21 (!) mois après le début de sa parution, Dark Knights of Steel est (enfin) terminé. Une fin sans surprise, sans éclat, qui ne comblera pas grand-monde à coup sûr. Tom Taylor donne au lecteur lambda ce que ce dernier veut, rien de plus, et se permet même de teaser une suite... Yasmine Putri produit de jolies planches mais on sent que de son côté aussi le coeur n'y est plus.
Protex et les martiens blancs ont scellé un pacte avec Amanda Waller qui leur fournit un moyen de percer les défenses autour du château des El. Mais Constantine, Lois et Harley Quinn ont prévu une parade dont le prince Bruce, Kal et Diana sont les fers de lance...
Il y a peu je rédigeai une critique groupée des derniers épisodes en date de Avengers et Guardians of the Galaxy pour pointer les faiblesses de leurs scénaristes respectifs, incapables, selon moi, de produire de bons team-books, alliant une caractérisation de qualité et des intrigues originales et efficaces.
Je n'épargnai pas Jed MacKay et le duo Jackson Lanzing - Collin Kelly mais Tom Taylor me semble aussi surcôté que ces trois-là. Je sens que je ne vais pas me faire beaucoup d'amis en disant cela parce que Taylor est populaire avec son run sur Nightwing, que je considère également surestimé. Mais tant pis, je le dis quand même : ce n'est pas bon.
Il me semblait pourtant que Taylor s'en sortait mieux dans le cadre d'histoires hors continuité. J'avais trouvé son premier arc de DCeased plutôt malin, mais avoir ajouté deux volumes à ce récit montrait bien un opportunisme regrettable.
Si Dark Knights of Steel avait été édité plus intelligemment (notamment en accordant un break substantiel à Yasmine Putri pour qu'elle puisse dessiner tranquillement des épisodes d'avances, ou en publiant cette mini-série bimestriellement par exemple), la lecture aurait sans doute été plus agréable; Mais en l'état, les retards fréquents ont eu raison de ma patience et de mon indulgence car, à chaque fois, que je découvrais un nouveau chapitre, je ne lisais rien qui justifiait que cela ait pris tant de temps pour l'écrire et le dessiner.
Entendons-nous bien : ce n'est pas mauvais. Yasmine Putri, cover-artist, s'avère une dessinatrice complète et douée, et j'aimerai la revoir sur un projet sans doute plus modeste, en tout cas moins énergivore - car, franchement, donner une histoire pareille à quelqu'un qui n'est pas habitué à livrer vingt pages par mois est une absurdité.
Tom Taylor n'est pas non plus un scénariste à jeter. En transposant le DCU dans une épopée médiévale teintée de fantastique, il a adapté parfois avec goût et imagination des personnages et des situations familières. Même si au bout du compte il a gadgetisé tout cela, soulignant plus les différences cosmétiques que thématiques.
Malgré tout, on achève la lecture de Dark Knights of Steel avec un sentiment de déception trop grand pour l'ignorer. Taylor a eu les yeux plus gros que le ventre, en voulant absolument caser des héros dont il n'a rien fait (comme Green Arrow, mutilé et rendu inutile, Black Canary, réduite à de la figuration, Poison Ivy, trop en retrait...). Il a sombré dans des clichés d'auteur de fanfic en créant très artificiellement un couple Supergirl-Wonder Woman (jamais développé), a fait de Batman un bâtard mi-humain, mi-kryptonien (sans que cela n'enrichisse le personnage).
Cette distribution pléthorique de personnages associée aux retards de parution a contribué à troubler le lecteur qui pouvait facilement ne plus se rappeler qui était qui. Et comme le noeud de l'intrigue reposait sur la présence de martiens métamorphes, usurpant l'identité de seconds rôles, tout devint vite confus. En route, des pans entiers de l'histoire sont passés à la trappe (notamment les plans de Etrigan/Ra's Al Ghul contre les Titans) quand d'autres se révélaient tardivement mais de manière trop attendue (la duplicité de Waller).
Le problème de Taylor est bien similaire à celui de MacKay et Lanzing - Kelly : il ne sait pas correctement caractériser ses protagonistes, bons ou méchants, et le lecteur a toutes les peines du monde à s'y attacher. Les intrigues et subplots sont maladroits, ne s'imbriquent pas avec fluidité, et n'aboutissent qu'à des conclusions faiblardes compte tenu des enjeux élevés avancés au début. En vérité, il veut à la fois créer un monde (ici donc un DCU médiéval avec une touche de fantasy) et des figures réinventées de façon mémorables. Il échoue sur les deux plans.
D'abord parce que cet univers parallèle qu'il invente n'est pas suffisamment bien défini : il ne suffit pas de placer des visages familiers et relookés dans des châteaux forts pour que cela suffise à convaincre de l'originalité du procédé. C'est juste exotique. Ensuite, il ne suffit pas davantage de redéfinir des relations entre des héros connus (comme faire de Wonder Woman et Supergirl un couple, de Superman et Batman des demi-frères) pour qu'on trouve ça très audacieux ou même original. C'est juste cosmétique, aussi choquant qu'un changement de costume ou de couleur de peau ou de sexe : les editors et auteurs devraient savoir que les lecteurs sont devenus plus difficiles à berner que ça.
Enfin, il y a, chez Taylor, un problème majeur : celui du vilain. Dans Nightwing, il a passé un nombre invraisemblable d'épisodes à photocopier l'antagonisme Daredevil-Kingpin en les remplaçant par Nightwing-Blockbuster, et quand il a rajouté à l'équation Heartless, il a totalement échoué à faire de ce dernier un méchant avec une présence consistante. Ici, c'est pareil : Protex et sa bande de martiens tombent trop facilement dans un piège qui plus est imaginé par Harley Quinn (!), la grande bataille qui promettait d'être incertaine est réglée en deux temps-trois mouvements. C'est piteux. Mais surtout le dit Protex n'a aucune personnalité et ses plans aucune originalité ni envergure : on sent, on sait qu'il va échouer.
Reste donc les planches de Yasmine Putri. Quand elle a été aux commandes, elle a rarement déçu. Elle manque certes d'expérience comme narratrice, mais pas de talent. Il aurait été surtout plus avisé qu'elle s'exerce sur une histoire moins ambitieuse et plus rigoureuse avant de s'engager dans une mini-série aussi longue et laborieusement écrite. Cela lui aurait évité de dessiner tant de cases dénuées de décors, pour gagner du temps, même si elle a eu la chance d'avoir un talentueux coloriste comme Arif Prianto pour l'aider.
Si Taylor, comme tout l'indique, écrit une suite, je n'en serai de tout façon pas. J'en ai définitivement soupé de ce mauvais écrivaillon dont la hype me dépasse. Peut-être est-ce surtout là l'enseignement de Dark Knights of Steel : arrêter de porter aux nues des auteurs qui sont si inégaux, arrêter d'en faire des pseudo-architectes quand ils n'en ont pas les capacités. D'ailleurs, arrêtez ces histoires de scénaristes-architectes et veillez à ce qu'ils écrivent d'abord de bonnes histoires avant de leur demander de réinventer la roue.
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