Si vous avez vu la série Normal People (dont j'avais parlé sur ce blog), alors vous vous souvenez de ses deux magnifiques acteurs. Aujourd'hui, je vais vous parler de Daisy Edgar-Jones (qui donnait la réplique à Paul Mescal, dont je vous parlerai bientôt) puisqu'elle tient le premier rôle dans Là où chantent les Ecrevisses, un film d'Olivia Newman d'après le best-seller de Delia Owens, sorti l'an dernier. Et dans lequel elle est une fois de plus bouleversante.
1953, Caroline du Sud. Catherine "Kya" Clark vit seule avec son père, un homme alcoolique et violent, après le départ de sa mère et de ses frères et soeurs aînés. Ils habitent une maison dans les marais sans qu'elle soit scolarisée jusqu'à ce qu'il disparaisse à son tour. Pour survivre, elle pêche des moules à l'aube qu'elle revend à Mabel et "Jumpin'" Madison, deux épiciers du coin. Dans la ville voisine de Barkley Cove, on la surnomme la fille du marais et elle alimente diverses superstitions.
A l'adolescence, elle devient amie avec Tate Walker, le fils d'un pêcheur, qui lui apprend à lire, écrire et compter. Progressivement, ils nouent une relation amoureuse mais platonique car il ne veut pas qu'elle tombe enceinte et soit encore plus démunie. Finalement il doit partir pour poursuivre ses études à l'université mais promet de revenir la voir dès que possible. Mais à leur prochain rendez-vous, il n'apparaît pas.
1968. Kya rencontre Chase Andrews, fils de bonne famille et quaterback dans l'équipe locale de football, qui pique-nique souvent dans le marais avec ses amis. Il la séduit et devient son amant. Elle lui offre un pendentif auquel elle a accroché un coquillage rare. Un an plus tard, Tate revient mais Kya le repousse, lui reprochant de l'avoir délaissée. Il s'en excuse. Finalement, elle rompt avec Chase quand elle découvre qu'il s'est fiancé.
Dessinant depuis toujours la nature et sa faune, Kya, grâce à une liste d'adresses d'éditeurs que lui a laissée Tate, se décide à les envoyer pour pouvoir acheter la maison de son père et le terrain sur lequel elle est bâtie. Son frère aîné, devenu militaire, Jodie resurgit et lui raconte comment leur mère a fini sa vie en espérant réunir ses enfants, mais leur père avait dû intercepter les courriers de son avocat. Ils conviennent de se revoir à sa prochaine permission.
Chase tente de renouer avec Kya mais elle refuse d'être sa maîtresse. Il tente alors de la violer mais elle réussit à le repousser et s'enfuir, le menaçant de le tuer s'il revient. Un pêcheur entend leur dispute. Chase, pour se venger, met à sac la maison de Kya qui s'est cachée en le voyant arriver. Quelques jours plus tard, il est retrouvé mort dans le marais. Kya est arrêtée et accusée de meurtre avec préméditation.
Tom Milton, un avocat à la retraite qui connaît le passé douloureux de la jeune femme, lui propose de la représenter comme défenseur car elle risque la peine de mort. Les menaces qu'elle a proférées contre Chase jouent contre elle ainsi que la réputation de son père. Mais des témoins de moralité comme Tate, les époux Madison ou son frère Jodie et surtout son éditeur, avec qui elle a diné hors de la ville le soir de la mort de la victime, lui fournissent un alibi solide. La plaidoirie vibrante de Milton convainc le jury de l'acquitter.
Tate et Kya vivent ensemble jusqu'à la mort de celle qui deviendra une naturaliste renommée mais n'ayant jamais quitté son marais. En rangeant ses affaires pour en faire don à une université, Tate trouve dans le journal de sa femme le pendentif qu'elle avait offert à Chase et qui prouve qu'elle le lui a retiré après l'avoir tué.
Normal People, en plus d'avoir été une formidable mini-série, avait révélé au monde deux acteurs splendides en la personne de Paul Mescal et Daisy Edgar-Jones. Il était évident qu'ils allaient connaître tous deux une grande carrière, et pour ma part je misais sur une ascension rapide pour Daisy Edgar-Jones dont le charme et la subtilité du jeu m'avaient conquis.
Pourtant c'est bien Paul Mescal qui a été le plus sollicité depuis, au point d'être réclamé par Ridley Scott pour la suite de Gladiator. C'est amplement mérité car c'est un comédien au charisme rare avec un talent exceptionnel.
Quid alors de sa partenaire dans Normal People ? Hé bien, justement Where the Crawdads sing (en vo), sorti en 2022, adapté du roman best-seller de Delia Owens. Cette production initiée par l'actrice Reese Witherspoon permet de retrouver Daisy Edgar-Jones dans un rôle à sa mesure, un drame sudiste et romantique avec une belle facture classique.
L'histoire de Kya ressemblerait presque à un biopic tant les détails sont soignés. En faisant connaissance d'abord avec cette fillette élevée par un père porté sur la bouteille et enclin à de terribles accès de violence conjugale, on plonge dans une ambiance intense qui contraste avec la beauté du cadre naturelle des marais de Caroline du Sud. Le film fait la part belle à ce décor sauvage, indompté, intemporel, qui rappelle Mark Twain, une référence assumée par l'auteur du roman qui a inspiré le film.
Là où chantent les écrevisses est en effet d'abord un roman qui a eu un énorme succès et qui a bien sûr suscité les convoitises de plusieurs producteurs. Reese Witherspoon a réussi en acquérir les droits et est parvenu à en tirer un long métrage qui respecte le matériau d'origine sans le transformer en un mélo lacrymal. Elle a confié la réalisation à Olivia Newman dont c'est seulement le deuxième film après First Match mais qui fait preuve d'une épatante maturité.
Visuellement, c'est superbe, la photo est délicate et exploite à merveille cet espace naturel, préservé, hors du monde. Le choc est saisissant quand l'action se déplace dans la bourgade voisine de Barkley Cove où hommes et femmes s'affichent dans des tenues apprêtées des années 60 alors qu'on était jusque-là resté avec Kya, dans sa maison, sa forêt, démunie, isolée, farouche.
La progression narrative est lente, c'est un récit qui prend son temps (le film dure 2 h. 05) mais sans ennui. L'enfance de l'héroïne est bien développée. Puis son adolescence la voit confrontée à un premier amour avec le bienveillant Tate mais leur relation reste platonique pour des raisons qui sont formulées de manière subtile et qui renvoie à la condition des femmes seules de l'époque (tomber enceinte pour une sauvageonne comme Kya serait un cauchemar, d'autant qu'elle est aussi traquée par les services sociaux). Puis quand elle aborde l'âge adulte, le ton se durcit avec le couple qu'elle forme auprès de Chase.
Ce qui ressemblait à un conte se mue alors doucement mais sûrement en un drame inévitable. Chase est un fils de riche qui croit que tout lui est dû. Pourtant, au début, on a envie de le croire quand il raconte qu'il doit paraître en société et n'est lui-même qu'avec Kya. Mais lorsqu'il se vante ensuite auprès de ses copains de ce qu'il obtient sexuellement de la jeune femme, son caractère odieux nous révolte.
La partie procédurale du film a le bon goût de ne pas traîner en longueur et joue plutôt sur des allers-retours dans le temps, notamment la nuit de la mort de Chase. On sait alors qu'il s'agit d'une injustice et on espère que Kya sera innocentée. Mais la toute fin du film réserve une surprise imprévisible au spectateur (qui, dans mon cas, suspectait plutôt Tate d'être le meurtrier).
Daisy Edgar-Jones est extraordinaire de finesse et de fragilité dans ce rôle. Il est impossible de ne pas compatir à son triste sort tout en étant conquis par sa détermination à ne pas vouloir justifier de son mode de vie devant une communauté qui l'a raillée, ignorée, méprisée, alors qu'elle risque la peine de mort. Il y a une dignité bouleversante dans le personnage que l'actrice traduit incomparablement bien. Le charme naturel qui est le sien fait le reste et éclipse facilement ses partenaires dans leurs rôles d'amoureux (même si Taylor John Smith/Tate et Harris Dickinson/Chase ne déméritent pas).
La jeune comédienne fait face à David Strathairn, sans jamais être effacée par l'expérience de ce vétéran. Mais Strathairn est lui-même un interprète remarquablement intelligent, qui n'est pas là pour faire un numéro - écueil pourtant facile quand on joue un avocat avec les scènes d'interrogatoire et de plaidoirie.
Là où chantent les écrevisses semblera peut-être trop classique à certains, mais la grâce de son actrice irradie. Rien que pour elle, on s'aventure dans ce drama d'époque élégant et sensible.
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