samedi 27 octobre 2018

SCARLET #3, de Brian Michael Bendis et Alex Maleev


Dernière critique pour les sorties de la semaine (petite semaine quantitativement parlant donc) avec le n° 3 de Scarlet par Brian Michael Bendis et Alex Maleev. Le mois dernier, l'épisode se concluait par une explosion aussi terrible qu'inattendue : on apprend ce qui s'est passé dans les pages de ce chapitre, où, une nouvelle fois, la narration fait des détours, partition idéale aussi pour un graphisme incroyable.


Avant d'être une alliée de Scarlet Rue, Kit était coiffeuse à Portland. Un jour, l'ex-fiancé de sa soeur, Gary, fait irruption dans son salon de coiffure, furieux d'avoir appris que la soeur de Kit a vendu sa bague de fiançailles, qui appartenait à sa mère (à lui).


Brutalisée à l'époque, Kit voit aujourd'hui dans sa ligne de mire Gary parmi un groupe de soldats. Bouleversée, elle tire et l'abat d'une balle dans la tête sans même s'en rendre compte. Mais cette réaction permet à l'armée de connaître sa position.


Un tir de bazooka dévaste l'immeuble où est Kit. Le fracas de l'explosion est telle qu'il alerte Scarlet qui, avec un commando réduit se rend sur place pour récupérer son amie, si elle est encore en vie. Kit émerge des décombres, sonnée mais indemne.


En voulant regagner leur abri, le commando essuie les tirs de l'armée. Il riposte et brûle un des ponts de la ville. Scarlet rejoint la Mairie qu'elle et ses troupes ont prise et où est gardé le soldat messager envoyé par la Maison-Blanche.


Le colonel Orlando prend connaissance de l'évolution de la situation. Et les insurgés semblent avoir anticipé son arrivée puisque Scarlet se signale au loin, agitant un drapeau blanc...

Brian Michael Bendis pratique ici un de ses jeux narratifs favoris qui consiste à déporter provisoirement l'attention du lecteur sur un personnage secondaire pour donner une perspective différente à l'histoire. L'épisode s'éloigne donc de Scarlet, qui était sérieusement ébranlée par la tournure des événements dans l'épisode précédent, pour s'intéresser à une de ses lieutenants, Kit.

On avait suivi, en parallèle, cette dernière, dans l'épisode 2, lorsque, s'impatientant que Scarlet ne donne des ordres, elle était allée dans un immeuble avec un fusil à lunettes, prête à endosser le rôle d'un sniper. Sans qu'on saisisse bien la chaîne de cause à effet, le chapitre se terminait par une explosion contre l'immeuble en question.

Bendis remonte le temps à plusieurs reprises dans ce numéro : on découvre que Kit a été brutalisée par le fiancé de sa belle-soeur qui avait rompu leurs fiançailles. Elle revoit cet homme parmi les soldats en position dans Portland et l'abat, presque par inadvertance. Son coup de feu part sans qu'elle s'en rende compte parce qu'elle est bouleversée par cette apparition inattendue.

Petit cause, grande conséquence : la riposte, au bazooka, provoque donc l'explosion montrée dans le #2. Tandis que Scarlet s'emploie pour aller récupérer son amie, la scène de l'exécution est montrée du point de vue de la victime. Juste avant d'être abattue, elle tenait des propos radicaux sur le sort à réserver aux insurgés. Mais malgré la violence verbale et physique de Gary, sa mort apparaît comme le signe définitif d'un dérive, un dérapage tragique. De quoi justifier le sous-titre : "L'histoire de Kit, la femme qui détruisit Portland."

Le lecteur comme Scarlet prend en effet vite la mesure de ce tournant dans le conflit et Bendis insiste sur le fait qu'il n'y a aucune excuse possible à tuer un homme, quels que soient ses antécédents : en commettant ce qui est un crime de guerre, Kit est devenue une tueuse et a plongé son camp dans celui des méchants. Le drapeau blanc agité à la fin suffira-t-il désormais à sortir du conflit sans plus de dommages ? Scarlet vient-elle de comprendre que sa révolution lui a échappé ? Des négociations sont-elles encore possibles ?

Alex Maleev illustre sèchement cette partie : pas question de tourner autour du pot, il cadre l'action au plus près, de manière clinique, on voit la tête de Gary exploser sous le coup de feu après avoir été dans le viseur de Kit. Quand l'action est représentée du point de vue de la victime, l'effet est aussi saisissant car on en voit la soudaineté : Gary parle, discute avec d'autres soldats et, en une seconde, c'est fini, il est mort.

Puis les conséquences de ce geste (et de la réplique de l'armée) défilent à toute allure : l'immeuble détruit par la roquette du bazooka, l'arrivée de Scarlet sur les lieux, l'évacuation en catastrophe sous les tirs ennemis, la riposte. On est vraiment "embedded", comme dans un reportage. Et cela, Maleev le dessine avec une sobriété étonnante qui renforce l'effet d'immersion, le sentiment de panique, la mesure du tournant.

Puis le bulgare nous gratifie d'une pleine page comme il en a le secret : une extraordinaire composition en clair-obscur sur le visage en gros plan de Scarlet, cadrée en contre-plongée (voir ci-dessus). Ce visage, dans l'ombre, presque entièrement noir donc, est traversé par une larme qui semble comme déchirer l'image en deux alors que le fond, également noir est occupé par les bulles du monologue intérieur de Scarlet. Peu après, elle dit face à l'image qu'elle sait comment tout ça va finir et conclut par un "shit" qui ne présage rien de bon.

Très impressionnant, Scarlet ne cesse de monter en intensité, au plus près de ses personnages tout en suggérant l'ampleur des dégâts. L'accroche sur la couverture ne ment pas : c'est Bendis et Maleev au top de leur art. 

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