C'était un des lancements de série que j'attendais le plus : la reprise par Al Ewing et Martin Coccolo des aventures du dieu du tonnerre sous le titre The Immortal Thor. Après le run de Dinny Cates achevé par Torunn Gronnbeck, Marvel a préféré sans remettre à une valeur sûre parmi leurs auteurs et un talent prometteur. Une entrée en matière copieuse et prometteuse.
Après avoir repoussé une énième attaque des géants de glace, Thor comprend que Loki a négligé son trône dans le royaume de Jotunheim. Pour se faire pardonner, ce dernier reconstitue le Bifrost mais s'éclipse aussitôt après. Thor visite Midgard où une tempête le surprend. Mais il ne peut la repousser...
Après le (très) long passage de Jason Aaron sur le titre Thor, sa succession par Donny Cates m'avait laissé sur ma faim, jusqu'à ce que le scénariste cesse subitement de l'écrire. On a appris récemment qu'il avait été victime d'un grave accident de la route, expliquant ainsi pourquoi tous ses travaux (de commande ou en creator-owned) s'étaient arrêtés. Torunn Gronnbekk l'avait remplacé au pied levé sur Thor.
Marvel a donc logiquement cherché une valeur sûre pour relancer le titre et logiquement leur choix s'est porté sur Al Ewing qui, approché avant Cates, a eu le temps de réfléchir à son projet. Tout aussi naturellement, la série s'intitule The Immortal Thor, en référence à Immortal Hulk, précédent succès de Ewing.
Pour l'accompagner, l'éditeur mise sur Martin Coccolo, un artiste uruguayen, promu "stormbreaker" (ça ne s'invente pas)... Et qui avait justement mis en image un crossover Thor/Hulk écrit par Cates quand il était aux commandes des deux titres.
Mais pour parler de ce n°1, il faut sans doute commencer par la fin de l'épisode. Non, pas de spoiler, rassurez-vous : il s'agit ici de mentionner la postface d'Al Ewing.
Dans le texte qu'il a rédigé à la fin de ce premier épisode, Ewing revient sur sa jeunesse en Angleterre quand il a découvert les comics de super-héros. Un jour, il s'est procuré le troisième épisode de l'event Secret Wars de Jim Shooter et Mike Zeck, paru en 1985, et une scène l'a frappé. C'est celle qui figure sur la page ci-dessus, où, piégé sur la planète du Beyonder, les héros se sont réfugiés dans un bâtiment alors qu'à l'extérieur une super tempête fait rage. Un seul ose l'affronter : Thor, exultant face aux éléments déchaînés (ce qui fait penser à Mr. Fantastic qu'il entretient cette intempérie).
Comme le souligne Ewing, dans Secret Wars, Thor se distinguait des autres héros avec sa cape rouge, son marteau, son casque. Même Magneto reconnaissait qu'il était le seul à l'égaler en puissance. Surtout, c'est l'expression sur le visage de Thor qui a ému le futur scénariste : ce sourire réjoui face à la tempête, la puissance qu'il dégageait.
Presque quarante ans plus tard, Ewing a conservé cette image en tête et a voulu la reproduire : Thor n'est pas un super-héros comme les autres, ce n'est d'ailleurs pas un super-héros, c'est un dieu parmi les hommes, incroyablement fort, noble, sûr de lui, et pourtant aussi tourmenté, fils-héritier d'Odin le père de tout. Mais encore une fois, le Thor que voulait Ewing, c'était celui de Shooter Zeck : ce Thor qui souriait en bravant la tempête.
Il est même allé plus loin que ça en lui rendant le costume designé par Jack Kirby, son casque avec des ailes sur les tempes, Mjolnir intact. Ewing semble vouloir tourner une page et revenir aux fondamentaux : fini les relookings, les histoires de marteaux brisés, reconstitués, qui passent de main en main. Seul Thor Odinson est digne de brandir cette arme et fini l'esprit d'Odin enfermé dans le métal Uru. Rétrograde Ewing ?
Plutôt back to basics. Sans le dire, sans effacer ce qui a été fait avant lui ces dernières années, il affiche dans sa postface ses références : Kirby et Walter Simonson. Et c'est comme si, loin de revenir en arrière, on accordait une cure de jouvence au dieu du tonnerre. Pas besoin de réinventer, de changer l'apparence de ce qui fonctionnait depuis le début.
L'épisode est copieux : sa pagination généreuse (40 planches), des scènes à Asgard, la reformation du Bifrost, une intervention de Loki, l'apparition de Warriors Three, de Lady Sif, une visite à Midgard (la Terre, un adversaire impressionnant qui surgit, un complot dans l'ombre. On n'a pas le temps de souffler même si Ewing ne cherche pas à submerger le lecteur. Il l'invite plutôt à faire le tour du propriétaire, à reprendre ses marques, à l'embarquer dans ce qui s'annonce comme une intrigue épique. Et ce faisant il saisit parfaitement la singularité du personnage, le confronte à un défi de taille, nous accroche avec des mystères, opère des synthèses (son Loki est androgyne, comme si le Loki originel et Lady Loki avaient enfin adopté une forme définitive - là encore, la démarche est une sorte d'aboutissement pour Ewing, qui se présente comme un auteur queer, et qui a déjà auparavant écrit Loki dans Agent of Asgard puis les deux mini Defenders en jouant sur ces ambivalences identitaires et sexuelles).
Martin Coccolo avait du bon boulot sur le (grotesque) crossover Thor/Hulk de Cates, mais là, il franchit un nouveau palier. Visiblement il a eu le temps de travailler le personnage entre temps et pu prendre de l'avance sur la réalisation des épisodes. A voir s'il pourra enchaîner en maintenant cette qualité.
Mais il ne fait aucun doute que, si Ewing a puisé dans Kirby et Simonson, Coccolo, lui, est davantage inspiré par Olivier Coipel. Non pas qu'il imite le Thor taurin et massif du français, mais son trait est influencé par ce dernier. Comme il s'encre lui-même (comme de plus en plus d'artistes), il a la maitrise totale des images qu'il produit et il s'est investi pour sortir des planches démontrant son implication et son application.
Conformément au souhait d'Ewing, Thor apparaît comme un individu qui impose le respect immédiatement. La première scène contre le mage Skrymir le montre en action, sûr de lui, de sa force et de son statut de père de tout. Ensuite, son échange avec Loki souligne la complicité entre les deux demi-frères tout en suggérant que Loki reste cet être malicieux, trouble.
L'émerveillement de Thor devant le Bifrost reconstitué le rend plus attachant encore, presque enfantin. Quand il arrive sur Terre, Coccolo s'évertue à montrer le décalage entre ce colosse en costume et de simples quidams sans en faire quelqu'un de hautain, qui réclame la vénération des mortels. Juste avant que la super tempête ne le surprenne et que son adversaire ne se dévoile.
Les couleurs, superbement nuancées, de Matt Wilson rendent justice au travail graphique de Coccolo et achèvent de séduire un fan qui avait cessé de croire en un retour valable du personnage (à part la période avec Jane Foster durant le run de Aaron, je dois dire que ça faisait très longtemps que je n'avais pas pris un tel plaisir à relire Thor - sans doute pas depuis J.M. Straczynski et Olivier Coipel en fait).
Al Ewing a signé un run de 50 épisodes sur Immortal Hulk. Et j'ai l'impression qu'il a autant d'ambition pour ce The Immortal Thor. Si Martin Coccolo est aussi régulier que le fut Joe Bennett avec le géant vert, et que l'histoire suit, on est parti pour quelque chose de grand.
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