samedi 12 août 2023

DANGER STREET #8, de Tom King et Jorge Fornes


Avant un neuvième épisode, le mois prochain, que Tom King et Jorge Fornes annoncent comme "très spécial", Danger Street #8 est déjà un sacré morceau. Une sorte de masterclass en storytelling de la part d'un duo d'auteurs à la complicité parfaite. Si le versant cosmique de la saga est mis de côté, les interactions entre les autres personnages prouvent une fois encore à quel point cet ouvrage est étonnant.


Liz "Ladycop" Warner et Jack "the Creeper" Ryder dînent ensemble - mais il tient moins bien l'alcool qu'elle et se montre bavard. Les Dingbats s'évadent de prison grâce à Starman et avec Warlord. Mais surtout Abdul Smith et Commodore Murphy préparent leurs champions à un duel fratricide...


Avant d'en venir au coeur du sujet, c'est-à-dire à ce huitième épisode de Danger Street, le hasard a voulu que cette semaine Tom King soit au centre de deux conversations que j'ai suivies, dont l'une dans laquelle je suis intervenu.


Si vous allez sur YouTube, laissez-moi d'abord vous conseiller une chaîne : Comics Code . Elle est tenue par un certain Philippe Boulier, qui n'apparaît pas à l'image (ce qui nous évite donc d'avoir un de ces zozos cabotinant face caméra et ne montrant jamais rien de l'intérieur des livres dont il parle). Là, l'image est fixe sur les pages d'un comic-book commenté avec pertinence.

Au début de cette semaine, "Comics Code" est revenu sur le one-shot Batman : One Bad Day - The Riddler (Le Sphinx en vf), paru chez DC/Urban Comics. Et la vidéo en profite pour aborder plus largement quelques-uns des travaux de Tom King, sa manière d'appréhender les personnages, leur histoire, etc. Je ne suis pas d'accord avec tout ce qui y est dit et je l'ai fait savoir, mais l'échange a été respectueux et enrichissant.

Puis, quelquefois, je traîne sur Buzzcomics sans y intervenir (je n'interviens plus sur les forums et je conseille à tout le monde de faire pareil, mais c'est une autre histoire). Je tombe sur une discussion évoquant Tom King et ça tourne vite au règlement de comptes, avec des jugements à l'emporte-pièce par des individus qui reconnaissent d'ailleurs ne pas avoir tout lu de lui et se fier à des retours de lecture d'autres personnes (voilà pourquoi il ne faut pas aller sur les forums... Entre autres choses). Grosso modo, il est reproché à King de raconter toujours la même chose, d'être un type prétentieux et j'en passe (les forums sont vraiment plein de pseudo-fans complètement cons).

Tout ça pour dire que Tom King clive. Ceux qui l'adorent ont souvent un discours raisonné mais ceux qui le détestent se complaisent dans un ressentiment alimenté par des clichés et on-dit. Pourtant, il me semble que ces deux clans s'entendent au moins sur une chose ou deux : on reconnaît un récit écrit par King entre mille, et il aborde ses histoires sans complexes, comme s'il partait d'une feuille blanche.

Bien entendu, à partir de là, on peut se poser la question de savoir s'il se fiche complètement de ce qui a été fait avant lui sur tel personnage ou s'il se permet ces libertés parce qu'il évolue majoritairement au sein du DC Black Label où la continuité ne compte pas. Et ce même s'il a quand même signé un run substantiel sur Batman (donc dans la continuité) et s'apprête à replonger avec Wonder Woman.

Le format du Black Label selon King, c'est celui d'une histoire complète en (le plus souvent) douze chapitres. Même là, vous en trouverez pour lui reprocher de s'y cantonner, mais oublions ces fâcheux. En revanche, il me paraît difficile de soutenir qu'il écrit toujours la même histoire. Et s'il fallait une série pour le prouver, il suffirait de lire Danger Street.

En lisant ce huitième épisode, on entre dans le dernier quart de l'histoire et logiquement des choses commencent à se décanter, des personnages commencent à avoir des relations plus étroites, des lignes narratives commencent à se croiser. Il demeure des incertitudes, du suspense, mais chaque nouveau numéro va progresser vers la conclusion de plus en plus rapprochée.

Ce mois-ci, par exemple, Liz "Ladycop" Warner dîne avec Jack "the Creeper" Ryder. Elle insiste à plusieurs reprises pour qu'il comprenne que ce n'est pas un dîner romantique (même s'il est évident qu'il aimerait bien que ce soit le cas). Ils boivent abondamment mais elle tient mieux l'alcool que lui, ce qui introduit déjà de l'humour car on l'habitude de voir les hommes s'enivrer moins vite que les femmes. Mais surtout King se sert de cela pour faire parler, plus de raison, Jack Ryder - et notamment de la Green Team, de leurs affaires. Et plus encore cela va pousser Ryder à se transformer en Creeper devant Ladycop alors qu'il est fin soûl. Mais son costume est si grotesque qu'elle croit visiblement que c'est un déguisement de carnaval et que pour porter ça, il faut avoir une case en moins.

L'autre ligne narrative permet de réunir les Dingbats et le tandem Warlord-Starman. Une évasion de prison sert de prétexte, mais qu'ont à se dire des gamins des rues et deux super-héros largués ? Pas grand-chose en vérité si ce n'est de passer un deal qui convient aux deux parties et qui renvoient au chagrin des uns et à la culpabilité des autres. Si vous avez déjà vu ça, comme ça, dans un précédent comic de King, rafraîchissez-moi la mémoire.

Mais surtout le coeur de cet épisode se situe entre les deux membres de Green Team, Abdul Smith et Commodore Murphy. Le premier a capturé avec les Outsiders le Manhunter. Le second est protégé par Codename : Assassin. Chacun sait où est l'autre. Le duel est inévitable et il est programmé en bonne et due forme par les antagonistes. Le prochain épisode promet d'être "très spécial", et certainement pour cet affrontement.

Si tous ces rapprochements, ces connexions s'opèrent aussi magistralement, sans heurts, c'est parce que le script est servi par un dessin qui ne cherche jamais à briller à ses dépens. Jorge Fornes est un artiste au talent atypique, il a atteint un niveau qu'on ne pouvait soupçonner quand il était employé par Marvel, et la confiance que place King en lui a donné une confiance cruciale en son travail.

Pour s'en convaincre, regarder ses couvertures (pour cette série et les nombreuses variantes qu'il signe par ailleurs). Mais surtout appréciez sa narration graphique. Fornes, c'est un dessinateur avant tout intelligent. Il a réfléchi au script, aux situations, aux personnages, et il a compris que son boulot n'est pas de frimer grâce à un scénario bien écrit, mais de bien dessiner ce scénario. C'est ça, être un bon dessinateur de comics. 

On peut être un bon dessinateur en ayant une technique solide, en sachant produire de belles images aux compositions harmonieuses, au trait élégant. Mais être un bon dessinateur de comics, c'est comprendre qu'on doit servir le script pour que la lecture du livre soit une expérience optimale. Il ne faut pas non plus être dépassé par les mots du scénariste, sa manière d'agencer les scènes, de construire le récit. C'est un juste milieu à trouver. Et ça peut prendre des années avant d'y arriver.

Mais Fornes est sans doute le collaborateur régulier de King qui le comprend le mieux, plus encore que Mitch Gerads. Pourquoi ? Parce que Gerads a un style puissant mais aussi clivant que l'écriture de King - moi-même, j'ai parfois du mal avec le dessin trop informatisé de Gerads. Tandis que Fornes a cette classe des grands dessinateurs à l'ancienne, comme Lee Weeks à qui il fait de plus en plus penser sans le singer pour autant. Il rend les histoires belles mais surtout il les rend fluides, et ça, sans se faire mousser. C'est même ingrat pour lui car il est quelque peu éclipsé par la notoriété de King et donc on pourrait être enclin à mésestimer son apport. Pourtant, sans fioritures, il accepte cette mise en retrait au profit du récit, de l'écriture. Et ainsi tout sonne juste, tout est à sa place, toujours.

Comme Fornes n'use pas de découpage spectaculaire, la subtilité de ses procédés se trouve presque à la marge. C'est le graphisme d'un bruitage (comme lors de l'évasion des Dingbats et Warlord). C'est un imperceptible travelling avant sur Codename : Assassin quand il lorgne sur le bras en diamant de Metamorpho dans le bureau de Commodore Smith.. C'est Jack Ryder qui s'affale sur une table de restaurant, complètement soûl, tout en disant des choses compromettantes devant Liz Warner impassible, à l'écoute. Tous ces petits mouvements suggérés, tous ces artifices qui dynamisent une scène avec une action hors champ. Et c'est fort parce que, lorsque vous lisez ces scènes, ça ne vous frappe pas, mais vous vous en souvenez longtemps après et vous vous dîtes : "c'est bien amené parce que je ne l'avais pas vu venir."

Et, en somme, c'est le résumé de Danger Street : on ne voit rien venir, on ne sait même pas trop comment ça fonctionne, comment des éléments aussi épars et différents se rejoignent, mais c'est bien amené. Si après ça, il y en a encore qui vous convainquent que Tom King dit toujours la même chose avec un air supérieur, dîtes-leur de lire Danger Street. On verra s'ils disent toujours ça après.

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