Pas facile de trouver une bonne série après The Marvelous Mrs. Maisel... Alors, j'ai creusé et je me suis rappelé de Fleabag, diffusé en 2016, et sur lequel je n'avais jamais écrit. Cette série créée, écrite et incarnée par Phoebe Waller-Bridge, bien avant Killing Eve ou le dernier Indiana Jones, n'a connu que deux saisons, mais reste une oeuvre fulgurante, très drôle et poignante.
"Fleabag" est une jeune femme qui multiplie les aventures sexuelles sans lendemain, comme avec cet homme qu'elle laisse la sodomiser car c'est un fantasme qu'il n'a jamais pu réaliser avec d'autres filles. Le lendemain matin, elle croise le regard d'un passager dans le bus et celui qu'elle surnomme tout de suite "le rongeur" (à cause de sa denture) obtient son numéro après qu'elle lui a parlé de Harry, son copain qui l'a récemment quitté après l'avoir surprise en train de se masturber sur une vidéo de Barack Obama. A la banque, elle se voit refuser un emprunt pour son café qu'elle a ouvert avec son amie Boo. Puis elle retrouve sa soeur, Claire, à une conférence puis rend visite à son père et sa belle-mère (elles ne s'apprécient pas), à qui elle vole une petite sculpture de valeur qu'elle espère revendre un bon prix.
Fleabag demande au mari de Claire, Martin, de l'aider à revendre la sculpture en échange d'une commission de 10% pour lui. Harry revient à elle et propose, pour pimenter leur relation de se faire des surprises, mais quand il s'aperçoit qu'elle a maté du porno sur son ordinateur, il claque la porte. Pourtant, elle reste sûr qu'il le regrettera vite.
Fleabag aide Martin à trouver un cadeau d'anniversaire pour Claire. Elle invite "le rongeur" à la fête mais au moment de la remise de cadeaux, elle voit Martin offrir la sculpture à Claire. Plus tard dans la soirée, Martin, passablement ivre, tente, à l'abri des regards, de voler un baiser à Fleabag qui le repousse.
Claire et Fleabag profitent d'un week-end ensemble payé par leur père dans une retraite à la campagne où elles doivent faire voeu de silence. Mais les deux soeurs ne respectent pas la règle. Fleabag découvre à côté de la résidence où elles sont que des hommes suivent un stage parce qu'ils ont harcelé des femmes au travail. Elle aperçoit son banquier parmi eux et ils se confient l'un à l'autre sur leurs ratés existentiels. Claire révèle ensuite à Fleabag qu'elle a décroché une promotion mais doit partir en Finlande, ce qu'elle rechigne à faire car elle ne veut pas quitter Martin.
Pour l'anniversaire du décès de leur mère, Fleabag et Claire déjeunent chez leur père et leur belle-mère. Fleabag en profite pour remettre la sculpture, que Claire lui a rendue après avoir appris sa provenance, dans l'atelier de sa belle-mère. Celle-ci annonce qu'elle va exposer ses peintures et moulages dans une "sexposition", ce qui perturbe tout le monde. Claire re-dérobe la sculpture pour la redonner à Fleabag qui passe la nuit avec son amant amateur de sodomie, mais qui n'arrive plus à avoir d'érection avec elle.
Fleabag arrive à la "sexpo" de sa belle-mère qui l'humilie en lui demandant de jouer les serveuses. Elle croise Harry puis Claire lui annonce qu'elle ne partira pas en Finlande et l'accuse d'avoir voulu embrasser Martin à sa fête d'anniversaire. Tout cela renvoie Fleabag au suicide de Boo après qu'elle avait apprise que son copain l'avait trompée, ignorant qu'il avait couché avec Fleabag. Elle tente de se suicider mais son banquier l'en empêche et lui donne rendez-vous pour réexaminer sa demande de prêt.
Depuis 2016, Phoebe Waller-Bridge en aura fait du chemin : elle aura été l'auteur de séries comme Run et Killing Eve, aura été appelé en renfort sur le script de Mourir peut attendre, joué la nièce de Indiana Jones (dans le Cadran de la destinée), et va relancer la franchise Tomb Raider (Lara Croft) pour Prime Video (Amazon Studios).
Mais tout a vraiment commencé avec Fleabag qui a débarqué sur la BBC : en six épisodes, la saison 1 de cette série aura tout balayé sur son passage, révélant une personnalité unique, audacieuse et piquante. Avec son héroïne sans identité, mais qui ne cesse de s'adresser en aparté au téléspectateur, l'auteur-comédienne s'imposait comme quelqu'un avec qui il faudrait compter.
L'écriture, parlons-en : rarement le format de 30' aura contenu un propos si dense, si singulier. On rit beaucoup dans Fleabag, en suivant les (més)aventures de cette trentenaire qui collectionne les amants sans vouloir se lier et en étant persuadé qu'ils reviendront toujours vers elle quand ils se sentiront seuls. Elle était en couple avec le malingre Harry jusqu'à la maladresse de trop, quand il l'a surprise en train de se caresser alors qu'elle regardait sur son ordinateur un discours de Barack Obama. Malheureusement, elle ne se doutait pas que cette fois-ci, elle était allée trop loin et que ce serait le début de la fin.
Car Fleabag, on va le découvrir à la toute fin de la saison, dissimule derrière son caractère affranchi et gaffeur une faute impardonnable. Avec sa meilleure amie Boo, qui était aussi sa co-locataire et co-propriétaire du café qu'elles avaient ouvert à Londres, elles fantasmaient sur le même garçon, leur séduisant voisin de palier. Boo sortit la première avec lui et entama une relation épanouie à ses côtés. Et puis un soir, Fleabag et lui se sont trouvés seuls et ont commis l'inexcusable.
Avouant son infidélité sans nommer avec qui il l'avait partagé, le copain de Boo lui inspira sans le vouloir un projet aux conséquences dramatiques. Elle voulut tenter de se suicider afin qu'il la retrouve à l'hôpital et la supplie de refaire leur vie ensemble. Mais Boo fut victime d'un grave accident et en mourut. Depuis Fleabag vit, mal, avec ce sentiment de culpabilité et tient seule, et mal là encore, le café.
Tout va de travers sans Boo : elle couche avec des amants indélicats ou gentils mais laids, son banquier lui refuse un prêt, son beau-frère la drague, sa belle-mère ne cache plus le mépris qu'elle lui inspire, sa soeur Claire ne comprend pas comment elle se débrouille pour toujours faire les mauvais choix ou ne pas accepter les siens. Tout ça lui explose en pleine figure un soir de vernissage où, humiliée, trahie, accusée, Fleabag craque, fond en larmes, et veut en finir à son tour.
Et là, la série bascule. Finie la comédie. L'émotion vous étreint comme rarement, comme ça, sans prévenir, mais avec une force peu commune. On se demandait juste avant pourquoi Fleabag subissait tout ça - cette belle-mère vacharde, ce père lâche, cette soeur distante, ces amants ingrats. Tout ça s'envole pour nous la montrer en proie à un désespoir cruel, terrible, face à un deuil qu'elle ne peut surmonter, une faute qu'elle ne peut se pardonner. Heureusement, une éclaircie se profile dans la dernière scène, après des aveux bouleversants. De quoi donner envie de vite enchaîner avec la saison 2.
Le casting est composé d'acteurs impeccables mais dont la popularité n'a pas dû franchir la Manche, à l'exception d'Olivia Colman, absolument magistrale dans la peau de cette belle-mère épouvantable, au sourire faux et aux manières fielleuses. Phoebe Waller-Bridge porte son show sur ses épaules avec une maîtrise extraordinaire.
La réalisation se doit d'être au cordeau pour suivre cette nature hors norme et cette écriture ciselée, avec ces fameuses adresses au public irrésistibles et imprévisibles (même après six épisodes, on se laisse encore avoir).
Un tour de force. Phoebe Waller-Bridger est dans la place. Et pour longtemps.
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