Hé bien, il se sera fait attendre ce dixième chapitre de The Black Forest ! C'est que, depuis Juin dernier, un véritable drama s'est noué autour de Fables et de son scénariste Bill Willingham. Tant et si bien qu'on pouvait légitimement se demander si DC allait finir la publication de cet arc... Mais heureusement, il est là et il est très bien.
Ghost éloigne la féé Clochette pour l'empêcher de continuer son massacre dans la forêt noire. Peter Pan tue Jack in the Green avant d'être férocement attaqué par Bigby qui veut protéger sa meute. Mais Clochette réussit à trouver la maison de Blanche Neige en espérant y attirer le grand méchant loup et sauver son maître...
Revenons si vous le voulez bien sur ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Bill Willingham et qui a donné des sueurs froides à tous ceux qui attendaient la parution de Fables #160. Ce n'est pas un mystère que Willingham est, disons, un bonhomme avec son petit caractère et des opinions tranchés. Il l'a encore prouvé ces derniers mois.
Comment ? Pour résumer, le scénariste, connu pour ses positions conservatrices et politiques plutôt controversées, a mal pris que des lecteurs lui reprochent les retards dans les sorties des épisodes de Fables. Il a alors expliqué sur les réseaux sociaux que tout ça ne saurait être sa faute, ayant terminé la rédaction des scripts il y a déjà deux ans et les ayant remis à DC et Mark Buckingham.
Après ces déclarations, tout est parti franchement en sucette : Willingham s'est répandu sur ses relations difficiles avec DC. Rappelons que, à l'origine, Fables était publié sous le label Vertigo, qui abritait les créations indépendantes de DC, dont les droits appartenaient aux auteurs. Mais Vertigo n'existe plus et le retour de Fables s'est fait sous le DC Black Label.
Karen Berger et ses editors du temps de Vertigo étaient réputés pour la qualité des rapports entretenus avec les créateurs, et quand Berger a quitté DC, son départ a été unanimement salué par tous ceux qui avaient collaboré avec elle. Willingham compris.
Il semble qu'aujourd'hui le scénariste n'ait pas d'interlocuteur aussi privilégié chez DC et il l'a fait bruyamment savoir en commentant les retards de Fables. Mark Buckingham étant par ailleurs occupé à dessiner Miracleman, longtemps différé, chez Marvel, il a dû jongler le moment venu entre les deux séries, ce qui explique les délais entre chaque épisode. C'est ce qu'on appelle un concours de circonstances malheureux. Mais pour Willingham, ce fut surtout l'occasion de régler ses comptes.
S'estimant maltraité par DC, sans doute parce que l'éditeur ne communique plus aussi étroitement avec lui qu'à l'époque de Vertigo et n'a pas communiqué sur les retards de Fables, Willingham a totalement vrillé en affirmant qu'il était le seul propriétaire de Fables et que, donc, il pouvait faire de qu'il voulait. Donc : il allait rendre la série libre de droit et autoriser qui voudrait à l'exploiter comme toute oeuvre tombée dans le domaine public.
Pour cela, il suffisait, selon lui, de reconnaître que les héros de Fables étaient déjà tous libres de droit et donc que DC ne pouvait pas prétendre les exploiter unilatéralement. Un coup de bluff en vérité assez puérile puisque, évidemment, DC et Willingham sont liés par un contrat et que le scénariste ne peut pas décider sur un coup de tête de le rompre en offrant sa série et ses personnages à qui il le souhaite. Comme il ne souhaitait pas s'engager dans une bataille judiciaire (perdue d'avance contre l'armée d'avocats de DC et aussi parce que Willingham n'a pas les moyens pour ça), le scénariste défiait son éditeur publiquement. Un communiqué de DC plus tard pour clarifier les termes du contrat et depuis on n'a plus entendu parler de Willingham : comme il l'expliquait au tout début, il a terminé l'écriture de cette histoire il y a deux ans, il en a fini avec Fables et DC.
Cette tempête dans un verre d'eau avec un pari grotesque à la clé fait un peu pitié quand même. Pour Willingham, d'abord, qui risque bien d'y laisser quand même des plumes car qui, après cet épisode, se risquera à collaborer avec lui. Et pour DC qui, pour le coup, même avec la loi pour lui, a semblé traiter l'affaire de manière autoritaire, ne s'exprimant que par communiqué, sans chercher à négocier avec l'auteur. Enfin pour Mark Buckingham qui ne méritait vraiment pas de se trouver au milieu de tout ça.
Le lecteur, lui, a quand même eu droit à son épisode. Il en reste deux à sortir et comme il me semble que Buckingham a achevé Miracleman, on peut espérer que la publication soit plus apaisée et régulière. Mais même si ce n'est pas le cas, on attendra tranquillement et, une fois la fin arrivée, on regrettera surtout que Fables se soit achevée ainsi. Déjà qu'on pouvait avoir des doutes sur ce retour tardif, alors dans ces conditions, c'est triste.
D'autant plus triste que l'épisode en question est bon, très bon même. Willingham lâche les chevaux en vue de la fin. Les lignes narratives convergent vers un dénouement terrible entre Peter Pan et Clochette qui font couler le sang, Bigby qui défend les siens, et Cendrillon qui magouille toujours (même si elle semble être allée trop loin et être évincée). Il y a toujours eu de la brutalité, de la violence dans Fables, des morts cruelles, et ça m'étonnerait que Willingham qui est donc tout sauf un sentimental nous épargne de ce côté-là.
Visuellement, Buckingham produit un excellent travail comme d'habitude. Jamais, au cours de cet ultime arc, on n'a senti que le dessinateur était las ou épuisé par deux séries simultanées. Le combat à mort entre Peter Pan et Bigby témoigne de la vitalité intacte de Buckingham pour mettre en scène un duel âpre et spectaculaire. Et on reste toujours ébloui par la beauté sauvage de Bigby quand il prend l'apparence du grand méchant loup (souvenons-nous qu'au tout début de Fables, quand Willingham souhaitait que deux dessinateurs se relaient sur la série, il avait demandé à Buckingham quel arc il souhaitait dessiner et l'artiste avait choisi celui d'Animal Farm car il préférait dessiner les animaux. Hé bien, son talent éclate, intact, après toutes ce temps).
Pour ma part, quand tout sera bouclé, je ne garderai que les bons moments de Fables, loin des prises de positions de Willingham, loin des querelles éditoriales. Tout sera emporté par le vent et il ne demeurera qu'une grande série.
Variant cover par Mark Buckingham
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