dimanche 7 octobre 2018

THE MAGIC ORDER #4, de Mark Millar et Olivier Coipel


Après un hiatus d'un mois (pour qu'Olivier Coipel ait plus de temps pour terminer cet épisode), The Magic Order revient et Mark Millar traite des conséquences directes de la mort de Leonard Moonstone. A cette occasion, il revient à des thèmes récurrents de son oeuvre indépendante sans jamais sacrifier au (grand) spectacle.


1945. Angleterre. Cinq membres de l'Ordre Magique sont réunis pour débattre de l'issue de la seconde guerre mondiale pour laquelle ils prédisent la victoire de nazis - un danger pour leur congrégation. C'est alors qu'ils remarquent la présence d'une intruse : Cordelia Moonstone, encore fillette, en provenance de 2003, vient les rassurer avant de filer.


Aujourd'hui. Château Moonstone. Cordelia et Regan s'interrogent sur quoi faire après le meurtre de leur père, sachant que c'est le fait de Mme Albany. Gabriel ne les a pas rappelés après lui avoir communiqué ces infos. Leur oncle leur propose de négocier une trêve.


Rendez-vous est pris avec Albany à l'Hôtel Abington, dans une poche temporelle. Cordelia est à la manoeuvre, pour ne pas laisser Regan s'emporter, et offre de confier l'Orichalcum (le livre des sortilèges convoité par leur interlocutrice) à une tierce personne neutre puis de réintégrer Albany dans l'Ordre Magique. Elle refuse tout net, annonçant qu'elle veut présider l'Ordre, en expulser tout ceux qui l'avaient banni et tuer les Moonstone - à commencer par Gabriel.


Dans sa banlieue pavillonnaire, Gabriel Moonstone part faire des courses lorsqu'il est attaqué par l'Horogoblin, dont un simple toucher sape la vie de ses victimes. Comprenant que la créature géante va s'en prendre à sa femme Louise, il rentre chez eux rapidement et récupère sa baguette magique.


Tandis que Regan et Cordelia arrivent sur place, Gabriel s'est déjà envolé pour combattre l'Horogoblin sous une pluie diluvienne. Il réussit facilement à l'enfermer dans une carafe. Lorsque son frère et sa soeur l'interrogent sur la suite, il choisit de contre-attaquer.

La première moitié de la série aura donc montrer l'élimination méthodique et violente d'une génération de magiciens, qui intervinrent aussi bien dans des dimensions parallèles que dans notre monde, altérant l'Histoire. Le meurtre de Leonard Moonstone a marqué un point de non-retour, un chapitre clos, la fin du premier acte de The Magic Order.

Que reste-t-il - ou plutôt qui reste-t-il ? Les enfants de ces magiciens, de ces sages. Une progéniture turbulente, qui a refusé de se plier aux règles, à la discipline, qui a même préféré ne plus avoir affaire à la magie (comme Gabriel). Mais Mme Albany n'en a pas fini : elle veut aussi se débarrasser d'eux, autant parce qu'elle considère qu'ils ont poursuivi l'oeuvre de leurs pères-mères (et donc confirmé son bannissement) que parce qu'ils gardent ce qu'elle estime être son héritage (la présidence de l'Ordre Magique, la garde de l'Orichalcum).

Cette configuration - de jeunes héros livrés à eux-mêmes après le départ des anciens, le deuil du père - rappelle d'autres séries de Mark Millar comme Jupiter's Legacy (son chef d'oeuvre dans le "Millarworld"). Et il serait facile de penser que le scénariste bégaie, en ayant simplement remplacé des surhommes à pouvoirs par des magiciens. Sauf que ce n'est pas exactement la même chose...

L'épisode est découpé en deux parties : la négociation entre Regan et Cordelia et Mme Albany, puis le combat de Gabriel contre l'Horogoblin. La première est assez prévisible : Albany n'est pas une sentimentale ni une raisonnable, s'arranger avec les survivants de l'Ordre Magique (qui plus est s'ils sont les enfants de Leonard Moonstone) n'est pas dans ses plans. Elle rejette leur offre sans détour. Elle veut ce qu'elle réclame car elle pense que cela lui revient de droit. Pas question de tergiverser. Si d'abord, elle fait mine d'être désolée pour Regan et Cordelia de la mort de leur père, elle les renvoie en annonçant qu'elle a, pendant qu'ils discutaient, envoyé un tueur aux trousses de leur frère Gabriel.

Et c'est dans ce second temps que l'épisode prend une autre saveur. Gabriel, on l'a appris précédemment, s'est retirer de la communauté magique en perdant sa fille à cause d'un sort mal invoqué. Il se croit à l'abri dans la banlieue où il vit avec sa femme tout en traînant son incurable mélancolie. Le voilà forcé à reprendre du service car on menace son épouse. Depuis le début, Millar suggère que Gabriel est le plus puissant des enfants Moonstone, celui en qui son père plaçait les plus grandes ambitions. C'est l'occasion de le vérifier. Et de le forcer à riposter franchement contre la menace qu'il a ignorée. Le récit se transforme en revanche, après que les héros aient subi. Mais toujours sans garantie qu'ils gagnent : cette incertitude rend le drame plus intense.

Curieusement, alors qu'il a disposé de plus de temps, Olivier Coipel semble un peu à la peine dans les premières pages, sacrifiant notamment des décors (comme c'est d'usage pour les dessinateurs de comics lorsqu'ils sont pressés). Cela ne l'empêche pas de ruser avec habileté comme quand Regan et Cordelia retrouvent Albany dans l'Hôtel Abington : l'endroit, par sa disposition, est étrange - il est dans une poche temporelle, ce qui fait que les protagonistes se trouvent à une table proche de celle de leurs ancêtres. Coipel choisit de représenter le lieu nimbé de brouillard, ce qui est à la fois pratique (pas besoin de trop détailler) et raccord (tout se fond ici).

En revanche, le français ne ménage pas ses efforts pour traduire les émotions de ses personnages : pour cet échange tendu, il use de beaucoup de plans rapprochés, soulignant l'expression outrée de Regan ou le calme sadique d'Albany. Cordelia qui interprète la négociatrice, a les yeux dissimulés derrière des lunettes noires, comme une joueuse de poker.

Tout aussi étrangement, Coipel se ressaisit dans le deuxième acte de l'épisode en dessinant avec soin la banlieue où réside Gabriel et sa femme. Les maison alignées avec leurs petites clôtures, les arbres longeant les rues, la voiture modeste du personnage, tout est précisément pensé et très efficace. Quand le monstre apparaît, il nous gratifie d'une superbe double-page qui permet d'en mesurer le gigantisme et l'horreur (après une scène terrifiante et cruelle sur la mort d'une fillette). Puis Gabriel s'envole jusque chez lui, récupère sa baguette magique, et se précipite dans l'oeil du cyclone pour terrasser la bête.

Ce mélange de sobriété (le combat est bref et camouflé par la pluie dense) et de puissance (l'assurance retrouvée de Gabriel, le déluge qui s'abat sur le quartier) est grisant. On a effectivement la preuve que Gabriel est une pointure. Mais, en fin de compte, on ne saura affirmer si c'est par lassitude ou envie d'en découdre qu'à la fin il prend le parti de repartir en guerre - c'est un homme déjà brisé que la mort de son père semble n'avoir pas atteint car la perte de sa fille l'a déjà accablé. Le destin des Moonstone tient-il dans les mains d'un homme si entamé (et auquel Coipel, non sans malice, donne de faux airs de Millar) ?

A n'en pas douter, Millar réserve encore des tours aux lecteurs - il y a même tout intérêt pour éviter une conclusion trop basique. Mais The Magic Order fonctionne justement à la manière d'un tour de magie : pendant qu'on regarde d'un côté, convaincu que c'est là que se passe le plus important, c'est de l'autre que se prépare la vraie surprise.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjou,
Savez vous si une sortie des comics The magic order est prévu en francais?
Merci

RDB a dit…

Bonjour,

j'ignore quand sortira la vf de The Magic Order. La série a pris du retard en vo (elle devrait s'achever début Janvier) et le TPB est prévu pour fin Avril 2019.
Je pense néanmoins que l'édition française ne tardera pas ensuite vu la notoriété de Millar et Coipel. Panini devrait publier ça en album, peut-être à la fin du Printemps 2019 au plus tôt.
Patience donc.