lundi 14 août 2023

ASTEROID CITY, de Wes Anderson, est écrasé par le soleil et les tics


Le onzième long métrage de Wes Anderson est à l'image des précédents : c'est un véritable ovni qui ne ressemble qu'à son auteur. Un auteur à qui on a reproché depuis son chef d'oeuvre (The Grand Budapest Hotel, 2014) de tourner quelque peu en rond, enfermé dans un cadre stylistique de plus en plus rigide et désincarné. C'est encore le cas ici, comme s'il s'agissait de tester les vrais fans des autres spectateurs.



Années 1950. Un animateur apparaît dans l'écran d'une télé pour évoquer l'adaptation pour le petit écran de la dernière pièce de théâtre  Conrad Eartp, Asteroid City. L'action se situe dans une bourgade au milieu du désert du Nevada connue pour le cratère formé par la chute d'une météorite il y a plusieurs millions d'années et sa remise de prix décernés à de jeunes génies de la science sous l'autorité de l'armée.


Le photographe de guerre Augie Steenbeck s'y arrête, avec son fils Woodrow et ses trois petites filles, après que sa voiture soit tombée en panne. Mais le garagiste du coin ignore comment la réparer. Ils prennent une chambre dans un motel et au diner, Augie et Woodrow remarque l'actrice Midge Campbell et sa fille en train de se restaurer. 


Un autocar dépose une classe d'élèves venus assister à la remise de prix avec leur instituttrice, June Douglas, puis un groupe de country-folk mené par le chanteur Montana, et trois autres participants au concours de science avec leurs parents. Tout ce beau monde se retrouve dans le cratère pour écouter le discours du général Grif Gibson et assister à la démonstration des participants du concours (dont Woordrow Steenbeck et Dinah Campbell) qui impressionnent le Dr. Hickenlooper.


Mais c'est alors qu'un événement extraordinaire va perturber la soirée : un viasseau extraterrestre surgit en vol stationnaire au-dessus du cratère et son occupant en descend pour dérober la météorite avant de filer. Augie a le temps d'immortaliser la scène sur pellicule. Le général Gibson décide alors de placer toute la bourgade en quarantaine et de faire subir une batterie de tests médicaux et psychiatriques à tous les témoins. Cependant, les participants du concours, avec la complicité du Dr. Hickenlooper, joignent des amis et révèlent l'affaire dont les médias s'emparent, attirant une foule de curieux sur place. Gibson annule la quarantaine mais l'extraterrestre revient pour rendre la météorite. La quarantaine est rétablie aussitôt mais provoque une révolte.


L'animateur télé reprend la parole et explique les circonstances dans lesquelles Conrad Earp a rencontré Jonas Hall pour lui confier le rôle d'Augie Steenback avant qu'ils ne deviennent amants. La mise en scène est assurée par Schubert Green et avec l'auteur ils complètent la distribution grâce aux élèves d'un cours d'art dramatique, parmi lesquels se trouve Mercedes Ford qui jouera Midge Campbell. Le soir de la "première" filmée pour la télé, Jonas Hall, profite d'une scène sans lui pour interroger Schubert Green sur le sens de la pièce et se voit répondre que même s'il n'y comprend rien, il doit juste raconter l'histoire.


Six mois plus tard, Conrad Earp trouvera la mort dans un accident de la route. Augie Steenbeck est le dernier à quitter Asteroid City avec ses enfants et son beau-père venu l'aider. Midge lui a laissé son adresse.

Si le cinéma de Wes Anderson vous semble de plus en plus hérmetique, ce n'est pas Asteroid City qui va vous réconcilier avec lui. Comme je l'écris plus haut, depuis The Grand Budapest Hotel il y a presque dix ans, qui paraissait être la culmination de son oeuvre en termes esthétiques et narratifs, le cinéaste texan a perdu quelques-uns de ses fans en route à force d'opus de plus en plus stylisés.

Il paraît en effet loin le temps où Wes Anderson laissait ses films respirer, être investis d'une part de spontanéité, comme lorsqu'il réalisait Rushmore ou La Famille Tenenbaum, La Vie Aquatique ou Moonrise Kingdom. Sa maniaquerie formelle et thérmatique avait trouvé un nouvel écrin, splendide, avec des fims d'animation comme Fantastic Mr. Fox, puis L'île aux chiens, mais on sentait bien qu'il se diversifiait moins qu'il ne laissait submerger par ses lubies.

Son précédent film, The French Dispatch, m'avait déçu. Découpé en sketches, cette chronique d'un journal américain installé en France ne brillait que par intermittences, alternant le très bon et l'anecdotique. Surtout on voyait très clairement que Wes Anderson devenu un metteur en scène courtisé par toutes les vedettes de Hollywood, prêtes à ne faire qu'une figuration pour le compter dans leur filmographie, se laissait griser par son statut, employant effectivement des visages connus pour des apparitions.

On retrouve cela dans Asteroid City où des pointures comme Steve Carrell ou Tom Hanks n'ont quasiment rien à jouer de consistant, où Liev Schrieber, Bryan CranstonHope Davis, Bob Balaban, Willem Dafoe ne sont visiblement là que pour leur ami cinéaste, et que les rares nouvelles têtes semblent figés dans des partitions amidonnées où le cadre prime sur le jeu, le style sur le naturel.

Par ailleurs, s'il fallait dire simplement de quoi parle le film, on serait bien embêté. Il y a des motifs récurrents à l'oeuvre de Anderson, comme le deuil, la solitude des petits génies, le cadre insolite qui réunit une foule de personnages. Mais le procédé tourne complètement à vide. Aucune émotion ne vous étreint, tout est comme plaqué sous des couches de laque, et si le tableau est superbement peint (avec une photo très solaire de Robert Yeoman, dans le décor installé à Chinchon en Espagne), il est dénué de charme. 

Jadis maître de cette imagerie "maison de poupée", Wes Anderson en paraît aujourd'hui prisonnier, incapable de se réinventer, de sortir de ce cocon. Les mêmes plans symétriques, les mêmes travelling latéraux, les mêmes champ-contrechamp ne servent plus un propos absurdement charmant et poignant, mais illustrent un spectacle de marionnettes désincarnées où les gimmicks ont pris le dessus sur le reste.

IL faut attendre les apparitions de l'extraterrestre, muettes, suspendues dans le temps, en stop-motion, où les scènes avec Maya Hawke pour que tout ne soit plus aussi guindé. Maya Hawke est ravissante en maîtresse d'école mais surtout c'est la seule dans tout le casting qui ne paraît pas totalement animée comme un robot, sans doute parce que c'est sa première expérience chez Anderson mais aussi parce que sa jeunesse lui a permis de conserver sa spontanéité dans le jeu.

Tous les autres se sont pris ou laissés prendre au piège, des habitués comme Jason Schwartzman à Edward Norton (même s'il s'en tire bien dans un rôle secondaire) à l'inévitable Tilda Swinton en passant par Adrien Brody et, Jeffrey Wright. Scarlett Johansson est absolument horripilante tout du long dans ce qui ressemble au numéro d'une star voulant imiter les acteurs "andersoniens", impassibles, débitant leurs répliques d'une voix monocorde, déguisés comme à la parade. C'est ahurissant de voir tous ces interprètes se plier aussi bêtement aux instructions d'un metteur en scène qui les filme avec aussi peu d'affect. 

Où est passé l'homme qui racontait La Famille Tenebaum, la fugue de Moonrise Kingdom, la rivalité amoureuse de Rushmore, l'histoire d'un père et de son fils dans La Vie aquatique, la folie d'un palace dans The Grand Budapest Hotel ou le périple de trois frangions endeuillés dans A Bord du Darjeeling Limited

Peut-être le retrouvera-t-on en Octobre prochain sur Netflix pour qui il a réalisé un court métrage, The Wonderful Story of Henry Sugar, d'après Roald Dahl (qui lui avait déjà inspiré Fantastic Mr. Fox) ? Croisons les doigts.

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