La sortie du premier épisode (sur six) de The Magic Order constitue un événement à plus d'un point : d'abord, il s'agit de la concrétisation d'une association longtemps annoncée par Mark Millar avec Olivier Coipel ; ensuite c'est un pari éditorial savamment organisé puisque le scénariste a annoncé qu'il n'y aurait pas de nouveau tirage de chaque épisode (une manière de pousser les fans à se jeter sur un exemplaire rapidement au risque de ne pas en avoir un) ; et enfin il s'agit de la première BD Netflix puisque la plateforme de streaming est désormais propriétaire du "Millarworld" (même si la série est publié en format papier par Image Comics). La magie est-elle au rendez-vous ? Oui. Et pas qu'un peu...
Deux mystérieux individus provoquent par magie l'assassinat d'Edward Lisowski par son propre fils, un petit garçon, devant les yeux de la mère de celui-ci. La victime était une cible spéciale : un magicien.
Cordelia Moonstone, animatrice pour des fêtes de famille, est embarquée par deux policiers après avoir été surprise par son employeuse en train de coucher avec le mari de cette dernière. Mais elle use de ses talents d'escapologiste pour se débarrasser de ses menottes et sortir de la voiture (en marche) des deux flics.
Leonard Moonstone, le père de Cordelia, se produit sur la scène du Palace, comme tous ses aïeux depuis 1885. Après la représentation, il rejoint en coulisses son fils aîné Regan, gérant d'un night club, qui reçoit sur son téléphone un message l'informant du meurtre de Lisowski.
Les funérailles se déroulent en petit comité - exclusivement d'autres magiciens qui se sont jurés de protéger notre monde des menaces occultes. Mme Albany, la cousine du défunt, apparaît avec sa cohorte sans avoir été invitée, vite accusée par Leonard du crime. Elle dément et évoque un livre dont elle aurait dû hériter si elle n'avait pas été bannie de la communauté, puis s'éclipse.
Regan rend visite à son frère cadet, Gabriel, qui a rompu avec le société des magiciens depuis la mort de sa fille, Rosetta, pour vivre avec sa femme, Louise. Considéré comme le meilleur de la famille, il refuse de participer à l'enquête. Mais, déjà, à San Francisco, un deuxième confrère disparaît alors qu'il était au chevet d'une amie...
Variant cover d'Adam Hughes
The Magic Order, pour beaucoup (dont moi), apparaîtra d'abord comme l'opportunité pour Olivier Coipel de gagner à nouveau les faveurs de ses fans. Car, après des débuts tonitruants en 2005 avec la saga House of M (précédé de prestations remarquées sur des séries comme Legion ou Avengers), le dessinateur français a connu des hauts et des bas - ces derniers finissant par décourager ses plus fervents supporters. Pour deux passages étincelants sur Thor (écrits par J. Michael Straczynski, puis Matt Fraction), combien de déceptions sur d'autres events où il semblait de plus en plus s'essouffler, bâcler, n'être plus que l'ombre de lui-même ?
Pourtant, déjà à l'époque de House of M, l'artiste disait son envie d'ailleurs, sans renier son affection profonde pour les super-héros, conscient de la chance d'être devenu une vedette. Mark Millar, quand il a solidifié le statut de son "Millarworld", a alors maintes fois déclaré son envie de collaborer avec Coipel. Mais la réunion se faisait attendre à cause de l'agenda bien chargé des deux hommes.
Libéré de son contrat d'exclusivité chez Marvel (qui paraissait ne plus lui accorder sa confiance), ces derniers mois, Coipel s'est fait discret, produisant des variant covers pour DC (et le Batman de Tom King) avant que ne soient annoncés, quasi-simultanément, l'achat du "Millarworld" par Netflix (dans un deal impliquant des comics, des adaptations en longs métrages et séries) et la mise en chantier de The Magic Order.
Millar, qui sait tirer les leçons de ce qu'il fait, s'emploie désormais à n'annoncer ses projets BD que lorsque son dessinateur a suffisamment d'avance dans son travail pour que la publication d'une série ne connaisse pas de trop grands retards (c'est en quelque sorte la jurisprudence Frank Quitely). Appliqué à Coipel, ce sera un test décisif : va-t-il à nouveau pouvoir produire les six épisodes sans délais supplémentaires (alors même qu'il assume désormais les postes de dessinateur et d'encreur) ?
Lorsqu'on lit les vingt pages de ce numéro 1, on est à la fois épaté par la qualité du travail de l'artiste et confiant pour la suite. Il y a aussi un sentiment d'accomplissement personnel car Coipel, même quand il dessinait des super-héros, apportait un soin particulier à la représentation des personnages de telle façon qu'ils ne soient pas que des colosses en tenue moulante (House of M s'en affranchissait d'ailleurs complètement en se déroulant dans une réalité bouleversée). Le plaisir de croquer des héros en habits civils est évident et Coipel varie les looks avec inventivité (l'apparence old school de Leonard, l'élégance mondaine de Regan, l'aspect casual de Gabriel, le charme canaille de Cordelia, l'apparition détonante de Mme Albany et sa cour). De manière rapide et très efficace, il donne vie à des personnages bien typés et une dimension spectaculaire à des scènes clés (dont de superbes flash-backs).
Millar sait toujours tailler du sur-mesure à ses partenaires, qui figurent parmi les meilleurs dans l'industrie (la liste de ses collaborateurs rendrait n'importe qui jaloux). Pourtant, on aurait tort de réduire la réussite du scénariste au brio de ses dessinateurs car il creuse lui-même ses thèmes avec talent et construit ses histoires avec un savoir-faire consommé.
Lorsqu'on est familier de sa production, il est une constance de plus en plus nette : la famille (celle à laquelle on appartient par le sang - Empress, Reborn, Wanted... - ou celle à laquelle on s'intègre - Kingsman, Chrononauts, Starlight...). Le père Moonstone et ses rejetons sont les membres éminents de cet "Ordre Magique", une communauté de magiciens qui a fait le serment de protéger notre monde, notre dimension, des forces occultes et malfaisantes. Ils vivent totalement intégrés à notre société (le père se produit sur scène comme prestidigitateur, le fils aîné dirige une boîte de nuit, la fille est animatrice, l'autre fils mène une existence banale depuis un drame personnel), rien ne les distingue du commun des mortels et même leur instrument de travail le plus fréquent est commun (une baguette magique en simple bois).
Le fantastique est à la fois léger, discret, et se dévoile parfois de manière impressionnante (un crime dirigé à distance, le cadavre d'une sorte de pieuvre géante, un appartement qui disparaît et fait place à un autre). En revanche, Millar enrobe ça dans une construction policière avec des meurtres au sein de la communauté des magiciens, commis par deux étranges criminels, pour des motifs inconnus. Les soupçons se dirigent vers la cousine de la première victime, dont l'attitude provocante l'accable (même si elle s'en moque et le nie). Le procédé est classique mais fabuleusement accrocheur.
Il y a certes une part de roublardise dans tout ça (avec son goût du slogan, Millar a dû prévoir The Magic Order comme sa version de Harry Porter par Agatha Christie), mais c'est si bien fait, si brillamment illustré... Le "Millarworld", à son meilleur comme ici, a quelque chose de cool et sexy absolument irrésistible. Alors n'y résistez pas !
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