samedi 2 septembre 2023

Un petit peu trop de pas de côté pour la saison 3 de KILLING EVE


Diffusée en 2020, la saison 3 de Killing Eve est en deçà des précédentes. La faute à l'absence d'un(e) showrunner ? Ce n'est pas mauvais pour autant, loin s'en faut, mais il faut bien constater que l'intrigue est plus décousue, et que la belle mécanique de la série se grippe parfois, avec un casting trop fourni.


Six mois se sont écoulés depuis les événements de Rome. Villanelle s'est installée en Espagne où elle est sur le point de se marier. Mais une vieille connaissance, Dasha, qui fut sa formatrice, resurgit pour lui demander de revenir travailler pour les Douze. En échange Villanelle exige une promotion. Cependant au MI6, Paul Bradwell devient le superviseur de Carolyn Martens tandis que Eve Polastri a quitté le service pour travailler dans un restaurant coréen et veiller sur Niko, en maison de repos. Kenny, le fils de Carolyn, est devenu journaliste et continue d'enquêter sur les Douze. Mais Eve le retrouve mort.


Eve refuse de croire à l'hypothèse du suicide de Kenny et elle est abordée par Jamie, le patron du jeune homme, lors des funérailles, qui veut également découvrir la vérité. Comme elle a récupéré son téléphone mais qu'elle n'arrive pas à le déverrouiller, elle accepte de collaborer. Carolyn sollicite aussi Eve, convaincue que Villanelle a tué son fils, mais celle-ci préfère mener son enquête indépendamment, tout en tenant au courant son ex-patronne. Pour prouver sa loyauté aux Douze, Villanelle accepte de former un jeune tueur, Felix, mais c'est une catastrophe et elle est obligée de l'éliminer. Konstantin lui révèle ensuite que Eve est toujours en vie.
 

Jamie et son équipe ont trouvé dans le téléphone et l'ordinateur de Kenny des éléments se rapportant à un compte en banque en Suisse qui a été vidé de plusieurs millions d'Euros. Eve pense qu'il s'agit de fons dérobés aux Douze. Elle en informe Carolyn qui connait un certain Charles Kruger, ancien espion du KGB, possible comptable des Douze. Mais Villanelle le tue avant qu'elle n'ait le temps de l'interroger.
 

Konstantion rencontre la veuve de Kruger qui lui remet un fichier informatique de son mari, possiblement en relation avec l'argent siphonné en Suisse, puis Villanelle la tue. Niko Polastri quitte la maison de repos sans prévenir Eve et part en Pologne se ressourcer. Dasha le suit et le blesse gravement en voyant débarquer peu après Eve. Elle laisse un indice faisant croire qu'il s'agit d'une exécution signée Villanelle. Pour récompenser cette dernière, comme elle le lui avait demandé, Konstantion lui donne l'adresse de sa famille en Russie, qu'elle n'a pas revue depuis son enfance quand sa mère l'a confiée à un orphelinat.


Villanelle arrive en Russie et renoue avec ses deux frères cadets, Pyotr et Borka, mais leur mère, Tatiana, lui réserve un accueil d'abord ému puis plus distant. La fille exige de savoir pourquoi elle a été abandonnée alors que son père l'adorait. Mais sa mère avait deviné la noirceur de son âme, alors qu'elle n'était qu'une enfant. Villanelle, bouleversée, tue Tatiana et met le feu à sa maison, mais épargne ses deux frères à qui elle laisse de l'argent pour qu'ils partent refaire leur vie ailleurs.


De retour de son périple, Villanelle n'est plus la même quand elle rencontre enfin Hélène, une cadre des Douze, qui lui accorde la promotion qu'elle exigeait. Toutefois, c'est la déception qui domine quand elle lui confie l'assassinat d'un politicien roumain alors qu'elle espérait dorénavant déléguer cette besogne. Elle revient vers Konstantin qui a le projet de tout plaquer pour partir à Cuba avec sa fille Irina grâce à l'argent suisse qu'il a récupéré. Niko a survécu à ses blessures mais ne veut plus voir Eve qui sait toutefois que ce n'est pas Villanelle qui s'en est pris à lui. Cette dernière ayant exécuté son dernier contrat est retrouvée chez elle, blessée, par Dasha, à qui elle confie ne plus vouloir continuer.


Hélène envoie Dasha et Villanelle à Aberdeen pour un nouveau contrat. Eve, qui a reçu un gâteau pour son anniversaire de la part de Villanelle, la traque. Mais elle arrive trop tard après qu'elle ait laissé Dasha pour morte. Konstantin est rejoint à la gare par Villanelle à qui il veut payer son ticket de sortie. Mais quand elle refuse de partir sans lui, il a un malaise cardiaque et elle l'abandonne. Eve arrive peu après et appelle les secours tout en voyant Villanelle s'éloigner dans le train. Konstantin reprend connaissance à l'hôpital dans le lit voisin de celui où se trouve Dasha, hilare devant cette situation.


Villanelle offre ses services à Crolyn qui les refuse à moins qu'elle ne lui donne l'identité de l'assassin de Kenny. Hélène fait tuer Mo, l'assistant de Carolyn qui l'avait chargé d'enquêter sur Paul Bradwell. Konstantion quitte l'hôpital contre avis médical après avoir échangé une dernière fois avec Dasha, qui succombe à ses blessures. Convoqué, il se rend chez Bradwell mais tombe sur Carolyn qui le tient en joue. Eve puis Villanelle apparaissent à leur tour. Konstantin explique n'avoir pas tué/fait tué Kenny car il voulait le recruter pour les Douze. Carolyn exécute Bradwell, trahi par ce qu'avait découvert, puis déclare à Eve que le dossier des Douze est clos. Eve part, rejointe par Villanelle mais elles conviennent de ne plus se revoir. Pourtant, après s'être éloignées l'une de l'autre sur un pont, elles se retournent et se regardent sans un mot.

Jusqu'à présent, Killing Eve, c'était une série sur deux femmes que tout oppose (caractère, profession, objectif) mais qui sont attirées l'une par l'autre tels des aimants. Il y avait entre elles une évidente tension sexuelle mais qui ne se concrétisait que symboliquement (le coup de couteau infligée à Villanelle par Eve à la fin de la saison 1 figurait une pénétration évidente, le coup de feu dans le dos de Eve tiré par Villanelle en était une autre).

Après deux saisons, la boucle était en quelque sorte bouclée, même si ces huit nouveaux épisodes, diffusés en 2020, semblait indiquer une sorte de belle dans cette partie entre Eros et Thanatos. D'une certaine manière, c'est le cas, et la fin du dernier épisode ferait un dénouement parfait. On verra ce qu'il en est dans la quatrième et dernière salve.

Mais quelque chose a déraillé. Non pas que cette saison 3 ne comble pas le fan de Eve Polastri et Villanelle. Elle contient suffisamment de bons moments, de bonnes idées, de surprises, et de nuances, pour ne pas souffrir de la comparaison avec ses devancières. Toutefois, pour la première fois, il y a des longueurs, des choses un peu inutiles, moins de fluidité, une intrigue qui s'effiloche à force de courir plusieurs lièvres à la fois.

En somme, Killing Eve se perd en ayant voulu enrichir son arrière-plan. L'originalité, l'audace de la série reposait en grande partie sur cette espèce de minimalisme : deux femmes, leurs chassé-croisé permanent, la mort et le désir, le danger. A partir du moment où d'autres personnages prennent plus du place, c'est au détriment de Eve et Villanelle.

Pourtant, ça part sur les chapeaux de roues avec le sacrifice d'un personnage, certes en retrait, mais attachant. Cet événement sert de déclencheur pour Eve, qui a quitté le MI6 mais rempile pour découvrir la vérité sur cette mort. Inévitablement, elle comme nous savons que cela va l'emmener à croiser de nouveau Villanelle, quand bien même on sait aussi que ce n'est pas cette dernière qui a tué Kenny. Et le vrai drame, en fin de compte, c'est que, les épisodes se succédant, on finit par ne plus se préoccuper de qui a tué ce pauvre garçon. D'ailleurs, ce n'est pas même explicité à la fin. Un comble : tout ça pour ça.

Villanelle, encore une fois, est celle qui évolue le plus. On la sent lassée de sa vie, de son activité criminelle. Au tout début, elle s'apprête même à se marier. Le retour de sa formatrice la ramène à sa carrière mais elle négocie une promotion. Toutefois, c'est une motivation artificielle : on devine qu'elle réclame cela pour ne pas donner le sentiment de céder trop vite à la demande de son mentor de revenir dans le circuit. Au fond, elle n'est pas du tout faite pour devenir une gardienne (puisque c'est le titre que donnent les Douze à d'anciennes tueuses qui doivent entraîner leurs successeurs) : elle éliminera, excédée, ses deux élèves.

Mais une bascule s'opère nettement lors du cinquième épisode de la saison, à l'occasion d'un retour sur ses terres natales, dans sa famille, au contact de deux frères qui apprécient de faire sa connaissance et d'une mère qui n'a jamais voulu d'elle, ni aujourd'hui, ni hier (elle l'a d'ailleurs abandonnée quand elle était enfant car elle avait deviné sa psychopathie). Dans une confrontation intense, Villanelle commet l'irréparable. Et elle ne s'en remettra pas : quand elle devra à nouveau tuer, elle est blessée par l'homme qu'elle élimine, comme une débutante, puis elle avouera à sa formatrice ne plus vouloir (comprendre : ne plus pouvoir) faire ça. "Jai tué dans de personnes..." 

Eve, elle, est dépeinte comme quelqu'un qui a également tout perdu, même si elle s'obstine à ne pas l'admettre pour certaines choses (comme son mari). Elle ne tient plus que par son désir de débusquer le tuer de Kenny, sa volonté de démanteler les Douze. Lorsque sa patronne lui dit que qu'il faut parfois laisser tomber, elle sursaute, indignée. Mais son obsession pour Villanelle n'est plus son unique moteur. De fait leur relation évolue : il n'est plus question d'attirance, mais plutôt d'une sorte de paix armée, de paix des braves. Ce sont moins des mantes potentielles que des soeurs en perdition. D'ailleurs, toutes les femmes dans cette saison - Carolyn Martens, Eve, Villanelle, la copine de Kenny, l'apprentie tueuse que Hélène confie à Villanelle - sont comme des funambules, en équilibre précaire, sur le point de chuter. C'est une peu "Regarde les femmes tomber" (pour paraphraser le titre du premier film de Jacques Audiard).

Malheureusement, tout ça est un peu noyé par les tribulations de Dasha ou Konstantin, voire Paul Bradwell (qui est le traître idéal mais trop convenu). Tout ce qui a trait à eux alourdit la série, ralentit la saison. Les effets comiques sont trop mécaniques (les répliques vachardes de Dasha, les nombreuses fois où Konstantin rentre chez lui et trouve quelqu'un qui l'attend dans le noir - autant de préludes à sa crise cardiaque). Ce sont des seconds rôles mais à qui, visiblement; les auteurs ont voulu donner plus de place, et à vrai dire : trop de place. Si Carolyn Martens a droit à ce traitement, c'est justifié puisqu'elle est la mère de Kenny, la patronne de Eve, l'ex-maîtresse de Konstantin, celle à qui Villanelle offre ses services : bref, elle est mis en avant légitimement. Plus que les deux-trois autres.

Au risque de me répéter, l'interprétation est une fois de plus extraordinaire. Jodie Comer est toujours impayable mais avec en prime un bonus appréciable dans la vulnérabilité, l'émotion. Sandra Oh éblouit par son intelligence de jeu, ne cherchant jamais à briller en surjouant, quitte à être éclipsée par sa partenaire. Je mentionnerai donc aussi spécialement Fiona Shaw, excellente dans le rôle de Carolyn. Et Camille Cottin dans celui d'Hélène : l'actrice française a certainement gagné sa place après avoir repris le rôle de Fleabag dans son adaptation française (sous le titre Mouche, une saison au compteur).

Je suis très curieux de voir de quoi retourne l'ultime et quatrième saison puisque, comme je l'ai déjà dit, le dénouement de la trois me semble parfait. Et quelque part, c'est sans doute ce qui me fait tout de même espérer un sursaut final car en ne sachant pas à quoi m'attendre, tout est possible.

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