Un peu comme pour Avengers Inc., il y a quelque chose de séduisant dans le Daredevil de Saladin Ahmed et Aaron Kuder, comme une volonté de mener le lecteur quelque part sans lui dire où, sur un rythme pépère. Ce n'est pas un run qui cherche l'épate et c'est sans doute ce qui le distingue.
Entre la police qui vient frapper à la porte du foyer St. Nicholas et un nouveau gang qui fusille des innocents en pleine rue, Matt Murdock/Daredevil sent monter en lui une sourde colère. Cela ne va pas se calmer quand il découvre qui colporte des rumeurs sur les jeunes dont il s'occupe...
Bien qu'ils différent dans le fond et la forme, ce début de run me fait penser à celui de Charles Soule qui avait eu la délicate mission de passer après celui de Mark Waid. Certes Saladin Ahmed succède à Chip Zdarsky qui n'a pas produit des épisodes aussi mémorables, mais il passe quand même après deux volumes qui ont marché commercialement et auprès de la critique.
Mais si je pense à Charles Soule, c'est parce que j'étais tout aussi perplexe quand j'ai commencé à le lire. Souvenez-vous : Waid avait conclu ses histoires avec Matt Murdock assumant publiquement qu'il était Daredevil, signant même son autobiographie. Soule enchaînait avec Daredevil qui prenait sous son aile un sidekick, idée improbable s'il en fut.
Et pourtant, à mon avis, Soule a réussi à produire des arcs intéressants, soignant aussi bien Matt Murdock que Daredevil, parvenant à contourner le fait que l'avocat et le diable de Hell's Kitchen ne pouvaient plus être liés dans l'esprit du public.
Ici, Saladin Ahmed doit composer avec la fin de Zdarsky qui était tout aussi (sinon plus) casse-gueule puisque Daredevil mourait en enfer, se sacrifiant pour en faire sortir plusieurs de ses amis. Revenu, on ne sait encore comment, à la vie, devenu prêtre, s'occupant d'un foyer pour jeunes, il est harcelé par une entité mystique qui lui promet bien de tourments après avoir possédé brièvement Elektra. Et finalement Matt enfile de nouveau le costume de Daredevil.
Alors qu'on pouvait s'attendre à une suite s'alignant sur ce registre fantastique, Ahmed nous déroute, comme s'il voulait nous suggérer que les tourments promis au héros pouvait/allait prendre d'autres formes, inattendues.
Ainsi dans ce deuxième épisode, c'est une série de contrariétés qui tombent sur Matt/DD : d'abord des agents de police veulent s'assurer que le foyer dont il s'occupe ne recueille pas de jeunes criminels comme le prétend un média en ligne. Puis DD s'offre une balade en ville, cherchant de quoi se défouler et surprend un gang lourdement armé commettant un carnage en pleine rue. Il neutralise les malfrats mais ne peut les interroger car la police (encore elle) arrive. Et revenu au foyer, après avoir réconforté un de ses protégés victime de harcèlement en ligne, il enquête sur le média qui diffuse des ragots et découvre qui le dirige (et là, franchement, grosse surprise assurée !).
Tout indique que ces ennuis qui s'additionnent en une seule nuit ressemble à la concrétisation de la menace proférée par l'entité qui a possédé Elektra. Et en définitive, alors que le premier épisode appuyait fort sur l'aspect religieux, celui-ci pointe des dangers venant d'autre part. C'est comme si tout se liguait contre Matt/DD.
Ce qui est évident en tout cas, c'est que Saladin Ahmed pose une question centrale : quel est le prix à payer pour Matt pour être revenu d'entre les morts ? Tout ce qui est train de lui tomber dessus semble confirmer que la menace revêt des formes surnaturelles et très ordinaires. En outre, après les scènes très spectaculaires et graphiques du premier épisode, on revient ici à un Daredevil plus terre-à-terre, cassant la gueule à des meurtriers, à un Matt rappelant qu'il a été avocat et congédiant des flics s'ils n'ont pas de mandat de perquisition, enquêtant sur internet sur le média en ligne qui dénigre le foyer.
Cette manière de proposer un épisode qui prend presque le contrepied du précédent tout en poursuivant malgré tout une ligne narrative est accrocheuse et donne en tout cas envie de poursuivre. D'autant que, encore une fois, au dessin, Aaron Kuder assure.
Le trait très précis de l'artiste gagnerait souvent à se dispenser de petits traits inutiles (dans la mesure où ils n'apportent rien en termes de textures, de détails) et qui soulagerait donc un peu Kuder. Mais il y a plusieurs pages avec de superbes compositions qui méritent vraiment qu'on salue l'effort fourni.
Et puis chez Kuder, il y a aussi la volonté affichée dans le script d'Ahmed de surprendre, de prendre de court le lecteur. Ainsi, alors qu'on s'attend à une bonne séance de torgnoles et d'acrobaties quand DD s'en prend aux criminels dans la rue où ils tirent à tout-va, on a à la place une simple planche découpée en un "gaufrier" de six cases verticales où les coups donnés sont mis au premier plan. Autrement dit, une façon de dire : ce n'est pas l'important, vous savez qu'il va expédier ça fissa. Ce qui compte, c'est ce qu'il pourra tirer de ces tueurs et la frustration qui s'ensuivra puisqu'il n'apprendra rien.
Lentement, oui, mais sûrement, il y a comme une sorte d'effet bouilloire qui se met en place. Matt/Daredevil sent comme le lecteur que quelque chose est en train de monter en pression, d'être porté à ébullition. Et comme les sollicitations Marvel pour Janvier ont indiqué que ce premier arc ne compterait que quatre épisodes, ça risque de péter très vite.
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