dimanche 3 septembre 2023

LE CHALLENGE est une comédie plus sensible que le laisse croire son pitch


Le Challenge (ou No Hard Feelings en vo) marque le vrai retour sur grand écran de Jennifer Lawrence. Et, surprise, c'est une comédie, genre dans lequel elle ne s'était jamais illustrée. Vendue avec une accroche débile, traduite en français par un mot anglais, réalisée par un inconnu, il y avait de quoi être méfiant. Mais c'était sans compter le talent de l'actrice et surtout un scénario bien plus sensible que prévu.
 

Résidant à Montauk (Etat de New York), la trentaine, Maddie Barker gagne difficilement sa vie en étant chauffeur pour Uber. Mais quand on lui saisit sa voiture car elle n'a pas payé la taxe foncière de sa maison, elle sait que la prochaine étape sera la vente de la maison que lui a laissée sa mère, décédée. Elle accepte donc de répondre à une annonce en ligne d'un riche couple, les Becker, qui souhaitent déniaiser leur fils, Percy, timide, n'ayant aucune expérience avec les filles, le sexe, la boisson, les fêtes alors qu'il entre à Princeton à la rentrée. Si elle réussit, Maddie gagne une voiture neuve.
  

Elle aborde Percy dans le refuge pour animaux où il est bénévole et après avoir répondu à un questionnaire pour adopter un chien, lui propose de le reconduire chez lui. Mais le comportement de Maddie le trouble et il la gaze avec une bombe lacrymo, pensant qu'elle veut le kidnapper. Malgré ce malentendu, il accepte de la revoir le lendemain pour boire un verre dans un bar. A la nuit tombée, elle l'entraîne sur la plage pour un bain de minuit. Mais alors qu'ils sont à l'eau, des adolescents leur volent leurs affaires et Maddie sort pour les rattraper et les rosser. Inquiet, Percy veut rentrer chez lui mais la police surgit. Maddie sème les flics et, chez elle, aguiche Percy. Mais rien ne se passe.


Les jours se suivent et Maddie et Percy apprennent à se connaître et devenir de vrais amis. Ils comprennent qu'ils ont beaucoup en commun malgré leur différence d'âge et de milieu, en particulier en ce qui concerne leur relations compliquées avec leurs parents et leur scolarité isolée des autres. Ils dînent au restaurant où Percy croise une camarade de classe qui l'invite à une fête. Durant le trajet, Maddie, prise de remords, tente de calmer Percy sur leur avenir en commun et, vexé, il se soûle à la fête de son amie. Elle le ramène et il lui avoue qu'il l'aime, mais elle refuse de coucher avec lui dans son état.


Le lendemain, Percy déclare à ses parents son intention de rester à Montauk avec Maddie à la rentrée. Affolés, ils l'appellent mais Percy surprend leur échange téléphonique et invite ensuite Maddie chez lui pour les démasquer. Il s'isole dans sa chambre où elle rejoint pour tenter de justifier son rôle, il lui répond qu'il veut faire l'amour. Mais une fois au lit, il est trop ému et met un terme à leur relation.


Maddie reçoit la voiture promise par les Becker et paie ses dettes en reprenant son travail de chauffeur. Ayant pris conscience qu'elle ne reste à Montauk que pour garder la maison de sa mère, elle décide de la vendre à sa meilleure amie Sara et son mari Jim. Puis elle retrouve Percy pour tenter de se réconcilier avec lui. Il refuse de l'entendre mais elle insiste et il admet que les torts sont partagés - il s'est enflammé sans comprendre ce qu'elle traversait, elle a abusé de sa confiance. Tous deux doivent prendre leur envol.
 

Percy part donc pour Princeton et c'est Maddie qui l'y conduit avant de gagner la Californie, mais ils promettent de rester en contact.

En lisant certaines critiques sur ce film, on peut se demander si ceux qui en ont parlé l'ont compris puisqu'ils évoquent le retour des sex comedies façon American Pie du début des années 2000. D'ailleurs, aussi bien aux Etats-Unis qu'en France, l'affiche et les bande-annonce insistent sur cette référence, comme si c'était un gage de qualité (ce qui n'est franchement pas le cas).

L'accroche du poster français est à cet égard accablante : "elle a un été pour le chauffer". On croirait une pub pour un Max Pécas ! En vérité, Le Challenge vaut tellement mieux que ce plan com' foireux.

D'abord, tout simplement parce que ce film marque le vrai retour au cinéma de Jennifer Lawrence. Don't Look Up et Causeway étaient produits par des plateformes et uniquement visibles sur ces médias (respectivement Netflix et Apple TV +) - et si le premier est une super production ratée, le second rassurait sur le fait que l'actrice savait toujours choisir ses rôles et les incarner avec maestria.

Ici, elle campe une jeune femme dans la dèche : chauffeur Uber, elle est privée de son instrument de travail car elle n'arrive plus à s'acquitter de ses dettes. Quand elle découvre une annonce passée par des parents qui veulent déniaiser leur fils avant son entrée à la fac, elle tente sa chance, même si elle n'a pas l'âge requis et que cette mission la met mal à l'aise. En même temps, le salaire pour ce job, c'est justement une voiture.

Effectivement, si on s'en tient à cette amorce, ce n'est pas engageant et on s'interroge sur ce qui a pris à Jennifer Lawrence de s'investir dans une histoire grivoise et bas du front comme ça. Mais, en étant attentif, même au début, le script (signé Gene Stupnitsky, le réalisateur, et John Phillips) égratigne la gentrification des stations balnéaires autrefois peuplées par des gens modestes, qui n'avaient pas les moyens de se loger dans les grandes villes, et souligne la précarité des employés de plateformes comme Uber. Donc, ce n'est pas si gras que ça en a l'air.

Une fois qu'on entre dans le vif du sujet, c'est-à-dire quand Maddie essaie de séduire Percy, le film est ouvertement comique. Les malentendus fournissent des gags vraiment drôles, les personnages sont aimablement caractérisés : Jennifer Lawrence s'amuse visiblement beaucoup à jouer les bombasses racoleuses et le jeune Andrew Barth Feldman est excellent en puceau craintif et méfiant à l'excès. Lorsqu'une scène de séduction finit par elle qui le prend sur ses genoux puisqu'il n'a pas l'air d'être émoustillée en la voyant se frotter contre lui, on rit de bon coeur tout en éprouvant de la tendresse pour ce garçon qui est tellement anxieux qu'il a une éruption cutanée.

On arrive en fait à la fin du premier Acte. Et c'est là que le film change de ton et gagne à être vu et reconsidéré. Ce n'est pas que son déroulement devienne original, mais plutôt que son traitement devient plus fin, plus touchant, plus sensible. Il n'est plus question pour Jennifer Lawrence de faire la danse du ventre ou les yeux doux ni pour Andrew Barth Feldman d'écarquiller les yeux ou de d'avancer d'un pas et reculer de deux. 

En fait, le récit change de tactique comme son héroïne qui comprend qu'elle ne séduira pas le garçon en sortant le grand jeu. Ils deviennent amis, sincèrement, et Maddie se prend au jeu en découvrant que Percy partage des points communs avec elle : tous deux se sentent en fait à l'étroit dans leur vie, lui auprès de parents surprotecteurs, elle parce qu'elle n'a plus ses parents (sa mère est donc morte, son père l'a abandonnée), ils sont coincés sur place et effrayés à l'idée de devoir bouger. Et par bouger, on pense grandir.

Les malentendus qui persistent à éclater entre eux revêtent une autre forme et une autre substance. Les sentiments s'en mêlent. Les remords l'étreignent, elle qui a pourtant besoin de remplir cette mission pour avoir un véhicule. Et quand la vérité parvient au garçon, il se sent légitimement trahi, malgré les excuses qu'elle lui fait, malgré les raisons qu'elle invoque pour l'avoir dupé.

Dans ces moments-là, on mesure deux choses. La première, c'est que Le Challenge appartient à une catégorie de films qui n'existe pratiquement plus, quelque part dans le sillage du Lauréat de Mike Nichols (où déjà une femme s'occupait d'un jeune homme avant son entrée à l'université, sauf que là, dans No Hard Feelings, ils ne passeront jamais à l'acte tandis que Dustin Hoffman et Anne Bancroft s'envoyaient en l'air plusieurs fois). Economiquement, c'est comme si les studios ne voulaient plus financer ce genre de productions qui n'est ni un film indé, ni un blockbuster, mais un divertissement intermédiaire, catégorisé par la censure comme visible par des jeunes accompagnés (parce qu'on voit de la nudité frontale dans une scène et que quelques gros mots sont prononcés).

La seconde, c'est que Jennifer Lawrence est une star. Une vraie. Sur son nom se montent des films, parce qu'elle est bankable, qu'elle a un Oscar (et plusieurs nominations). C'est sans doute la seule actrice de sa génération à avoir ce statut, et même son absence des écrans (durant laquelle elle s'est mariée et est devenue mère) n'a pas entamé son crédit. Pourtant, elle a choisi de revenir non pas dans un blockbuster mais une petite comédie, parce qu'elle l'a co-produite. Ce qui ne signifie pas qu'elle ferme la porte à de gros films. Mais elle semble vouloir reprendre en douceur et s'investir dans des projets personnels. En tout cas, c'est une actrice formidable, lumineuse, sexy, mais surtout subtile, qui a vraiment la vis comica, et en même temps qui est capable de vous toucher en plein coeur, et qui ne cherche jamais à briller sur le dos de son partenaire. Elle a compris qu'au contraire on brille mieux à deux et Andrew Barth Feldman est réellement épatant tout du long, jamais dans la caricature, toujours à la hauteur de sa partenaire.

Certes, Le Challenge n'a pas une réalisation extraordinaire, et avec dix minutes en moins (le film dure 1h. 45, ce qui n'est pas non trop long), il aurait gagné en rythme, en densité. Mais il est bien écrit, déjouant son pitch, attachant, sensible encore une fois. C'est un feel-good movie pas bête, avec quelques réflexions bien senties. Et de toute façon, si vous êtes fans (comme moi) de Jennifer Lawrence, c'est immanquable.

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