dimanche 21 octobre 2018

PEARL #3, de Brian Michael Bendis et Michael Gaydos


C'est le troisième numéro de Pearl et déjà nous atteignons la moitié de la série. Brian Michael Bendis et Michael Gaydos poursuivent leur polar romantique en l'enrichissant dramatiquement : de nouveaux personnages apparaissent, les enjeux grimpent, et une touche de fantastique s'invite dans le récit. C'est toujours aussi beau et curieux.


Les jumelles Endo sont aussi différentes dans leur caractère que complémentaires dans leur méthode. Lésées financièrement par l'issue de la fusillade interrompue par Pearl, elles doivent répliquer vite et fort. Leur cible identifiée, elles envoient à ses trousses un tueur, Shiba.


Pearl se trouve dans le club où Rick Araki, le jeune tatoueur, que Mr. Miike lui a commandée de tuer, se produit pour une exhibition. Mais au moment où elle le repère et le vise avec son pistolet automatique, la jeune femme est troublée par l'apparition de son amie Kimmy et celle de Shiba qui s'en prend à Rick.
   

Mr. Kai rapporte à Mr. Miike les faits et ce dernier s'interroge sur ses exigence envers Pearl, à qui il a commandée cette exécution. Peut-être l'a-t-il mal jaugée, comme cinq ans auparavant, lors des funérailles de sa mère, au cours desquelles il avait pour la première fois pris la mesure de son tempérament.
  

Comme le veut la tradition, Pearl Tanaka avait reçu des amis venus se recueillir l'odoken, de l'argent et des présents remis à l'enfant de la défunte. Elle venait d'apprendre que sa mère lui léguait son salon de tatouage et Miike voulait le lui acheter car il se situait sur son territoire. Pearl avait préféré le conserver en remettant son odoken à Miike pour cela.


Ce que n'a pas dit Mr. Kai à Mr. Miike, c'est que 33 minutes avant sa visite, au club, Pearl n'a pas abattu Rick Araki. Elle a blessé Shiba et pris la fuite avec le jeune homme et Kimmy...

Brian Michael Bendis brouille les pistes dans cet épisode en s'attaquant à la chronologie des faits et en multipliant les points de vue. Le lecteur comme certains personnages ne savent plus que penser, d'autant que, par-dessus le marché, le fantastique s'invite dans le récit.

Essayons donc de tout mettre à plat.

D'abord, on fait connaissance avec les jumelles Endo dont on découvre qu'elles sont à l'origine de la fusillade dans le premier épisode et au cours de laquelle, pour sauver Rick Araki qu'elle venait de rencontrer et d'apprendre qu'il appartenait à un quartier rival du sien, Pearl Tanaka avait ouvert le feu sur des motards en armes.

Les jumelles ordonnent à présent l'exécution de Pearl. Qui, elle-même, est en mission pour le parrain, Mr. Miike, pour tuer Rick Araki - une manière de corriger le désordre qu'elle a provoqué en intervenant lors de la fusillade. Alors qu'on l'avait quitté entrant dans un club où se trouvait sa cible et pointant une arme dans sa direction, Pearl avait sur son visage un tatouage qui apparaissait subitement...

Pearl est une série qui contient tous les ingrédients d'un polar classique - une jeune femme obligée de prendre les armes pour un contrat pour dédommager un caïd, une romance impossible avec un jeune homme du camp adverse, un tueur professionnel à leurs trousses. Mais Bendis et Michael Gaydos le transforment en un exercice de style fascinant, visuellement impressionnant : soudain, le récit de genre se métamorphose en expérience, en trip.

Ainsi Gaydos n'hésite-t-il pas, dans un moment crucial, à produire une splash-page dont la lecture est d'abord si déroutante qu'on hésite à la traduire. En fait, avec un peu de recul, il ose un plan insensé : un très gros plan sur la paume d'une main (celle de Shiba, le tueur à gages) perforée par la balle que vient de tirer Pearl dont on aperçoit le visage par le trou formé dans la chair. La main est colorisée en bleu. Le résultat flirte avec le psychédélisme pur.

D'ailleurs tout l'épisode (ou presque) semble habité par les effets d'un Jim Steranko possédant le dessin de Gaydos. On pense plus d'une fois aux influences du pop-art du dessinateur de Nick Fury, agent du SHIELD, dans ces pages où les décors sont remplacés par des déclinaisons de couleurs criardes et d'onomatopées, suggérant le vacarme de la musique électro dans un club bondé.

Ailleurs, plus loin, Gaydos aligne plusieurs planches en noir et blanc rehaussées de gris, comme du lavis, pour une scène dans le passé : un procédé plus convenu, mais qui renvoie aussi au film noir. L'ouverture de l'épisode est aussi très marquée esthétiquement, avec l'arrivée d'une des jumelles Endo chez sa soeur : elle traverse un couloir à l'éclairage vif avant de pénétrer dans un bureau bleuté et sombre pour planifier, lors d'une conversation tendue, l'exécution de Pearl.

Chaque moment fort du numéro est ainsi composé par une narration très forte, comme une succession de blocs avec une identité formelle et dialoguée très radicale. A chaque fois, deux personnages échangent sur le destin, les conséquences d'un geste, les raisons d'une décision. Dans le lot, Pearl semble à la fois improviser et savoir parfaitement ce qu'elle fait - ou du moins le faire avec détermination. Pour aller où ? Nul ne le sait, pas même elle sans doute - mais c'est aussi ce qui donne envie de suivre l'histoire.

Bendis tente, ose, essaie, avec la complicité d'un dessinateur lui aussi partant pour tous les tours possibles. Sur un fil, Pearl avance : entre les abysses et l'espoir, son destin se joue. C'est étonnant mais, il faut le reconnaître, sacrément stimulant à lire. 

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