Ce dixième épisode de Danger Street renoue avec le format de la mini-série, après le numéro très spécial du mois dernier. Tom King sait qu'il entame la dernière ligne droite et rassemble ses lignes narratives pour organiser leur rencontre. Jorge Fornes illustre tout cela avec une fluidité toujours aussi remarquable. Que dire sinon que c'est bluffant !
Liz "LadyCop" Warner est en possession du casque de Dr. Fate. Personne ne le sait. Mais il y a une chose qu'elle ignore aussi, c'est que tout le monde le veut : Commodore Murphy, les Outsiders, Warlord, Orion, les Dingbats de Danger Street. Tous pour des raisons différentes. Et pendant ce temps, l'univers est sur le point de s'effondrer...
Difficile de parler de cet épisode sans mentionner une annonce communiquée hier par DC : en effet, Danger Street, comme toutes les mini-séries écrites par Tom King (et d'autres pointures venues proposer leur projet hors continuité dans cet espace de création détaché de la continuité), risque fort d'être le dernier spécimen de son espèce.
Outre que le scénariste est désormais engagé sur deux séries mensuelles (Le Pingouin et Wonder Woman) et n'a pas dévoilé de nouvelles mini-séries pour 2024 chez DC (alors qu'il va en sortir une chez Boom ! Studios et qu'il continue Everlasting Love chez Image), DC donc a officialisé hier le retour de sa collection "Elseworlds".
"Elseworlds" fut longtemps ce qu'est le DC Black Label aujourd'hui : des histoires hors continuité (même si certaines y furent ensuite intégrées) par des grands auteurs/artistes. Difficile donc, dans ces conditions, de ne pas considérer la fin programmée du Black Label (ou du moins une forme de relégation pour lui).
DC a frappé fort en dévoilant des projets par Clay Mann, Greg Smallwood, Andy Diggle et Lenadro Fernandez, Jay Kristoff et Tirso Cons, Tate Brombal et Werther Dell'Edera, Matthew Rosenberg et Otto Schmidt. Sur les six mini-séries communiquées, trois mettent en scène Batman ! Y aura-t-il encore de la place pour d'autres personnages, des seconds ou troisièmes couteaux comme ceux qu'on croise dans Danger Street ?
L'avenir nous le dira, mais je ne suis pas optimiste. Aussi en lisant ce dixième épisode, ai-je considéré la fin d'une époque. Tom King signera la fin de cette saga en Décembre et déjà ce mois-ci, on voit comment le scénariste organise la réunion de tous les subplots qu'il a échafaudés.
Le point commun est désigné très vite : c'est le casque du Dr. Fate. Depuis le début de Danger Street, c'est une voix qui en parvient (celle de Nabu ?) qui sert de narrateur, dans une tonalité qui assimile l'histoire à une grande fable, à un conte avec des chevaliers, des ogres, des dragons, etc, pour symboliser les protagonistes.
Au point où nous en sommes, c'est LadyCop qui est en possession du casque sans savoir qu'en faire : pour elle, il s'agir surtout d'une pièce à conviction dans l'enquête qu'elle mène pour trouver le responsable de la mort d'un des Dingbats de Danger Street. Or les Dingbats aimeraient bien mettre la main sur le casque dont ils pensent qu'il pourrait ressusciter leur copain GoodLooks.
Problème : le corps du gamin a été déplacé par Orion, envoyé sur Terre par le Haut-Père de New Genesis et Darkseid d'Apokolips, pour... Trouver le casque ! Les Dingbats se sont alliés à Warlord et Starman qui voulaient se servir du casque pour intégrer la Justice League au cours de la cérémonie qui a coûté la vie à GoodLooks. Starman peut localiser Orion au péril de sa vie mais Orion acceptera-t-il de négocier avec Warlord avec qui il a eu maille à partir quand ce dernier voulait s'emparer du corps de GoodLooks ?
Enfin, derniers à convoiter le casque et pas des moindres : d'un côté Commodore Murphy, patron de la Green Team, qui a fait du Creeper son nouveau protecteur, et de l'autre les Outsiders, qui espèrent redevenir des ados comme les autres.
L'épisode en allant et venant de l'un à l'autre de ces personnages tisse une toile compacte dont chaque fil tend vers le même point : le casque. Tom King semble s'amuser avec ces personnages et le lecteur dans cette drôle de chasse au trésor car rien ne dit que le casque de Fate, objet mystique si puissant soit-il, soit en mesure d'exaucer les voeux de tous ceux qui veulent l'acquérir. On parle là quand même de ressusciter un ado, de rendre un aspect humain à d'autres, de sauver l'univers... Et LadyCop n'est pas du genre à céder facilement un objet aussi précieux, quand bien même se dresseraient devant elle un néo-dieu, des créatures grotesques mais puissantes, un maniaque, des gamins désespérés, un seigneur de guerre, un alien bleu.
Mais on retiendra surtout, (ou du moins, autant) la manière : car parti pour écrire une histoire où des personnages sans aucun lien commun interagiraient, King a déjà réussi la prouesse des les agréger dans une intrigue finalement simple malgré un déroulement tortueux. Bien entendu, on compte sur le scénariste pour aboutir à un dénouement digne de ce nom, mais qu'au dixième épisode, le lecteur ait compris ce qui allait réunir tous ces héros est déjà un exploit.
L'autre exploit de Danger Street, on le doit à Jorge Fornes. Car si la narration a quelque chose d'étourdissant, elle le doit pour beaucoup à cet artiste. King aurait pu écrire cette histoire pour Mitch Gerads par exemple, qui y aurait certainement donné une coloration distincte et originale. Mais en faisant le choix de Fornes, il a misé sur l'intelligence et la sobriété (non pas que Gerads ne soit pas intelligent, en revanche il n'est pas particulièrement sobre graphiquement parlant).
Je l'ai souvent écrit et donc je vais me répéter mais Fornes a ce don de ramener les éléments les plus excentriques au sol. Qu'il s'agisse de mettre en scène des ados turbulents, des aliens, de dieux, jamais il ne dévie de sa ligne. Tout est rigoureusement cadré, de telle sorte que cet ensemble ne soit pas affadi mais assimilable.
Imaginons que Danger Street ait été confié à un artiste plus clinquant : ses parties les plus farfelues, les plus fantastiques auraient certainement gagné en attractivité et le lecteur aurait été ébahi par cette distribution de personnages et de décors. Mais la forme n'aurait-elle pas parasité, voire cannibalisé le fond, distrayant le lecteur et l'empêchant de se concentrer sur la façon dont les trajectoires des acteurs du récit finiraient par se heurter ?
Tandis qu'avec un dessinateur aussi sage en somme que Fornes, on ne perd jamais de vue l'essentiel, c'est-à-dire l'improbabilité que des gens aussi divers coexistent dans la même histoire. Du coup, quand, aujourd'hui, leurs routes sont effectivement sur le point de se rejoindre, le lecteur n'a pas d'effort à faire pour le comprendre. Tout cela nous a été servi sur un plateau car nous n'avons jamais été distraits par la forme, les effets. Tout a été contenu par un trait épuré, un découpage tenu, une narration tendue.
C'est cela l'intelligence de la bande dessinée : quand le fond est complexe, touffu, la forme ne doit pas en rajouter. En revanche, sur une trame simple, on peut se permettre une forme plus foisonnante, plus flamboyante.
Quel que soit l'avenir du DC Black Label et l'issue de Danger Street, si ce titre devait servir de conclusion à cet espace créatif, ce serait un parfait symbole, un résumé idéal.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire