mardi 5 septembre 2023

THUNDERBOLTS OMNIBUS VOL. 1, de Kurt Busiek et Mark Bagley


Longtemps réclamé, l'Omnibus Thunderbolts de Kurt Busiek et Mark Bagley est enfin disponible en vf chez Panini Comics depuis le mois dernier. C'est un bon gros bébé de près de 1200 pages, qui contient l'intégralité des épisodes (33) écrits par Busiek et quasiment tous dessinés par Bagley, plus quelques numéros de séries dont les héros ont croisé la route des T-Bolts. Plutôt qu'une longue critique exhaustive, je vous propose de passer en revue les temps forts de ce pavé pour un titre qui vingt-six après a conservé intacte son originalité et son énergie.


Comme le raconte Kurt Busiek dans la préface, l'idée de Thunderbolts est venue lors d'une retraite Marvel, une sorte de séminaire organisé par l'éditeur avec les auteurs phares et les editors (les directeurs de collection), juste après l'event Onslaught. Cette saga culte s'achevait par la disparition de plusieurs héros emblématiques (Avengers, Fantastic Four), ce qui inspira cette question à Busiek : "qu'allait-il arriver aux gens sans la protection de leurs champions ?", et, en discutant avec Tom Brevoort, le scénariste imagina un twist renversant pour une nouvelle série, avec des personnages inédits.

Restait à convaincre l'editor-in-chief Bob Harras. Evidemment, je suis obligé à partir de là de spoiler, donc si vous ne connaissez pas le secret des Thunderbolts, lisez cet omnibus et revenez lire cet article.



Ces super-héros sont en réalité les Maîtres du Mal : Citizen V (qui usurpe le nom d'un héros de la seconde guerre mondiale) est le Baron Zemo, Météorite et Opale, Songbird et Screaming Mimi, Atlas est Goliath, Mach 1 est le Scarabée, Techno est le Fixer ! Et le plan de leur leader est simple : gagner la confiance du peuple et des autorités pour devenir les maîtres du monde en l'absence des vrais héros.
  

Un septième membre s'ajoute à la liste dès l'épisode 4 avec Jolt, une jeune femme qui a été victime des expériences du savant fou Arnim Zola, pratiquées sur des sans-abri après la bataille contre Onslaught.. Mais Jolt ignore tout du passé de ses partenaires et de leur projet. Cela fournit au personnage une innocence véritable et le suspense consiste à savoir combien de temps il lui faudra pour découvrir la supercherie.
 

La série a la chance d'être dessinée par Mark Bagley : à cette époque, il a déjà une belle carrière et il est réputé pour sa rapidité. Mais c'est sur Thunderbolts qu'il va vraiment franchir un cap et gagner en notoriété. Son style très énergique convient à merveille aux histoires bourrées d'action de Busiek : rien ne semble lui faire peur, ni animer un team-book (pourtant exigeant), ni composer des batailles épiques auxquelles viennent participer des guest-stars comme Spider-Man (que Bagley aura souvent l'occasion de dessiner ensuite), les Heroes for Hire, Hulk, Daredevil, les New Warriors (qu'il avait contribué à lancer auparavant).


Un premier tournant dans la série survient lorsque les T-Bolts croisent la Veuve Noire qui s'étonne de la complémentarité qu'ils démontrent en action alors qu'ils sont en activité depuis peu. On sent qu'elle soupçonne quelque chose mais n'a aucune preuve. Surtout, cela lui évoque dans l'épisode 9 l'époque du "kooky quartet" : il s'agit de la formation des Avengers qui succéda à la toute première, après le départ des fondateurs (Thor, Ant-Man et la Guêpe, Iron Man, Hulk), quand Captain America décida d'offrir une seconde chance à d'anciens vilains comme Scarlet Witch, Quicksilver et Hawkeye (qui fut le complice de Black Widow quand elle était espionne).  Si d'aventure, comme le pense la Veuve, les T-Bolts avaient quelque chose à se reprocher, elle leur accorde comme Captain America jadis une chance de se réhabiliter.


Zemo/Citizen V sent le danger d'autant que plusieurs membres de l'équipe commencent à se faire à leur nouvelle situation et à apprécier de jouer les héros. C'est particulièrement frappant avec Songbird, qui a perdu ses partenaires dans le passé, et Mach 1, qui a été souvent humilié face aux héros : ces deux-là tombent d'ailleurs amoureux. Pour Atlas, qui s'est épris de Dallas Riordan, qui joue le rôle d'agent de liaison entre l'équipe et la mairie de New Yok, c'est un vrai dilemme car il sait qu'il la perdra si elle apprend la vérité. Techno est le plus fidèle à Zemo tandis que Météorite se tient prête à remplacer Zemo s'il est démasqué.


Au bout d'un an de publication, et des batailles contre des ennemis aussi variés et redoutables que les Démolisseurs, le Penseur Fou, l'Enclave (qui refera parler d'elle ensuite), les Nouveaux Maîtres du Mal, l'installation des T-Bolts au Four Freedom Plaza (le QG des Fantastic Four), les retrouvailles avec Arnim Zola (qui coûteront la vie à Techno - mais qui survivra sous une autre forme), Zemo a enfin accès aux informations confidentielles détenues jadis par les Avengers. Il décide donc de révéler au monde qui sont les Thunderbolts et leur plan... Mais les FF et les Avengers resurgissent au même moment. Après quelques péripéties, Opale, Mach 1, Songbird, Atlas et Jolt se livrent mais disparaissent subitement !
 

Busiek et Bagley ont téléporté leurs anti-héros sur la planète Kosmos, d'où Zemo avait arraché Atlas. Cet arc n'est franchement pas très inspiré et semble surtout servir de prétexte pour organiser la cavale des T-Bolts qui reviennent ensuite sur Terre et tentent de faire profil bas. Pourtant, la majorité, sous l'impulsion de Jolt, toujours aussi exaltée, ne veut plus sombrer de nouveau dans la criminalité. Seul moyen de prouver leur bonne foi : agir en véritables héros, sans arrière-pensée. Opale suit la bande, mais toujours en espérant tirer les marrons du feu. Durant cette période, l'équipe affronte Charcoal qu'ils auront l'occasion de recroiser.
 

Zemo et Techno ont trouvé refuge en Amérique du Sud où ils conspirent à la fois pour redevenir les maîtres du monde mais aussi pour châtier les T-Bolts. Ceux-ci sont également agressés par les Nouveaux Maîtres du Mal, désormais dirigés par l'énigmatique Crimson Cowl : Busiek va faire réfléchir ses lecteurs sur l'identité de cette dernière pendant un bon moment et il aboutira encore une fois à un twist savoureux. Mal engagés dans un affrontement contre leurs ennemis jurés, les T-Bolts reçoivent l'aide de Dreadknight qu'ils accueillent dans leur repaire de fortune. Et là, nouveau coup de théâtre ! Il s'agit de Hawkeye ! L'archer, autrefois repêché par Captain America au sein du "kooky quartet", offre aux fugitifs de les diriger, leur servant de caution morale. Opale enrage. Et Songbird se désespère car Hawkeye réclame un sacrifice : que Mach 1 se livre à la police pour un meurtre qu'il a commis quand il était le Scarabée.
 

Evidemment, l'initiative de Hawkeye ne va pas passer inaperçu. Si, jusque-là, les rencontres entre les Thunderbolts et d'autres héros Marvel dans les séries de ces derniers n'ont pas abouti à des histoires mémorables (comme Incredible Hulk 449, Spider-Man Team-Up 7, Heroes for Hire 7), le crossover avec les Avengers est une réussite. Il faut dire que c'est également Busiek qui, alors, écrit Avengers, dessinée par le regretté George Pérez et j'ai beau ne pas être un grand fan de ce run, ce numéro a une sacrée gueule. Spectaculaire, haletant, il résume toute une époque, tout un esprit, avant la mode de la narration décompressée, une sorte de fin de l'âge de bronze des comics Marvel.


On approche ensuite de la fin de l'omnibus. Et cela se sent : Busiek va recycler des idées et peine visiblement à se renouveler. Malgré le leadership de Hawkeye et quelques scènes mémorables (le baiser échangé entre l'archer et Météorite), la série avance avec moins de grâce. Heureusement que Bagley ne s'essouffle pas : songez qu'à part l'épisode 7 (dessiné par Jeff Johnson) le 9 (avec un long flashback sur le "kooky quartet" par Ron Frenz) et l'Annual 1 (où il a été rejoint par Bob McLeod, Tom Grummett, Ron Randall, Gene Colan, Darick Robertson, Chris Marrinan et George Pérez pour illustrer les origines des membres du groupe), il n'a jamais fait défaut ! Une régularité impressionnante, qui a même épuisé le premier encreur du titre (l'excellent Vince Russell, remplacé ensuite par Scott Hanna). Seuls faits vraiment notables : l'intégration de Charcoal dans l'équipe, le renfort de U.S.Agent et du Jury contre les Nouveaux Maîtres du Mal (avec la révélation de l'identité de Crimson Cowl, mais je ne spoilerai pas), et le recutement de Mach 1 par une agence gouvernementale.


Busiek, en quête d'un second souffle, joue une certaine surenchère en opposant ses héros à un adversaire surpuissant : Graviton. C'est méchant aux motivations mégalomaniaques classiques, avec un look très 90's, qui donnera effectivement du fil à retordre à l'équipe et Bagley est déchaîné pour mettre en images un combat paroxystique. Mais le problème, c'est que la série n'avance plus : on voit les ficelles, les coups de théâtre, on compte les ennemis, mais c'est devenu routinier. Comme un aveu de cette impuissance à se renouveler, à surprendre, on assiste à l'apparition d'un nouveau Citizen V qui revendique être la vraie descendante du héros de la seconde guerre et donc en veut à Zemo et aux T-Bolts. Mais Busiek ne développe pas ce personnage.
 

Après une dernière empoignade avec l'Empire Secret, et la découverte de l'Ogre, que les T-Bolts prennent d'abord pour Techno, dans leur repaire high-tech, le run de Busiek s'achève sans éclat, mais avec un cliffhanger qu'il reviendra à son successeur, Fabian Nicieza, d'exploiter. Ne vous m^éprenez pas : même moins inspirée, la série reste un page-turner incomparable, d'un dynamisme imparable, mais son scénariste a perdu sa verve, peut-être son envie (ce qui n'est pas indigne au bout de trente épisodes).

Panini ayant visiblement décidé de freiner ses sorties d'omnibus, il faudra certainement être très patient avant de profiter de la suite. Mais souhaitons quand même que l'éditeur n'oublie pas de proposer le vol. 2 de Thunderbolts. Mëme à 90 Euros, on en a pour son argent et la qualité est au rendez-vous, y compris avec des bonus appréciables. Niveau confort de lecture, évidemment, un pavé de plus de 1000 pages, ce n'est pas idéal, mais bon, l'idée était de compiler tous les épisodes de Busiek en un seul tome. C'est donc un très bon investissement. Et des heures de lecture jubilatoires.

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