On arrive déjà à la moitié de l'histoire avec ce troisième numéro de The Magic Order, et ce mois-ci, Mark Millar et Olivier Coipel frappe un grand coup, comme pour marquer un tournant décisif dans la série. Plus rien, vraiment, ne sera comme avant.
La mort de plusieurs sorciers majeurs de l'Ordre Magique, le vol d'artefacts rares et puissants, mobilisent Regan et Cordelia Moonstone pour traquer tous les renégats possiblement associés à Mme Albany et ses acolytes. C'est ainsi que, à New York, ils coincent Rufus et apprennent que le bras armé de leur adversaire est le Vénitien, un tueur intraçable .
De son côté, Leonard Moonstone, le patriarche, rend visite à Gabriel, son autre fils, qui s'est détaché du milieu des arts occultes pour vivre en banlieue avec sa femme depuis que la magie a tué sa fille Rosetta. Il refuse d'aider la communauté, estimant que Mme Albany ne le retrouvera pas. Mais il promet néanmoins à son père de rester sur ses gardes.
Dans le Royaume Noir où elle a son repaire, Mme Albany, justement, explique à son bras droit, Lord Cornwall, pourquoi elle veut récupérer l'Orichalcum, ce grimoire renfermant les sorts les plus dangereux, dont elle croyait hériter. Il ne s'agit pas de plonger la Terre dans les ténèbres mais de prouver aux magiciens qu'elle est plus digne qu'eux de le posséder.
Au Coliseum Theather, Leonard Moonstone donne sa dernière représentation et requiert la présence d'un volontaire dans le public pour son numéro. Le Vénitien se lève, invisible aux autres spectateurs que Leonard fait disparaître. Le combat s'engage.
Mais il est inégal et remporté par le partenaire de Mme Albany, qui assiste à la victoire de son champion depuis le balcon. C'est un tel massacre que même Cordelia ressent la mort de son père à distance.
Tuer un personnage principal à la mi-temps d'une histoire est un sacré geste de la part d'un scénariste, mais Mark Millar est coutumier de ce genre de manoeuvre pour tenir en éveil ses lecteurs, leur rappeler que nul n'est à l'abri, que le (la, en l'occurrence) méchant(e) de l'affaire est puissante, redoutable, représente une vraie menace.
Mais la mort de Leonard Moonstone n'est pas qu'une opération visant à choquer facilement. C'est une auto-citation à peine voilée de Millar à une de ses précédentes productions du "Millarworl", en l'occurrence Jupiter's Legacy dont The Magic Order serait une version transposée dans le milieu des sorciers. Et j'emploie le mot de "milieu" à dessein car cette intrigue sur fond de règlements de comptes évoque bien les récits de mafia, façon Le Parrain ou Les Soprano.
Revenons à la fin de Leonard et à la référence à Jupiter's Legacy. En se débarrassant du vieux magicien, Millar laisse désormais ses enfants en première ligne. Depuis le début de la série, les anciens ont été les premières victimes de la vendetta menée par Mme Albany, sans doute parce qu'ils représentent l'autorité qu'elle défie mais aussi une forme de magie traditionnelle, avec des règles, un code de l'honneur, qu'elle transgresse.
Lorsque Leonard rend visite à son fils Gabriel, qui ne veut plus entendre parler d'arts occultes depuis que cela a tué sa fille Rosetta, il lui avoue les espoirs placés en lui et donc son statut de favori parce que son autre fils, Regan, et sa fille, Cordelia, manquent de discipline et de valeurs. Ces deux-là n'ont pas fondé de famille et n'ont pas souffert pour être ce qu'ils sont, tandis que Gabriel, même s'il s'est éloigné de la communauté magique, est plus responsable et rigoureux.
Cette mutation générationnelle était déjà au coeur de Jupiter's Legacy où les enfants des super-héros menaient une existence dissolue jusqu'à ce que l'un décide de tuer le père (au propre comme au figuré) et que l'autre tente de se ranger (avant de mener la riposte au nouvel ordre). Nous verrons qui de Regan, Cordelia ou même Gabriel sera le plus à même de sauver l'Ordre Magique, et par là même de perpétuer l'oeuvre des anciens (préserver la communauté des mages mais aussi protéger la Terre des forces obscures). La suite s'annonce d'autant plus accrocheuse et épique que Mme Albany se pose elle aussi en héritière mais s'estime flouée et révèle que son objectif n'est pas tant de semer le chaos que de récupérer ce qui lui revient (d'après elle) et de prouver à ses semblables qu'elle était digne d'être leur leader.
Au moment donc où toutes les cartes sont rebattues, il fallait à Olivier Coipel toute son inspiration pour illustrer ce virage avec l'efficacité requise. Et le français, magiquement il faut le dire car on ne l'avait plus vu en pareille condition depuis des lustres, réalise des planches extraordinaires une nouvelle fois, en respectant le rythme mensuel.
Soyons honnêtes, personne n'y croyait puisque, à la fin de son séjour chez Marvel, Coipel, baladé de sagas événementielles en mini-séries vendues sur son nom, ne tenait plus les cadences. Il était encore capable de fulgurances, mais on le sentait à la fois essoré par les exigences de ces events où il devait animer des dizaines de personnages et frustré par l'impossibilité de cumuler dessin et encrage pour produire des images de plus en plus personnelles et soignées à la fois.
A présent, examinons les pages qu'il a exécutées pour The Magic Order et pour cet épisode en particulier et apprécions leur générosité visuelle. Non seulement, Coipel modèle les volumes, ouvrage les textures, soigne les ombres et lumières, imagine des compositions audacieuses, mais il le fait sans rien céder. Désormais maître de son trait qu'il encre seul, et soutenu par l'excellent Dave Stewart aux couleurs, il produit un graphisme peut-être moins propre, moins lisse, mais aussi plus puissant, intense.
Le découpage est très pensé, c'est une autre nouveauté chez Coipel qui s'est parfois égaré dans cet exercice. Il ne révolutionne pas non plus le flux de la lecture mais emploie des astuces très fines et abouties, comme cette case partagée en deux où Leonard de dos est face à son public puis le fait disparaître. Le regard du lecteur est guidé par le mouvement de la baguette magique (de gauche à droite). La bande suivante, Leonard se fend d'une espèce de "dab" (ce geste familier aux footballeurs, avec l'avant-bras replié devant le visage), sa baguette dans la main droite dirigée sur la droite du plan. La dernière bande, occupant toute la largeur de la page, en légère plongée, montre Leonard engageant son duel contre le Vénitien (hors champ) en rabattant sa baguette magique, baissée sur la gauche. Ce mouvement de zig-zag est superbement dynamique, et sa fluidité résume toute la lecture de l'épisode où chaque angle de vue raconte et complète le dialogue en soulignant le sentiment, l'émotion de personnages.
La dernière page, terrifiante de violence, dit elle aussi tout sur le palier franchi dans ce chapitre et le prochain acte qui s'annonce. La guerre vient de faire une nouvelle victime, de premier ordre : il ne s'agit plus pour les survivants de réagir, mais de contre-attaquer. Qui ne veut pas assister à ce spectacle ?
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