Dans le jeu des chaises musicales en cours chez Marvel depuis quelque temps, le sort de Mark Waid, un des vétérans parmi les scénaristes en activité, était bien incertain : son run sur Captain America s'achève ce mois-ci et les séries les plus exposées sont déjà entre les mains ou promises à d'autres, plus jeunes, plus "hype" que lui. On parlait même d'un départ, d'un retour chez DC (qu'il a pourtant quitté fâché avec un editor)... Et puis, surprise, le voilà prenant en main la relance de la série Doctor Strange, avec Jesus Saiz. Et c'est une superbe inspiration !
Le Dr. Strange affronte dans une dimension parallèle le géant X'axal et réussit à ce qu'il ne pénètre pas dans notre monde. Cette victoire fait exulter le sorcier suprême au point qu'il rit en affirmant qu'Iron Man lui-même n'aurait pas fait mieux.
Sept ans plus tard. La situation de Strange s'est dégradée dramatiquement : il perd progressivement sa vision magique, qui lui permet d'observer ce qui est invisible aux yeux du commun des mortels et pourrait nous menacer. La crise s'aggrave encore quand ses instruments de sorcier ne répondent plus à ses incantations. Il cherche alors des solutions dans sa bibliothèque - en vain.
Un mois après. Stephen Strange erre, seul, désemparé, dans son sanctum sanctorum, et dans New York. Il se résout à consulter Tony Stark, dont il se moquait jadis, et lui confie son problème. Pour Iron Man, le sorcier affronte un souci qu'il doit affronter avec pragmatisme, comme lui le fait face à une complication technologique.
Puisque Strange s'est autrefois perfectionné dans les arts mystiques en explorant d'autres dimensions, pourquoi n'irait-il pas se ressourcer et s'instruire dans l'espace, au contact d'autres populations, avec leurs propres pratiques occultes ? Sceptique d'abord, il accepte et Stark met à sa disposition un véhicule.
Mais le voyage tourne court car le vaisseau est percuté par un astéroïde et oblige Strange à se poser en catastrophe sur Grynda, une planète habitée. Grâce à un traducteur universel fourni par Stark, il demande à un autochtone s'il peut parler au mage local, mais ce peuple ignore ce que sont les arts occultes et le prennent pour un envahisseur. Strange est jeté dans un cachot !
Ce que j'aime chez Mark Waid est tout entier contenu dans ce premier épisode. Mais avant de détailler, il faut d'abord en évoquer le registre choisi par le scénariste qui insiste moins sur la magie, sa représentation, que sur son absence, sa disparition, et l'écrit à la manière d'une fable, si bien que tout pourrait commencer par une phrase telle que "il était une fois un magicien qui perdit ses pouvoirs..."
La voix-off est très présente dans la narration de Waid, et elle est employée de manière omnisciente, donc on a accès aux états d'âme du héros et à leur progression dans la passe qu'il traverse. Stephen Strange apparaît d'abord comme le magicien, une formule qui revient souvent et qui résume en fait simplement son statut, celui du sorcier suprême de l'univers Marvel, d'abord montré dans toute sa gloire lors de la scène d'ouverture lorsqu'il a raison du géant X'axal.
Puis le récit fait un bond de sept ans en avant et là, rien n'est plus pareil, on pourrait même dire que c'est le début de la fin, un procédé classique mais efficace pour plonger le héros et le lecteur dans le coeur du sujet. Strange perd ses pouvoirs, la magie l'abandonne, et il est impuissant à freiner et même arrêter cela. Un mois plus tard, il n'est qu'un humain errant dans son sanctuaire, impuissant, désemparé, qui n'a trouvé de solution nulle part.
Retour à la première scène qui se termine par un cri de victoire et des pensées sarcastiques de Strange à l'adresse d'Iron Man, incapable d'exploits comme celui qu'il vient d'accomplir. Waid est malin : il nous rappelle subrepticement que le sorcier fut autrefois un chirurgien arrogant dont un accident priva de l'usage de ses mains et qui ne dut sa reconversion qu'au prix d'une sévère remise en question et de l'apprentissage des arts occultes. Cette suffisance corrigée renvoie à celle de Tony Stark, marchand d'armes qu'un éclat de bombe près du coeur transforma en Iron Man et fit réviser son code moral.
Présentement, c'est donc non sans ironie que Strange décide de s'en remettre à l'homme qu'il a jadis méprisé, comme si les années lui avaient fait comprendre que leurs parcours étaient semblables - deux hommes cassés, contraints de changer, de se surpasser. Mais Waid souligne aussi que, malgré tout, la rencontre entre l'ex-sorcier et le milliardaire en armure reste un échange entre deux mentalités distinctes : Strange croit encore à la magie, Stark est un futuriste attaché à la technologie. L'irrationalité face au pragmatisme.
la solution que propose Stark à Strange est en fin de compte assez convaincante pour que le second y adhère et que le lecteur y souscrive. Envoyer le Docteur dans l'espace est beaucoup moins artificiel que ne le laissait craindre le postulat initial de la série : on remplace simplement les dimensions parallèles et mystiques par le cosmos et ses mystères. Bien entendu, les problèmes ne vont pas tarder et le cliffhanger de ce premier épisode est accrocheur.
La réussite du projet doit aussi beaucoup au choix de Jesus Saiz pour le mettre en images : l'artiste espagnol a travaillé sur tablette et réalisé le dessin et la mise en couleurs directe pour un résultat qui, il faut le dire, est impressionnant. L'encrage, avec donc ses tracés noirs, est réduit à ce qui est vraiment noir dans la réalité (comme les cheveux, ou les ombres, par exemple). Tout le reste prétend à un rendu quasi-photographique inédit chez Saiz et il s'en sort magistralement.
Les pages défilent et on est saisi par leur intensité chromatique. Ce qui ne pourrait être qu'un gadget permis par la technologie graphique devient un choix esthétique correspondant intelligemment au propos du script : puisqu'il s'agit là de raconter l'histoire d'un magicien redevenu un homme normal, dessiner ceci en obtenant un photo-réalisme souligne justement ce retour à la normalité. On passe des premières pages fantastiques avec un monstre géant aux dernières à bord d'un vaisseau spatial avec ce souci de rendre tout authentique, et c'est appuyé par le coeur de l'épisode où, effectivement, Strange est montré dépouillé de ses atours de sorcier.
Et c'est là où je voulais en venir au début de cette critique : tout ce que j'aime chez Waid, ici résumé, c'est cette capacité, quand il est au meilleur de son inspiration, à trouver un angle d'approche vraiment originale, une manière de nous montrer son personnage comme on ne l'avait jamais vu, jamais envisagé. Simplement, sans faire le malin, mais avec une justesse et une efficacité redoutables. Et comme il est soutenu par un dessinateur aussi inspiré que lui, on est conquis.
Difficile de dire où cela va nous mener (ni si Saiz réussira à tenir le rythme avec un tel style), mais quelle séduisante relance !
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