a de la chance mais aussi de la détermination, à défaut de bonheur.

Pour l'interpréter, la production a été bien inspirée de distribuer le rôle à Ella Purnell, qu'on avait remarquée en 2016 chez Tim Burton (dans Mrs Peregrine et les enfants particuliers - bien qu'il arborait une perruque blonde... Référence à Winona Ryder dans Edward aux mains d'argent du même cinéaste ?). Depuis, la comédienne s'était faite discrète mais la télé lui offre une belle partition où son jeu sensible, nuancé, et son charme sensuel, porté par ce regard marron incroyable, font merveille.

Face à l'élégance royale et ensorcelante de Caitlin Fitzgerald (de retour dans une show après sa prestation dans Masters of sex), elle brille par sa complémentarité avec sa partenaire. Tom Sturridge n'a pas à forcer le trait pour camper le séduisant barman ténébreux qui la fait chavirer. Et Paul Sparks (vu dans la première saison de The Girlfriend Experience) est excellent en patron distingué, à la fois bienveillant et pointilleux. Enfin, Daniyar est parfait en âme damnée qui prend l'héroïne sous son aile.

A première vue, Sweetbitter ne paie pas de mine (même si, comme d'autres séries sur Starz - cf. Magic City - , elle a un côté classieux indéniable), mais s'avère accrocheur et bien sentie. Espérons que la suite ne se fasse pas attendre et propose un peu plus d'épisodes pour que l'histoire ait davantage d'espace.   

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