Le (déjà) pénultième numéro de Ultimate Invasion prouve une fois encore la maestria de Jonathan Hickman quand il a les coudées franches. Si on ignore encore comment il va redéployer l'univers Ultimate, il a déjà réussi à redonner de l'intérêt à cet Terre parallèle qu'il avait lui-même effacée de la carte. Bryan Hitch prend un plaisir manifeste à illustrer de récit qui à l'image de son dessin est bigger than life.
De retour auprès de son fils Tony, Howard Stark lui révèle ce qui s'est passé après l'attaque contre la Cité du Créateur en Latvérie. Ce qu'il a appris des machinations de ce dernier lui déplaît et il a bien l'intention de les contrarier en agissant de l'intérieur...
Le mois dernier, je soulignais l'évidence que me paraissait revêtir une mini-série comme Ultimate Invasion, qui ressemble à travers le personnage du Créateur (Ultimate Reed Richards) à un autoportrait de Jonathan Hickman.
Cette impression se confirme encore davantage dans ce numéro où le point de vue de l'auteur se dédouble. En vérité, Hickman agit comme le Créateur en réinventant la Terre 6160 mais il nuance les manigances de ce dernier en montrant aussi ce qu'en pense Howard Stark (devenu Iron Man à la place de son fils Tony).
On a ainsi droit à une scène, assez longue, finement dialoguée, explicative, sur ce monde refaçonnée. Après l'attaque subie par la Cité du Créateur en Latvérie par des super-héros du futur, Howard fait plus ample connaissance avec les invités de marque ici présents.
On découvre avec Howard qu'il existe sept territoires majeurs, sept super puissances alliées au Créateur. Emmanuel da Costa (qu'on peut identifier comme le père de Roberto da Costa, le mutant Sunspot) désigne l'Union d'Amérique du Nord, la Société d'Amérique du Sud, la Coalition européenne, les Royaumes supérieur et inférieur, la République d'Eurasie, le Pays du Feu, et donc la Cité de Latvérie. Il demeure des territoires inconnues.
Suivant les plans du Créateur, pour assurer la paix dans ces différents territoires, chacun à tour de rôle joue le rôle de "l'ennemi" honni des autres. En créant artificiellement cet ennemi, chaque territoire s'assure la paix intérieure. Toutefois, pour le Créateur, la vraie menace ne vient pas de l'espace, au sens des territoires alliés au nom de cette convention, mais du temps et plus précisément du futur, d'où sont venus les assaillants. Il attend qu'en surgissent de nouveaux et c'est pour se tenir prêt à les repousser, voire à éviter de nouvelles incursions, qu'il souhaite la collaboration de Stark.
Stark ne représente pas de nation, de territoire, c'est un savant et un homme d'affaires. Le Créateur ne le considère pas comme un politique, un dirigeant mais une aide. Cependant s'il compte sur lui, il ignore que Stark est écoeuré par le cynisme de l'alliance et que, comme son fils, il souhaite y mettre fin car ce n'est pas juste, pas correct. C'est une union de puissants qui domine depuis leur Olympe personnel les faibles en leur mentant.
Hickman est un scénariste décidément fascinant à lire. D'aucuns le trouvent trop complexe, maniériste, et ironisent à bon compte sur ses tics formels, avec ses data pages, ses pages blanches qui ponctuent ses épisodes, ses diagrammes, etc. Mais il faut être bien idiot pour ne pas comprendre ce que raconte Hickman qui ne dit rien de si compliqué - au contraire tout est clairement exposé, expliqué.
C'est vrai qu'il est maniériste, mais c'est son style. Sachant comment il procède depuis maintenant un moment, chacun sait où il met les pieds en ouvrant un comic-book qu'il écrit et donc libre pour chacun de zapper ses séries. Mais ironiser dessus en prétendant que tout ça est trop élitiste, c'est affirmer que Hickman ne s'adresse qu'à des lecteurs choisis et méprise les autres.
Récemment, dans plusieurs critiques, j'ai pu dire à quel point j'étais parfois déçu du manque de substance des histoires produites, ce qui me conduisait soit à abandonner des titres, soit à différer leur critique pour les rédiger quand un arc entier était collecté en recueil. La narration décompressée ne me dérange pas mais disons que j'en ressens les limites sur le confort de l'expérience de lecture. Et souvent désormais j'ai l'impression que des auteurs jouent la montre pour aboutir à des arcs narratifs en six épisodes dont l'intrigue tiendrait en moitié moins d'épisodes.
Au moins avec Hickman (mais que lui), je trouve quelque chose à lire qui me fait ma journée et m'inspire des critiques qui vont au-delà du "j'ai bien/pas aimé". Je veux dire, en d'autres termes, que ce sont des épisodes qui, à chaque fois, font phosphorer, prêtent à des interprétations, donnent envie de lire le suivant. Je n'ai pas de regret à dépenser pour avoir quelque chose de substantiel comme ça.
Et cette réflexion vaut pour le dessin de Bryan Hitch. Si je n'aime pas une seule façon de dessiner, il faut reconnaître à Hitch qu'il vous en donne pour votre argent. Parfois, curieusement, il loupe un visage, abuse de certains angles de vue (ces fameux plans tangents en légère contre-plongée avec des groupes de personnages).
Mais on ne peut lui reprocher de donner tout ce qu'il a dans chaque plan, chaque page, chaque numéro. Là au moins, il y a des décors, précis, fournis. Là au moins, on a pas de copier-coller d'une image pour illustrer un dialogue. Le scénario est exigeant graphiquement et Hitch répond présent en montrant des machineries foisonnantes, des costumes redesignés, des valeurs de plan spectaculaires. C'est très agréable de voir un artiste répondre aux exigences d'un auteur aussi pointilleux.
Surtout, on sent bien que Hitch, après quelques années difficiles (qu'il a lui-même abordées publiquement), est de retour et qu'il a en plus trouvé une méthode pour travailler plus rapidement sans sacrifier au sens du détail qui le caractérise. C'est une évolution assez étonnante pour être notée quand, le plus souvent, soit les artistes en vieillissant se contentent de composer sur leurs acquis, soit complexifient leur dessin et produisent moins, soit s'appuient sur des assistants ou une armée d'encreurs pour finir leurs planches.
Je n'ai volontairement rien dévoilé des dernières pages de cet épisode qui révèle l'identité de l'adversaire si redouté par le Créateur. Mais cela s'annonce passionnant pour la suite et fin le mois prochain (car Hickman me paraît être le seul scénariste en mesure de traiter ce vilain avec la démesure souhaitée).
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