samedi 14 octobre 2023

KEITH GIFFEN (1952 - 2023)


Keith Giffen est mort Lundi 9 Octobre. Il avait 70 ans. 
C'est décidément une semaine de merde.


Ci-dessus : son dernier tweet. "Je leur avais dit que j'étais malade. Tout sauf aller à la New York Comic Con. Merci. Keith Giffen 1952-2023. Bwah ha ha ha." Du pur Giffen dans le texte. Jusqu'au bout, blagueur.

Mais c'est bien un titan des comics qui est parti. Un storyteller unique, dont la productivité n'a d'égale que celle d'un Jack Kirby (on en reparlera plus loin). Remontons le temps pour mesurer l'oeuvre qu'il laisse.


Keith Giffen nait à New York dans le quartier du Queens. Il débute au milieu des années 70 en dessinant des layouts (des esquisses préparatoires) pour Wally Wood, mais se fait vite remarquer pour sa rapidité et son coup de crayon ainsi que pour son imagination débridée. Ainsi, en 1976, il créé avec le scénariste Bill Mantlo un petit personnage qui fera du chemin : Rocket Raccoon (dans les pages de Marvel Preview 7).


La même année et la suivante, il devient le penciller de la série Defenders. Quelques années plus tard, ce sera grâce à ce titre que je découvrirai Giffen avec l'épisode ci-dessus, traduit dans un album chez Arédit. A cette époque, son style est très influencé par Jack Kirby, même si l'encrage de Klaus Janson masque cette référence, mais une fois ce dernier parti, ça saute aux yeux.


Au début des années 80, il pose ses valises chez DC qui lui confie les dessins de Legion of Super Heroes. Avec le scénariste Paul Levitz, Giffen va produire un run mémorable, notamment pour la saga The Great Darkness. Il reviendra fréquemment sur ce titre tout en écrivant par ailleurs d'autres séries et ce jusqu'en 1989 puis 1998 !


Son goût pour la comédie et le pastiche vont le conduire à imaginer Legion of Substitute Heroes, une version hilarante de la série, en 1985, toujours avec Levitz (et qui, je crois, n'a jamais été traduite en France). Un exercice qui va lui inspirer ses futures classiques.


Ainsi, dès 82, en même temps que Legion of Super Heroes, Giffen créé Ambush Bug, qui, bien avant Deadpool (et surtout en étant bien plus drôle), brise le quatrième mur de la narration en s'adressant donc directement au lecteur et en ayant conscience d'être un personnage de comic-book.


Un an plus tard, il co-créé avec Roger Sifler le personnage de Lobo, qui, bien avant d'être relooké en biker de l'espace, ressemblait à ça ! Et fit ses débuts dans les pages de Omega Men. Vous commencez à intégrer tout ce qu'a apporté Giffen au média ? Ce n'est qu'un début !


Car, en 1987, il va unir ses forces à deux génies : le scénariste Jean-Marc DeMatteis et le dessinateur Kevin Maguire. DC vient de publier Crisis on Infinite Earths et la mini-série qui suit, Legends, et relance avec ces trois-là la série Justice League. Une Ligue des Justiciers comme on en a jamais vue avant... Ni depuis !


J.-M. DeMatteis racontera la génèse du projet et leur méthode de travail : DC voulait étonner, forte du succès de projets comme Watchmen et Batman : The Dark Knight Returns. Giffen est le plotter du trio, c'est lui qui imagine les intrigues, souvent en les storyboardant directement. Puis DeMatteis les peaufine et les dialogue. Enfin Kevin Maguire les sublimes avec un trait d'une expressivité hors du commun.


Le succès est au rendez-vous et c'est probablement l'incarnation la plus mémorable de la Justice League. C'est bien sûr très drôle, mais Giffen est aussi un adepte des twists narratifs : souvent, sans prévenir, il change complètement de ton, bouscule l'équipe, injecte du drame dans la farce. Surtout la Justice League International, comme elle va très vite être rebaptisée, met en avant moins des vedettes que des personnages improbables : au lieu de la Trinité Superman - Wonder Woman - Batman, ce sont Blue Beetle, Booster Gold, Fire, Ice, le Limier Martien, Rocket Red, Captain Atom, Big Barda, Mister Miracle et d'autres qui tiennent le haut de l'affiche. Personne ne sait ce qui va arriver avec des héros pareils !


Comme il l'avait fait avec Legion of Substitute Heroes, Giffen va décliner le titre : d'abord avec Justice League Europe...

... Puis avec Justice League Quarterly. Il reconnaîtra comme DeMatteis que le phénomène leur a un peu échappé, qu'ils en ont trop fait, à commencer par la série principale, mais qui pourrait leur en vouloir ? Finalement, Giffen et DeMatteis arrêtent l'aventure en 1992. Même si dans les années 2014-2017, ils ne résisteront pas à inventer une version futuriste avec Justice League 3000 puis 3001 : néanmoins, la magie n'opérera plus (en tout cas pour moi). Surtout parce que DC a exclu Kevin Maguire, lui préférant Howard Porter, moins susceptible de tirer le titre vers la comédie.


Les années 90 voient Giffen louer ses services à plusieurs éditeurs comme Valiant, Image. Il va même collaborer avec Rob Liefeld : bon, c'est arrivé aux meilleurs (Alan Moore)... Au début des années 2000, il revient chez Marvel et renoue avec les sagas cosmiques. Il va en effet initier et piloter toutes les séries estampillées Annihilation ! En convoquant tous les héros et vilains de l'espace, dont les séries ont du mal à se vendre, il transforme l'essai et offre un succès inattendu à Marvel.


A l'occasion de l'event Infinite Crisis, Keith Giffen créé avec le dessinateur Cully Hamner Blue Beetle troisième du nom. Cette fois, c'est un adolescent latino qui hérite du pouvoir du scarabée - et c'est cette version qui a été adaptée cette année au cinéma. Giffen aura donc écrit les aventures de Jaimie Reyes et de son prédécesseur Ted Kord !


La même année ou débute Annihilation, Giffen collabore à nouveau avec DC. En 2006, quatre scénaristes sont les architectes du DCU : Geoff Johns, Grant Morrison, Greg Rucka et Mark Waid. Pourtant, celui qui va cimenter ce quatuor sur 52, une série hebdomadaire, c'est bien Giffen qui révise leurs scripts et produit les layouts pour tous les épisodes, pendant 52 semaines ! Un travail ahurissant !
 

Mais ça n'épuise pas le bonhomme qui enchaîne avec Countdown to Final Crisis, là encore pendant 52 semaines. Pourtant, cette nouvelle maxi-série ne reçoit pas du tout le même accueil enthousiaste de la part des critiques et du public et l'event qui en sortira, Final Crisis, par Grant Morrison, non plus.


En 2010, Giffen est associé à Judd Winnick pour un nouveau gros projet : co-écrire et storyboarder Justice League : Generation Lost. Pendant 24 n°, il renoue avec des héros comme Maxwell Lord, Booster Gold, Fire et Ice, Captain Atom dans une intrigue composant avec Brightest Day, la suite de l'event Blackest Night de Geoff Johns.


En 2014-2015, Giffen, désormais abonné aux grandes manoeuvres mais cette fois dans le statu quo des New 52 de DC, supervise et co-écrit avec Brian Azzarello, Dan Jurgens et Jeff Lemire, Futures End. Le résultat s'avère indigeste et a très mal vieilli. Hélas ! ce sera la dernière grande contribution aux comics du géant Giffen.

Sa santé est fragile : gros fumeur, il souffre de problème respiratoires récurrents, mais ça ne l'empêche pas d'écumer les conventions où sa popularité est énorme. Souvent il est assis à côté de DeMatteis et Maguire et abreuve le public de bons mots et de blagues épicées. C'était une crème, d'une gentillesse et d'une humilité incroyables, et dont le talent, l'inventivité forçaient le respect. 

Jean-Marc DeMatteis avait cette anecdote : un jour, lui et Giffen attendent dans un couloir d'être reçus par leur editor de Justice League International (Andy Hefler). Giffen fait part à DeMatteis de son envie d'utiliser un personnage issu du Green Lantern Corps pour la série, le grotesque G'nort, et il lui raconte en détail comment il veut s'y prendre. Mais DeMatteis n'aime pas l'idée et le lui dit. Sans se vexer, Giffen, au contraire, rebondit aussitôt et imagine une autre manière d'intégrer G'nort. Et cette fois il convainc son partenaire. 

C'était Keith Giffen : une véritable machine à idées, à histoires, une force de travail inouïe. Un géant. Qui nous laisse une bibliothèque entière de comics pour échapper à un monde qui part en sucettes, entre terroristes islamistes du Hamas tuant des juifs et assassin djihadiste de prof de français (auxquels de pseudos insoumis indignes trouvent quand même des excuses).

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