Pour ce 1004ème numéro d'Action Comics, Brian Michael Bendis a décidé de mettre fin à l'attente qui rongeait les lecteurs en revenant à cette scène intrigante du #1002 lorsque Superman retrouve Lois Lane, avec une perruque, à Chicago. Pourquoi ne l'a-t-elle pas averti de son retour sur Terre ? Où est leur fils, Jon ? L'histoire avec Red Cloud, les incendies à Metropolis, les exécutions de mafieux attendra. D'autant que l'épisode est une fois de plus somptueusement mis en images, cette fois par Ryan Sook.
Au "Daily Planet", Trish Q., la commère du journal, montre à Perry White et Clark Kent une photo de Lois Lane en compagnie de Lex Luthor dans un hôtel de Chicago. Perry s'emporte (car il déteste les ragots et qu'il ne comprend pas ce que fiche son ex-reporter avec ce personnage). Mais Clark reste étonnamment serein.
Et pour cause : la veille au soir, il était sur place. C'étaient les retrouvailles du couple depuis que Lois était partie dans l'espace avec leur fils, Jon, et son grand-père, Jor-El. La jeune femme explique à son mari pourquoi elle n'est pas rentrée directement chez eux et ce qu'il en est de leur rejeton.
Ce voyage lui a permis de comprendre que, depuis la première fois depuis longtemps, Clark et Jon n'avaient plus besoin d'elle. Leur fils est en pleine puberté et découvre ses origines kryptoniennes avec son grand-père. Et elle se consacre à l'écriture d'un livre sur sa vie avec Superman. Pourtant ce dernier insiste : il a besoin d'elle.
Dans la remise du "Daily Planet" où il se remémore la nuit précédente, Clark entend soudain des détonations. Il désarme Copperhead qui menaçait de tuer Trish Q. pour avoir publié des fausses infos à son sujet. Puis Superman salue Robinson Goode et Perry White à qui il confirme enquêter sur Red Cloud.
De retour à Chicago, Superman apprend ce que Lex Luthor faisait avec Lois : ayant appris pour son livre, il était curieux de savoir s'il contenait des éléments compromettants sur son mari. Mais elle l'a repoussé en le menaçant de représailles par l'intéressé. Clark comme Lois acceptent de laisser l'autre vivre sa vie sans se séparer.
Brian Michael Bendis, ça se sent, est vraiment dans son élément avec ce genre d'épisodes, qui rappellent la relation complexe nouée entre Luke Cage (un autre homme d'acier) et Jessica Jones (une autre brunette au caractère bien trempé). C'est la face la plus romantique de la production du scénariste. Ce qui ne signifie aucunement la plus mièvre.
Action Comics selon Bendis, c'est devenu la série de Clark Kent (beaucoup) et de Superman (un peu) : on y découvre l'homme derrière le surhomme. Sur ce point, c'est clair que Bendis ne souscrit pas à la théorie de Tarantino comme quoi Clark Kent est le déguisement de Superman. Pas davantage d'ailleurs que Clark Kent se trouverait prolongé, développé en Superman. Bendis opte pour une entité commune qu'il ne juge pas utile de distinguer. Clark Kent et Superman sont complémentaires : chacun fait ce que l'autre ne peut pas.
Dans le run de Superman par Peter J. Tomasi et Patrick Gleason, l'accent était mis sur la famille formée par Clark, Lois et Jon. En la séparant dans la mini-série Man of Steel, beaucoup de sont émus : Bendis allait-il rayer d'un trait de plume tout le travail de ses prédécesseurs ? Il avait juré que non et il tient parole. En vérité, il a voulu marquer une pause dans la famille Kent pour mieux se l'approprier.
Jon reviendra bientôt (si l'on en juge par les couvertures des solicitations) dans Superman, mais Lois avait montré le bout de son nez il y a deux mois dans Action Comics. Bendis avait pourtant différé l'explication de son retour et les retrouvailles avec Clark pour s'attacher à Robinson Goode le mois dernier. Nous avons donc droit à un vrai échange, de plusieurs pages, entre les deux personnages qui font le point sur leur couple, leur avenir.
On devine que Bendis s'est attaché à écrire Lois comme un personnage qui soit l'égale de son mari et non comme un faire-valoir, ou la mère de leur fils. C'est elle qui mène la conversation en communiquant sur son état d'esprit : elle est dans la position d'une femme qui a découvert que son fils et son époux n'avaient plus besoin d'elle, mais aussi qui s'est reconstruit une identité, qui s'est trouvée un job. Cela la conduit à interroger son mariage, convaincu que Clark a envie d'elle mais pas besoin d'elle.
Or, Clark la détrompe. Bendis l'illustre de manière à la fois malicieuse et décomplexée, très naturellement : on voit un homme et une femme faire l'amour après une longue séparation, s'écouter, s'emporter, faire des compromis, réfléchir. C'est très vivant et très vrai. Rarement on a eu autant ce sentiment d'assister à une scène pareille avec un couple pareil. Le dialogue est très fluide, pas du tout bavard (Bendis a renoncé aux relances basées sur la répétition des derniers mots prononcés par un personnage), et sensible.
Il a aussi la chance de disposer, une fois de plus, d'un artiste d'exception avec Ryan Sook. Plus habitué à produire des couvertures, le dessinateur va enchaîner trois épisodes, encrés par Wade Von Grawbadger (comme toujours formidable de justesse). Il rend une copie magnifique, très expressive, parfaite pour la situation - jusqu'à inclure une double-page avec Superman en action, au milieu de la conversation (comme si Bendis tenait à respecter un quota avec humour).
Sur la vingtaine de pages du numéro, les deux tiers se passent dans un lit, avec donc un homme et une femme en train de s'envoyer en l'air entre deux échanges intenses sans être orageux. Et Sook met cela en scène avec beaucoup d'élégance. Chacune de ses cases est digne d'être détachée tout en faisant partie d'une composition générale pour la page admirable. La pleine page finale (après celle qui ouvre l'épisode truffée de clins d'oeil aux plus illustres auteurs du titre) est vraiment sublime.
Aussi intimiste et mid-tempo que Superman est spectaculaire et rythmé, Action Comics possède un charme très distinctif et confirme que Bendis, avec ses partenaires de choc au dessin, s'est non seulement approprié ce héros iconique mais a su lui donner deux identités propres et liées à la fois. Il n'est pas interdit de saluer cet effort.
La variant cover de Francis Manapul.
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