lundi 4 juin 2018

KILLING EVE (Saison 1) (BBC America / Netflix)


Produite par la BBC America et diffusée par Netflix, Killing Eve est devenue un vrai phénomène en ayant d'abord le statut de "sleeper" (terme utilisé pour désigner un film ou une série dont le succès a surpris tout le monde par son ampleur). Pourtant, ces huit premiers épisodes auraient dû mettre la puce à l'oreille des spécialistes car ils étaient adaptés des romans Villanelle de Luke Jennings (carton en librairie) par Phoebe Waller-Bridge (la scénariste et comédienne de Crashing et Fleabag). Mais c'est sans doute son aspect inclassable qui a déjoué les pronostics, car derrière cette histoire d'espionnage se cache un joli lot de messages inspirés par l'époque...

 Villanelle (Jodie Comer)

Villanelle est une jeune, séduisante, brillante et prolifique tueuse à gages qui laisse derrière elle plusieurs cadavres d'hommes de différentes nationalités et en vue dans divers pays. L'agent du MI5 Eve Polastri pense avoir établi un lien entre ces meurtres et a la conviction qu'ils sont le fait d'une femme. Mais sa théorie ne convainc pas sa hiérarchie, bien qu'elle soit corroborée par l'unique témoin encore vivant ayant assisté à un des assassinats. Eve est renvoyée après que ladite témoin ait été à son tour exécutée alors qu'elle était chargée de sa protection. Mais, impressionnée par les recherches de Eve, Carolyn Martens, chef de la section du MI6 en Russie, la recrute au sein d'une unité secrète pour capturer la tueuse.  

Konstantin (Kim Bodnia)

Konstantin Vasiliev, l'agent de liaison entre Villanelle et l'organisation qui commandite ses meurtres, la rappelle à l'ordre car il estime qu'elle prend de plus en plus de risques. Il l'informe qu'une cellule du MI6 est à ses trousses avec Eve Polastri comme profileuse. Cette dernière réalise qu'une infirmière qu'elle a croisée juste avant le meurtre du témoin à l'hôpital pourrait bien être la tueuse et, en communiquant son signalement, fait établir un portrait-robot correspondant au visage de Villanelle. 

Eve Polastri (Sandra Oh)

Villanelle usurpe l'identité de Eve lors d'une mission à Berlin puis attend l'arrivée de la profileuse et de son adjoint, Bill Pargrave, sur le lieu du crime afin de l'observer lors de ses investigations. Sans se soucier d'être discrète, la tueuse suit Eve mais Bill la remarque et la suit à son tour. Elle l'entraîne dans une boîte de nuit, tandis que Bill signale sa position à Eve, avant que Villanelle ne poignarde sauvagement l'espion sur la piste de danse bondée, dans l'indifférence générale.

Villanelle et Nadia (Jodie Comer et Olivia Ross)

Konstantin blâme Villanelle pour son comportement à Berlin et, pour l'obliger à être plus docile, l'oblige à accomplir sa nouvelle mission en équipe. Elle a pour partenaires Diego et, surtout, Nadia, son ancienne amante avec laquelle elle a fait de la prison et dont elle a pris la place lorsque Konstantin a voulue la recruter jadis. Malgré la tension entre eux trois, ils doivent exécuter Frank Haleton, l'ex-patron de Eve au sein du MI5 - dont le MI6 a découvert qu'il était une "taupe" au service des Russes. Eve parvient à le localiser tandis qu'il tente d'échapper aux trois tueurs et elle le sauve de justesse de Villanelle qui, entre temps, s'est débarrassée de Diego et Nadia.

Villanelle et Eve (Jodie Comer et Sandra Oh)

Eve et Carolyn conduisent Frank dans une planque où il avoue avoir été soudoyé pour communiquer des informations à une organisation, "les Douze", en échange du paiement du traitement contre le cancer de sa femme et des frais scolaires de ses deux filles dans une école coûteuse. Il évoque aussi Villanelle qui, avec ses assassinats visant aussi bien des des espions gradés que des mafieux, serait l'instrument du chaos voulu par ses commanditaires. Eve rentre chez elle à Londres pour se reposer mais Villanelle s'est introduit chez elle et lui vole son téléphone portable. Elle localise ainsi la planque de Frank et le tue, avant d'apprendre par Konstantin que Nadia à survécu. 

Villanelle

Villanelle part avec Konstantin en Russie pour infiltrer la prison où se trouve Nadia qu'elle doit exécuter avant qu'elle ne parle de ce qu'elle sait. Cette mesure est imposée par le fait que Carolyn et Eve se rendent également sur place après avoir découvert, en comparant son portrait-robot aux photos des détenues de la prison, que Villanelle s'appelle en vérité Oksana Astanskova et qu'elle était liée à Nadia. Grâce à ses relations avec le SVR, Carolyn obtient un entretien avec Nadia en présence de Konstantin et lui offre de l'extrader en Angleterre en échange d'infos sur Oksana. Mais avant qu'elle n'accepte de parler, Villanelle a le temps de l'exécuter.

Carolyn Martens, Konstantin, Kenny et Eve (Fiona Shaw, Kim Bodnia,
Sean Delaney et Sandra Oh)

La mission à Moscou se soldant par un échec, Carolyn ordonne à Kenny, l'informaticien de l'unité du MI6 (et accessoirement son fils), et Eve de rentrer à Londres. Mais ils désobéissent en découvrant dans le passé d'Oksana qu'elle a été l'élève et l'amante d'une enseignante, Anna, dont elle a fini par tuer le mari par jalousie. Eve rencontre Anna qui lui remet ce qu'elle a gardé d'Oksana, dont un manteau dans la doublure duquel la profileuse trouve un passeport et de l'argent appartenant à la tueuse. Villanelle reste détenue, lâchée par Konstantin, jusqu'à ce qu'on organise son évasion et qu'elle rencontre son nouveau contact. Elle le tue, résolue à se venger et fuir. Konstantin réussit à lui échapper quand il la trouve chez lui. Mais Eve et Kenny découvrent sur la vidéo-surveillance piratée de la prison que Carolyn a visité Oksana avant son évasion.

Eve

Konstantin retrouve Carolyn et Eve pour leur demander de l'aider à arrêter Villanelle qui a kidnappé sa fille. La tueuse donne rendez-vous à Eve et Konstantin dans un café où elle abat Konstantin après que Eve lui ait rendu son passeport et son argent. Ce nouveau fiasco aboutit au licenciement de Eve par Carolyn mais la profileuse décide de continuer son enquête, seule, en se rendant à Paris, depuis laquelle Oksana avait envoyé des lettres à Anna. Face à face, les deux femmes s'avouent leur obsession l'une pour l'autre. C'est l'heure du choix pour chacune d'elles : Eve arrêtera-t-elle Villanelle ? Ou Villanelle tuera-t-elle Eve ?

Les mouvements contestataires féministes frappés du hashtag #MeToo n'ont pas seulement libéré la parole des victimes de prédateurs sexuels dans le monde du cinéma, ils ont parfois dérapé en aboutissant à des espèces de tribunaux populaires où des têtes sont tombées sans autre forme de procès que des dénonciations non vérifiées. Plus vertueusement, cela a surtout permis de faire prendre conscience aux décideurs et au grand public qu'il y avait des inégalités infondées au niveau salariale par exemple et que ce phénomène ne touchait pas que le milieu glamour des médias.

Depuis l'affaire Weinstein qui a tout déclenché, la place des femmes dans l'industrie est donc devenue centrale et elle interroge peut-être plus pertinemment lorsque sont portés à notre connaissance des histoires plus ordinaires mais dont la banalisation dérange justement. Ainsi pour un acteur comme Benedict Cumberbatch (Sherlock, Dr. Strange) qui ne veut plus travailler sur un film ou une série télé en étant mieux payé que sa partenaire féminine, on apprend que Mark Wahlberg a touché une fortune pour retourner des scènes dans le dernier Ridley Scott (le bien nommé Tout l'argent du monde, ça ne s'invente pas) alors que Michelle Williams également rappelée a été payé des clopinettes.

Mais il ne suffit pas d'acter une situation anormale pour qu'elle se corrige d'elle-même ni que les faits évoluent. Hollywood reste toujours réticent à croire que des femmes puissent diriger un studio, produire et/ou réaliser des films/séries, ou simplement être assez attractives pour assurer le succès d'un projet. Dans ce contexte, Killing Eve fera peut-être bouger les lignes plus que bien des discours symboliques.

Si on s'en tient aux audiences, il est toujours rare qu'une série télé ne voit pas ses spectateurs présents au départ se réduire ensuite pour ne conserver qu'un noyau, plus ou moins gros, de fidèles passionnés. Or, dans le cas de cette production, la tendance s'est totalement inversée puisqu'en démarrant gentiment, plus les épisodes passaient, plus il y avait du monde pour les regarder !

On pourra arguer que la qualité de Killing Eve était presque garantie puisque la série est adaptée d'une collection de romans écrits par Luke Jennings, aux jolis scores en librairie. Et qu'en choisissant de les transposer pour le petit écran, Phoebe Waller-Bridge pouvait compter sur sa propre base de fans depuis qu'elle a brillé en vedette de Crashing et Fleabag, deux comédies irrésistibles diffusées en 2017.

Sauf que le projet se distinguait totalement de ce que la scénariste-actrice avait fait et que le résultat a pris tout le monde par surprise. Mais c'est sans doute pour cela que cette série séduit tellement : elle est inclassable, à la fois glaçante et irrésistible, récit d'espionnage et portrait d'une tueuse, romance homosexuelle et traque criminelle, jeu du chat et de la souris et alternance de comédie noire et de polar implacable. N'espérez jamais savoir où vous conduira chaque prochain épisode de Killing Eve : tout est fait pour désarçonner le téléspectateur jusqu'à la dernière scène à la fois romantique, érotique et sanglante avec un cliffhanger qui vous frustrera tellement que vous n'aurez plus qu'à compter les mois en attendant la suite.

Situé dans le milieu des barbouzes, avec en fond une conspiration ambitieuse, la série cultive une certaine austérité, une sorte de minimaliste avec de nombreux échanges en intérieurs, tout en voyageant beaucoup (de Berlin à Londres à Moscou en passant par la Toscane). C'est un jeu de dupes permanent, avec des surprises constantes, une charge érotique et morbide à la fois, deux fantastiques antagonistes rattrapées par le trouble qu'elles s'inspirent. Le tout est mené tambour battant, dans un format classique de 42 minutes par épisode pour une saison qui n'a pas un gramme de gras avec seulement huit chapitres. L'écriture est ciselée, avec des dialogues incisifs, des personnages affûtés, des situations imparables et étonnantes, que la réalisation cherche d'abord à valoriser sans y ajouter d'effets inutiles.

Et puis le tout est porté par une distribution fabuleuse : dans des seconds rôles, Fiona Shaw, Kim Bodnia, David Haig, Sean Delaney, Olivia Ross, Kirby Howell-Baptiste, Owen McDonnell sont parfaits. Mais, évidemment, ce sont ses deux actrices principales qui dominent l'affaire : ceux qui ont au moins une fois eu la curiosité de regarder Grey's Anatomy connaissent déjà Sandra Oh et seront ravis de quasiment la redécouvrir aussi formidable en profileuse amoureuse d'une psychopathe, détective pugnace à la silhouette lasse. Les autres seront stupéfaits par la révélation du show, Jodie Comer, à qui on peut prédire, sans trop se mouiller, une carrière retentissante après avoir campé cette tueuse insolente, sadique, tourmentée et fascinante.

Il va falloir cependant certainement s'armer de patience avant de retrouver Killing Eve car, c'est la rançon de la gloire (et de l'exigence), Phoebe Waller-Bridge déborde désormais de projets (elle a joué dans un spin-off de Star Wars, Solo, prépare la saison 2 de Fleabag après avoir tourné celle de Crashing). Mais on pourra mettre ce temps à profit pour se remettre ce choc télé.     

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