La couverture interpèle, c'est son travail et Phil Noto sait comment attirer le regard du lecteur. Gail Simone poursuit son histoire en sachant en conserver tout le mystère. S'il y a un goût de redite indéniable dans cette intrigue, ça n'en reste pas moins plaisant, surtout qu'elle est émaillée de moments troubles et troublants.
Il y a 4 ans. Autour d'un verre, Tigra offre à Jessica Jones d'intègrer A-Force car si Hell's Kitchen n'a pas été victimes de grandes menaces, cela ne saurait tarder et il faut qu'elle s'y prépare.
De nos jours. Après avoir, avec l'aide de Luke Cage, maîtrisé les deux variants chez elle, Jessica perd connaissance, à nouveau hantée par l'Homme-Pourpre. Elle craint pour sa famille.
Bouleversée, elle envoie Luke et leur fille au loin. Puis Daredevil la surprend, encore ébranlée. Elle se jette à son cou, confuse. Elle se ressaisit et comprend qu'elle a besoin d'aide.
Elle appelle She-Hulk. Mais c'est alors que débarque une troisième variante de Jessica, vêtue de son costume de Jewel...
Deux réflexions :
- il est intéressant de lire The Variants #2 après Ant-Man #1 car, d'une certaine manière, c'est comme si ces deux mini-séries se répondaient en explorant le thème du double. Al Ewing sonde, à travers le temps, les différentes incarnations de l'homme-fourmi. Gail Simone utilise les variants de Jessica Jones pour sonder l'identité du personnage, qui ne sait littéralement plus où elle en est.
- Et cela conduit à la seconde réflexion. L'histoire de Jessica Jones est liée à celle de l'Homme Pourpre, Zebediah Kilgrave, qui a abusé d'elle et l'a manipulée pour faire du mal à des innocents. Une métaphore des violences faites aux femmes, de la toxicité masculine, bien avant #MeToo, écrite par Brian Michael Bendis et dessinée par Michael Gaydos. Gail Simone n'est pas allée cherché loin le méchant de son histoire.
Tout ceci fait à la fois la force unique et la limite principale de The Variants, dont on sent bien que, pour la scénariste, c'est l'occasion de broder à partir de la mythologie de Jessica Jones en convoquant ses doubles multiversels, mais qui ne peut éviter de tomber dans une facilité certaine.
En parcourant des commentaires sur un site, je lisais les reproches faits à Gail Simone, mais aussi aux différents scénaristes qui ont animé Jessica Jones depuis que Bendis a abandonné son personnage. L'Homme Pourpre est omniprésent, on a rarement vu une héroïne aussi intimement liée à un méchant, et par là même une telle paresse des auteurs à lui donner d'autres adversaires. Comme si, en vérité, Jessica Jones n'était définie que par son agression par Zebediah Kilgrave.
On peut comprendre qu'au bout d'un moment ça devienne un peu lassant. Pourtant, avec sa situation atypique dans l'univers Marvel, il y aurait de quoi raconter bien des choses avec Jessica Jones, et ainsi dépasser ce statut d'éternelle victime hantée par Kilgrave.
Mais, est-ce un hasard, Jessica Jones n'a été écrite que par des femmes (Kelly Thompson, Gail Simone) depuis le départ de Bendis et c'est étonnant qu'elles continuent à victimiser ainsi ce personnage au caractère pourtant bien trempé. La voilà encore, toujours hanté par l'Homme Pourpre, comme prise dans une spirale infernale. Et donc fatigante. Usée, rebattue.
D'un autre côté, il y a cette affaire de variants qui surgissent d'on ne sait où : après une Jessica Jones parfaitement ressemblante à l'originale (en jean, perfecto, bottes), une autre portant le bouclier de Captain America, voici celle vêtue du costume de Jewel (l'alias éphémère des débuts du personnage)... Impossible de savoir où Gail Simone veut en venir avec tout ça. Sauf à souhaiter qu'enfin cela permette à Jessica de dépasser son trauma, de tourner la page Homme Pourpre (même si dans les faits, celui-ci a été battu lors de Devil's Reign, l'argument ici est qu'il aurait suffisamment tourmenté ses victimes pour en faire des bombes à retardement).
Mais peut-être qu'au fond, ce qui demeure le plus intéressant, ce sont ces petits moments troubles et troublants dont Simone émaille son script. Déboussolée, Jessica laisse Tigra l'embrasser sur la bouche, puis c'est elle qui roule une pelle à Daredevil, avant de gifler She-Hulk pour se prouver qu'elle a encore sa super-force (et se passer les nerfs sur quelqu'un qu'elle ne risque pas de blesser). Dans ces moments-là, Gail Simone suggère quelque chose d'encore nébuleux, qui restera peut-être dans suite, mais qui interroge différemment Jessica, sa difficulté à cerner qui elle est, sa confusion extrême.
Phil Noto a du mérite, c'est certain, à garder lisible un propos parfois difficile à apprécier (même si c'est voulu). Son dessin possède ce calme dans la tempête qui permet au lecteur de savourer justement ces fulgurances improbables dans un récit où les péripéties se succèdent sur un rythme étrange, un faux rythme en fait, où rien n'avance vraiment mais qu'on lit sans déplaisir.
Dans ce genre de situation, il est précieux de disposer d'un artiste comme Noto qui suit respectueusement l'histoire qu'il met en images et dont le trait précis, sobre, fait office de boussole. Il dépeint soigneusement le désordre intérieur de l'héroïne, sa peur, la succession de scènes comme une fuite en avant. Le découpage est presque austère, du moins simple, sans fioritures, toujours dans cette démarche de ramener l'histoire sur terre alors que tout déraille.
Vous l'aurez compris, The Variants s'autorise des redites, des facilités un peu agaçantes, tout en entretenant une ambiance envoûtante, supportée par un dessin élégant. Mais il va quand même falloir que ça bouge plus franchement car il ne reste plus que trois épisodes pour boucler ce Jessica Jones Mystery.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire